Décryptage

Immobilier : les recettes des professionnels pour relever les défis de 2025

Malgré la crise politique qui risque de freiner les opérateurs les plus en forme, les groupes diversifiés se montrent assez confiants. 

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Immeuble résidentiel en construction.
Les promoteurs résidentiels ont fait le deuil du Pinel.

Comment tenir financièrement jusqu’aux élections municipales de 2026, voire jusqu'en 2027 quand les nouvelles équipes municipales auront mis en route leur politique et repris le stylo pour accorder les permis de construire ? C’est la question que se posent les promoteurs fragilisés par la crise de la demande de logements et de bureaux.

Aux yeux des professionnels rencontrés au Salon de l’immobilier d’entreprise (Simi) organisé à Paris du 10 au 12 décembre, la perspective d’un retour à des taux d’emprunt à 2%, et peut être moins, l’an prochain constitue la principale lueur d’espoir dans le marasme actuel. Le reste du tableau demeure sombre : volumes d’investissements limités, valorisations des actifs toujours à la baisse, banques de plus en plus exigeantes…

Le promoteur résidentiel doit se désendetter…

A l’heure de la rigueur budgétaire de l’Etat, qui se traduit dans le neuf par la fin du Pinel en 2025, la reconstitution des fonds propres demeure une priorité pour les promoteurs résidentiels qui ont vu leurs ventes chuter sur fond de crise de la demande.

Comme le numéro un français Nexity qui génère du cash en cédant ses filiales qui ne font pas de promotion, le francilien Interconstruction espère se désendetter en 2025. « Notre métier est capitalistique, rappelle Matthieu Villand, directeur général. Il faut donc retrouver de la marge de manœuvre sur nos fonds propres, afin de les redéployer dans de nouveaux programmes. Nous ne remettrons pas de la dette sur de la dette s’il s’agit d’une opération tendue, qu’on n’arrive pas à vendre. Seuls les programmes bien conçus et en phase avec la demande peuvent supporter des fonds extérieurs aux nôtres. »

L’an prochain, les créanciers d’Interconstruction seront en priorité ses banques historiques, qui lui proposent de « s’endetter sur le long terme à des coûts les plus bas possible », souligne-t-il. Les leviers complémentaires type crowdfunding immobilier ou fonds de dette privée sont à éviter, selon lui. Surtout que des Prêts garantis par l’Etat (PGE) issus de la période Covid courent encore… Mais il n’y a pas lieu de réduire encore la masse salariale. Le promoteur est passé d’une soixantaine de salariés en 2023 à une cinquantaine aujourd’hui.

Faire partie d’Eaglestone aide aussi. Présent en Belgique et au Luxembourg, le groupe français développe et gère des actifs variés, de l’hôtellerie au résidentiel classique. Idéal pour diluer le risque et toucher des revenus réguliers, notamment via sa Foncière Cardinal, filiale qui cumule les savoir-faire de promoteur et exploitant de bureaux et résidences étudiantes.

…et séduire les primo-accédants 

Dans un marché francilien qui souffre moins que d’autres en régions, Interconstruction reste prudent sur les mises en chantier mais se veut offensif sur les permis de construire en vue du rebond. « Nous déposerons deux gros permis d’ici la fin du mois, et trois ou quatre début 2025, notamment des permis modificatifs pour retrouver un peu d’air sur les coûts de travaux de certains programmes », témoigne Matthieu Villand. Ses opérations proposent en général plus de 50 logements, un segment qui souffre plus en termes de permis délivrés par rapport aux petits programmes de 10 ou 20 lots.

Constatant que « le haut-de-gamme a du mal à se vendre », le dirigeant compte cibler en 2025 les primo-accédants qui bénéficient de plusieurs coups de pouce : PTZ (pour l’instant appliqué uniquement aux zones tendues), TVA réduite à 5,5% dans certaines communes… Les secundo-accédants, eux, semblent difficiles à séduire. « Les ménages qui sont déjà propriétaires ont globalement perdu en pouvoir d’achat avec la remontée des taux. Ils ne peuvent pas acheter dans le neuf, avec la pièce en plus dont ils ont envie. Nos prix n’ont pas beaucoup baissé comme dans l’ancien. »

Des maisons pour clients aisés

La rapide hausse des taux de mi-2022 à mi-2023 a conduit Tisserin (du réseau Procivis) à revoir les positionnements de ses filiales. En promotion, Nacarat doit encore « écouler son stock issu de l’ancien monde », confie Ludovic Montaudon, PDG du groupe coopératif.

En perte depuis 2023, le promoteur « reviendra à l’équilibre en 2025 », annonce-t-il. Le rebond se fera « sans les aides fiscales aux particuliers qui ont favorisé l’augmentation des prix et la construction de logements d’une assez grande médiocrité », souligne-t-il.

Sur le marché décroissant de la maison individuelle, le virage stratégique de 2022 porte ses premiers fruits. « Nous avons arrêté de nous adresser aux classes moyennes désolvabilisées pour viser une clientèle aisée. Nous avons dû revoir la relation client, nos process de construction… Les produits de nos filiales sont aujourd’hui en ligne avec le nouveau paradigme. Certes nous vendons moins, mais nous n’avons jamais été aussi rentables », se félicite-t-il.

Céder son patrimoine HLM pour le rénover et l’agrandir

Outre un réseau d’agences immobilières, le groupe nordiste détient l’Entreprise sociale de l’habitat (ESH) Tisserin Habitat. « Tout juste à l’équilibre sur la location, le cœur de métier de tout bailleur social, nous sommes obligés de vendre des logements existants et neufs à des primo-accédants solvabilisés par les aides de l’Etat », témoigne le dirigeant, qui prévoit « plus de ventes » de logements anciens et neufs en 2025 par rapport à cette année. Objectif : relever le double défi de rénover son patrimoine de 6000 logements et de l’agrandir pour répondre à la demande croissante.

