Le rapport sur les difficultés des classes moyennes à accéder à la propriété publié fin août par l’institut Montaigne* a un fil rouge : la création de logements dits abordables, c’est-à-dire sociaux ou intermédiaires dans le cadre d’une location ou bien éligibles au bail réel solidaire (BRS) dans le cadre d’un achat, passe par une intervention de l’Etat. Et c’est un cercle de réflexions libéral - financé par EDF, Vinci et près de 200 autres entreprises - qui le dit !
Cette intervention se concentrerait en priorité sur le foncier trop cher, via les établissements publics fonciers (EPF). Mais par quels moyens financiers sur fond de rigueur budgétaire ? « L’Etat dépense chaque année plus de 40Mds€ pour le logement, soit deux fois plus que la moyenne de l’Union européenne. En même temps, l’accès à la propriété des classes moyennes n’a jamais été aussi compromis : le ménage médian a besoin de quinze années de revenu pour acheter 100m², contre dix années en 2000. Ce n’est donc pas une question de moyens mais un enjeu d’attribution prioritaire des crédits », contextualise Marie-Pierre de Bailliencourt, directrice générale de l’institut Montaigne.
Prenant en compte « l’état de nos finances publiques », l’institut propose de renforcer la présence des EPF à l’échelle nationale « par mutualisation de moyens avec les collectivités territoriales ou entre EPF, voire avec certaines agences de l’Etat afin d’éviter les doublons », précise la DG, qui milite également pour la création de « filiales de portage de très long terme, avec éventuellement l’intervention de partenaires financiers ».
Trouver des « investisseurs tiers »
L’institut Montaigne voit dans « la transformation du bâti existant et, plus largement, des fonciers artificialisés en zone dense, là où, précisément, de nouveaux logements sont nécessaires », une réponse crédible « à notre objectif d’accès des classes moyennes à la propriété », souligne Marie-Pierre de Bailliencourt. D’où cette idée – ancienne – d’inciter les propriétaires à « remettre leurs logements sur le marché en luttant contre la vacance, accompagnant mieux la transformation de leurs logements et en facilitant l’intervention d’investisseurs tiers dans des opérations de rénovation ».
« La taxe sur les logements vacants est déjà en place et produit des effets en zone dense, mais nous avons décidé à Montaigne de nous concentrer sur les incitations positives, parmi lesquelles figure le soutien à la transformation et à la rénovation des logements. Nous avons constaté que l’état de dégradation ou l’inadaptation des logements expliquait en grande partie le phénomène de vacance », note Marie-Pierre de Bailliencourt.
Comme la plupart des acteurs de la rénovation des logements privés usés par les revirements politiques autour de MaPrimeRénov’ qui vient encore d’être raboté, l’institut Montaigne plaide pour la stabilité des dispositifs existants, des aides d’Action Logement à celles de l’Agence nationale de l’habitat (Anah). A un détail près : « Compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, la priorité est d’accompagner les propriétaires de logements vacants », poursuit Marie-Pierre de Bailliencourt. A condition de mieux connaître ce gisement. « La mise à disposition de données aux collectivités par l’Etat peut ainsi être poursuivie », via la base Lovac créée en 2020 dans le cadre du plan national de lutte contre les logements vacants, ajoute-t-elle. Ce serait ensuite à l’Anah de jouer le chef d’orchestre auprès des professionnels, « en cohérence avec les dispositifs développés pour la rénovation énergétique du bâtiment », insiste-t-elle.
L’institut Montaigne plaide en outre pour une mobilisation des acteurs privés, dans le but de réduire le reste à charge des propriétaires de passoires menacées par une interdiction de mise en location ou de logements vacants à remettre sur le marché. « L’accompagnement financier des opérations de rénovation ne peut pas reposer seulement sur la puissance publique. Il faut développer les possibilités d’appui de tiers privés », souligne Marie-Pierre de Bailliencourt.
