Voilà plus de quatre mois que le BTP souffre de l'incertitude née de la dissolution de l'Assemblée nationale du 9 juin dernier, un manque de visibilité encore accentué par la censure du gouvernement Bernier et l’annulation du projet de loi de finances 2025 (PLF) dont certaines mesures très attendues par le secteur tombent à l’eau.
A commencer dans le secteur du bâtiment par la restauration et l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) à tout le territoire et à tous les types de logements pour les primo-accédants, susceptible de doper la relance de la construction de logements. « Si la fin du dispositif Pinel fin 2024 semble acté, l’interruption du rétablissement et de l’élargissement du PTZ prôné par la ministre démissionnaire du Logement Valérie Létard pourrait engendrer de grandes difficultés pour les promoteurs et investisseurs d’immobilier résidentiel » estime Philippe Mazet, délégué général du Syndicat des entreprises générales de France du BTP (EGF BTP).
Moins de recrutements et d'investissements en 2025
De même, la suspension d’une baisse de 200 millions d’euros de la réduction de loyer de solidarité (RLS), un prélèvement de l’Etat sur les recettes des bailleurs sociaux, annoncée par la ministre démissionnaire, supprime pour l’heure ce coup de pouce nécessaire au financement de la construction de HLM. « Ces deux mesures pour relancer les logements et les logements sociaux devraient être reprises dans le PLF 2026. Dans ce cas, nous perdrions un an pour satisfaire le besoin crucial d’accélérer la construction d’immeubles résidentiels, d’autant que 2024 a été la pire année de construction de logements depuis 1955 avec moins de 250 000 logements réalisés » explique Jean-Baptiste Bouthillon, président de Paris-Ouest Construction, entreprise générale de construction de logements en Ile-de-France.
Affectée par la baisse de ses activités, l’entreprise prévoit moins de recrutements et d’investissements en 2025. « Nous embaucherons et nous investirons en fonction de nos besoins », indique son dirigeant. En attendant, Paris-Ouest Construction constate une accélération du nombre de défaillance de ses fournisseurs et sous-traitants depuis septembre, occasionnant des retards sur ses chantiers.
L’ambiguïté politique sur le foncier constructible taraude également les professionnels du bâtiment. « La proposition de loi sénatoriale qui visait à assouplir l’objectif du Zéro Artificialisation nette (ZAN) des sols et qui avait la faveur du gouvernement démissionnaire est-elle suspendue ? Personne ne sait ainsi où l’on peut construire ou pas » s’interroge Philippe Mazet.
Pour Orea Groupe, spécialiste de la gestion intégrée des canalisations et de la déconstruction-désamiantage des bâtiments, l’incertitude est de mise sur la relance de la construction en général. « Le manque de délivrance de permis de construire entraîne un retard colossal des mises en chantier, ce qui impacte directement notre activité de déconstruction de bâtiments qui représente 30% de nos activités » s’inquiète Vincent Ducamp, son président. En revanche, ses travaux d’étanchéification, entre autres, des réseaux de canalisations d’eau potable, d’eaux usées, pluviales et industrielles traversent l’instabilité politique sans encombre et enregistrent toujours une forte croissance, car « ils sont indispensables à la santé publique » selon le dirigeant.
La prudence des collectivités freine les travaux publics
Pourtant, le secteur des travaux publics semble pâtir du flou politique sur des projets à court terme, notamment en raison de l’attentisme des collectivités locales et donc de la suspension de la commande publique. « Elles gèlent leurs investissements dans les équipements, en raison de leur interrogation sur les coupes budgétaires envisagées par l’Etat, notamment via la réduction du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) prévue dans le PLF 2025, qui constitue la principale aide de l’Etat aux collectivités territoriales. Bien que cette mesure soit annulée, les capacités d’investissement des collectivités devraient pâtir de la diminution de l’aide de l’Etat, sans néanmoins savoir sous quelle forme, par quel mécanisme et sur quel type de dépense, elle portera » souligne Philippe Mazet.
Les acteurs des réseaux de distribution électriques comme Enedis s’inquiètent aussi de la volonté de l’Etat de prendre une partie du reversement de la taxe sur l’énergie dont ils bénéficient pour la réaffecter aux collectivités locales et à d’autres portefeuilles. « La profession a néanmoins la chance que le concessionnaire Enedis, boosté par le développement du photovoltaïque, investisse fortement dans les réseaux d’électricité sur ses fonds propres » conclut Bruno Souchal, président du Syndicat national des entreprises de réseaux secs (Sner).