Annoncée par la Banque de France en février prochain, la baisse du taux du Livret A (qui finance le logement social) sera bienvenue mais insuffisante pour inverser la tendance. La suppression de la Réduction de loyer de solidarité (RLS), qui grève les recettes annuelles des organismes HLM, et l’inscription dans le budget 2025 des 400M€ promis en 2023 par l’ancien ministre du Logement Patrice Vergriete pour soutenir la chasse aux logements sociaux énergivores, sont des mesures – coûteuses – réclamées par le secteur.

Recruter pour servir les clients

La crise du logement se ressent aussi chez Franc Architectures. « Les grandes sociétés de promotion ont mis un gros coup de frein parce qu’ils n’arrivent pas à vendre. Les acteurs plus régionaux, eux, continuent de développer des opérations, de 15 à 50 logements. L’ancrage local doit jouer », observe Gabriel Franc, directeur général.

Malgré la grisaille persistante, cinq recrues viendront renforcer en cette fin d’année des effectifs stables depuis 2023, assure Gabriel Franc. « Avant de déposer un permis, il y a toute une chaîne de consultation avec différents assistants à maîtrise d’ouvrage et bureaux d'études, des études d’impact à réaliser… C’est un service que l’on doit à nos clients. Et il faut du personnel compétent », soutient-il.

Le groupe fondé par son père devrait réaliser 17M€ de chiffre d’affaires en 2024, stable sur un an. La part du résidentiel dans son CA pourrait passer de 40% cette année à 30 voire 20% en 2025 et 2026, anticipe le dirigeant.

La foncière renvoie l’ascenseur au développeur

BMG, un autre groupe familial présent au Simi, est aussi secoué, mais assure ne pas être à plaindre. « Les locaux d’activité et entrepôts permettent de compenser la baisse des loyers issus des bureaux », témoigne Louis Ramé, président. Reste que le « bon bilan locatif » de 2024 lui permet d’afficher une certaine sérénité comparé à des confrères contraints de licencier ou de mettre la clé sous la porte.

L’activité du groupe mainoligérien repose essentiellement sur le développement de bureaux, entrepôts, usines… principalement pour sa foncière, qui totalise 830 millions de m². BMG est diversifié depuis 2023 dans le béton préfabriqué. Un marché à la peine sur fond de recul des mises en chantier : son usine Cir Préfa, dans le Lot-et-Garonne, connaît une baisse de cadence de 40% sur un an. En 2020, le groupe a misé sur le coworking. Un relais de croissance qui représente 5% de son chiffre d’affaires. Ses 21 sites de bureaux flexibles se situent principalement en régions, y compris dans les périphéries des métropoles.

Sur la baisse de prix à concéder aux acquéreurs, dans un marché décroissant plombé par la rapide hausse des taux de mi-2022 à mi-2023, le groupe familial déclare une décote moyenne de 5% en 2023 et de 4% cette année. Il ne dévoile pas sa stratégie pour 2025.

Du côté des m² mis en chantier, le développeur communique plus de 30 000m² commencés cette année, moitié moins en 2025 et 12 000 en 2026.

S’il n’a aucun problème de financement contrairement à d’autres acteurs, en particulier ceux exposés au marché résidentiel, BMG n’envisage pas de nouvelles acquisitions de sociétés ces prochains mois. « En tant qu’opérateur intégré, nous avons déjà l’outil pour poursuivre notre développement endogène », explique Nicolas Ramé, directeur général et frère du président.

Le bon filon de la réindustrialisation

Chez Elcimaï, en revanche, l’option croissance externe est clairement envisagée. « Nous cherchons des bureaux détudes, d’ingénierie, des promoteurs… qui souhaiteraient ouvrir leur capital pour se développer et gagner en visibilité à nos côtés. Nous voulons exploiter notre capacité financière pour faire grandir le marché », résume Laurent Kahn, directeur général du développeur d’usines et d’entrepôts.

Le segment de marché dans lequel s’est spécialisé l’opérateur national est considéré comme clé par les derniers gouvernements, au nom de la réindustralisation. Malgré la tempête immobilière, Elcimaï peut aborder les prochaines années sereinement. « Nous lancerons moins de m² en 2025 par rapport à cette année, et encore moins par rapport à 2023. Mais nous gagnons en rentabilité », assure-t-il.

La recette ? « Notre savoir-faire dans l’industrie nous permet de répondre aux besoins spécifiques des acteurs de la cosmétique, de la pharma, de l’agroalimentaire, de l’aéronautique… que nous accompagnons de longue date. Nous nous sommes imposés comme un acteur incontournable pour certains secteurs. » Parmi les dernières livraisons d’Elcimaï, citons le projet de Sainte-Sabine (Aube) pour le fabricant de cosmétiques Clarins, l’usine de Mazières-en-Mauges (Maine-et-Loire) pour le producteur de boissons LSDH.

Le ciel n’est toutefois pas complètement dégagé au-dessus d’Elcimaï. En cause : la période électorale qui approche avec les municipales en 2026 et la présidentielle en 2027. « Je crains un effet psychologique sur les investissements, qui commencent déjà à ralentir, confie le directeur général du groupe. Le manque de stabilité politique en France et en Europe ainsi que les difficultés de financement des acteurs de la construction qui, pour certains, sont très endettés ne vont faire que retarder la relance. »

La France a connu quatre Premiers ministres en 2024. En Allemagne, des élections fédérales anticipées sont prévues en février prochain. Quand ce n’est pas la crise immobilière, c’est la crise politique qui contrarie les acteurs du secteur…

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