Le projet du gouvernement Bayrou de banque de la rénovation, un guichet unique réunissant des établissements volontaires qui ciblerait les copropriétés, en est l’illustration. Autre exemple : le modèle de la jeune entreprise Vasco, qui soutient les propriétaires qui peinent à financer leur projet en permettant à des particuliers d’investir directement dans les logements à rénover en échange d’une part de propriété.
« Le développement d’initiatives comme celles de Vasco peut être soutenu. Cela passe par une sécurisation du cadre juridique de ce type d’opérations. Les deux questions principales sont la rémunération du co-investisseur et les obstacles juridiques résultant d’un partage de la propriété avec un tiers. Nous pensons qu’un cadre juridique ad hoc, un partenariat de travaux, pourrait être mis en place pour la garantir », développe-t-elle, ajoutant que les assurances et les fintechs sont « potentiellement mobilisables » sur le sujet du reste à charge.
Dans son rapport, Montaigne agite aussi le serpent de mer de la transformation « des locaux d’activités et bureaux vacants en logements dans les zones urbaines et périurbaines en allégeant les contraintes urbanistiques sur ces opérations et en fléchant davantage de moyens existants vers ces opérations ».
Si la loi du 16 juin dernier « visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements » va dans le bon sens, le Fonds national d’aides à la pierre (Fnap) constitue le principal levier identifié par l’institut Montaigne. Problème : cet outil qui stimule les opérations de construction neuve des bailleurs sociaux ne dispose plus des financements nécessaires à compter de l’an prochain. Deux des trois scénarios mis sur la table sous Bayrou parlent de sa suppression…
« La loi Daubié (du nom du député qui est en à l’origine, NDLR), qui vient d’être adoptée, simplifiera ces reconversions, mais leur équilibre économique demeurera compliqué à trouver et sans soutien financier probablement que nombre d’opérations ne vont pas voir le jour, anticipe Emmanuel Desmaizières, directeur général du promoteur Bouygues Immobilier, filiale du groupe éponyme qui fait partie des entreprises adhérents de l’institut Montaigne. Aujourd’hui, les projets de transformation ne reçoivent qu’environ 10% des crédits du Fnap. En orientant davantage de moyens vers ces opérations, nous pourrions accélérer les dynamiques de recyclage en bénéficiant d’un effet d’entraînement sur l’activité. »
Simplifier les procédures d’urbanisme
Au-delà des difficultés techniques et financières de ces chantiers, le gisement des bâtiments existants à transformer, en particulier les bureaux, est actuellement cantonné aux grandes métropoles. Or, la crise touche aussi les villes moyennes, dont certaines regorgent de zones artificialisées à valoriser. « Dans un contexte marqué par l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), transformer la ville sur elle-même nous semble constituer une voie durable et désormais encouragée par la réglementation. La régénération urbaine, notamment des zones commerciales, permet non seulement de répondre à la demande en logements, mais aussi une opportunité de renaturer les espaces urbains et de limiter l’étalement », assure le président du rapport qui a rassemblé un groupe de travail de onze personnes.
« Le potentiel gisement déjà-là semble considérable avec plus de 11 000 friches industrielles ou commerciales recensées en France et entre 90 000 et 150 000 hectares actuellement recensées. Et ce stock pourrait encore augmenter à la faveur de l’évolution des usages comme le développement du commerce en ligne », prédit le dirigeant du troisième promoteur français.
La transformation de ces fonciers, que le ou les opérateurs doivent porter sur plusieurs années, nécessite toutefois « une simplification des procédures urbanistiques », notamment des études environnementales, afin d’amplifier une dynamique déjà enclenchée, soutient Emmanuel Desmaizières. « Plusieurs opérations emblématiques, comme celles de la reconversion du supermarché Casino à Toulouse ou d’un Décathlon à Bordeaux, portées par Bouygues Immobilier, illustrent que ces projets sont possibles dès aujourd’hui », assure l’ancien dirigeant d’Icade, un autre promoteur national qui mise en particulier sur le gisement des zones commerciales périphériques.
*BPCE et le Conseil supérieur du notariat ont également contribué.