Sur les neuf premiers mois de l’année, les volumes investis en bloc dans le logement en France ont progressé de 7% par rapport à la même période en 2023, pour atteindre un peu plus de 2Mds€, selon la société de conseil CBRE. Rien à voir avec les montants enregistrés avant la rapide hausse des taux de mi-2022 à mi-2023, supérieurs à 7Mds€ en 2021 par exemple.
L’époque de l’argent gratuit étant révolue, emportant avec elle les rendements souhaités en raison du coût actuel des emprunts bancaires, les assurances, fonds de pension et autres investisseurs institutionnels, surnommés « zinzins », se sont retirés du marché. Difficile d’y trouver son compte même en se positionnant « de manière rationnelle, sur le long terme », sans spéculer, témoigne Vincent Mézard, responsable mondial des marchés logement et hôtellerie du gestionnaire d’actifs Axa Investment Managers (IM), lors d’un débat sur « le retour des institutionnels vers le résidentiel », organisé le 10 décembre au Salon de l’immobilier d’entreprise (Simi) par l’Institut de l’Epargne immobilière et foncière (IEIF).
La santé financière des promoteurs immobiliers est en jeu. « Le marché de la vente en bloc de programmes neufs aux investisseurs privés est quasiment à l’arrêt », pose d’emblée Isabelle Didolla, directrice générale adjointe de Nexity chargé du client investisseur institutionnel.
Le neuf concurrencé par l’ancien
Les « zinzins » encore motivés par le logement, notamment ceux qui souhaitent réduire leur exposition au bureau, se sont tournés vers l’ancien, dont les prix ont baissé quand ceux du neuf se stabilisaient, autour de 5000€/m² actuellement à l’échelle nationale selon la FPI. Par ancien, il faut entendre un immeuble à rénover pour, soit le revendre à la découpe avec une plus-value en mode marchand de bien, soit le louer plus cher avec des taux d’occupation plus élevés, à condition de s’engager sur le long terme.
Dans ce contexte défavorable au premier vendeur en bloc de France, principalement aux bailleurs sociaux et intermédiaires, Isabelle Didolla conseille aux « zinzins » de solliciter « les promoteurs proches des collectivités », car leur stratégie actuelle dominante, qui consiste à miser sur de l’ancien à rénover sans forcément améliorer significativement la performance environnementale du bâtiment, n’est « pas bien vue par les élus qui ont le souci de la pérennité, de l’entretien du patrimoine ».
Outre « l’existant », la dirigeante de Nexity identifie un autre concurrent : les marchés immobiliers européens. « Nos investisseurs, des acteurs mondiaux, regardent ailleurs en Europe. » Confirmation de Vincent Mézard, de l’investisseur Axa IM : « La France est en concurrence avec des "géographies" où les loyers ne sont pas "capés". » Londres, capitale britannique où la demande reste largement supérieure à l’offre, arrive en tête de ses marchés les plus rentables, devant l’Allemagne, confie-t-il.
Réduire les délais
En opération séduction dans une salle comble, Isabelle Didolla assure que Nexity s’est déjà adapté aux nouvelles conditions du marché : « Nous travaillons sur la conception des programmes à vendre en bloc avec nos exploitants maison (comme Studéa qui gère des résidences étudiantes, NDLR). Nous cherchons à baisser le coût de construction et réduire la durée de réalisation, les freins à un retour des institutionnels » qui exigent des rendements rapidement. Problème : « Nos constructeurs modulaires (censés accélérer les processus de production, NDLR) sont eux aussi été fragilisés » par la crise de la demande, constate-t-elle.
Le rebond de Nexity sur le marché en bloc dépend aussi de sa capacité à multiplier « les partenariats capitalistiques, avec des co-investisseurs qui restent sur une durée longue tandis que nous, nous sortons juste après la livraison », détaille-t-elle. Alors que s’ouvre une longue séquence de rigueur budgétaire comme l’illustre la fin imminente du Pinel, ces fonds privés à trouver permettraient de compenser la chute des programmes vendus en Vefa aux institutionnels.
A l’échelle du marché, le rebond ne pourrait-il pas aussi venir de ces deux millions de friches tertiaires recensées par le Consortium des Bureaux en France ? « D’un point de vue technique, la transformation de tours se prête bien au résidentiel géré comme le coliving et le logement étudiant », témoigne Vincent Mézard. « La transformation de bureaux en logements représente un surcoût moyen de 30% par rapport à un programme neuf. On ne pourra changer d’échelle que si les propriétaires (des bureaux vacants, NDLR) acceptent de fortes décotes », souligne de son côté Isabelle Didolla. Ce qui n’est toujours pas le cas, à quelques exceptions près, comme à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) où les prix affichent -40% voire moins, selon ce même Consortium des Bureaux en France.
Vincent Mézard confie lui aussi être en train de changer de logiciel. « S’il veut retrouver de la rentabilité, l’investisseur doit travailler en amont avec l’aménageur pour penser un logement destiné à être loué, qui n’est pas le même que celui promis aux propriétaires-occupants. »
Ce mode de fonctionnement est déjà appliqué par la société de gestion d’actifs résidentiels français Ampère Gestion pour le compte d’investisseurs en quête d’un rendement présenté comme faible mais sécurisé, explique Marc Pétillot, directeur général. « La clé, c’est de partager avec le promoteur les cahiers des charges et de négocier des volumes importants sur lesquels on s’engage », affirme-t-il.
Très impliquée dans le logement intermédiaire et libre, la filiale de CDC Habitat « investit où il y a de la croissance démographique et de l’emploi » et « fait du logement pour Monsieur et Madame Tout le monde », rappelle-t-il.
Les particuliers avant les institutionnels
Crise de l’offre oblige, les nouvelles opérations d’Ampère Gestion sont « intégralement louées à la livraison » et dans l’ancien, « tout se loue rapidement en zone tendue », assure Marc Pétillot. Résultat : ses taux d’occupation financiers affichent entre 95 et 98%. Des niveaux « historiquement élevés », selon lui. « Nos clients investisseurs sont, je crois, contents, car il nous compare à d’autres classes d’actifs (comme le bureau, le commerce ou la logistique, NDLR). Nous sommes plus défensifs et résilients en termes de flux de trésorerie », note le dirigeant.
Les promoteurs diversifiés dans l’exploitation, de résidences étudiantes pour Kaufman & Broad ou de centres commerciaux pour Altarea, en savent quelque chose. Le premier reste rentable malgré la crise de la demande, le second espère récolter les fruits de ses investissements dans de nouveaux métiers (photovoltaïque, data center…) dès l’an prochain.
En 2025, le secteur du logement neuf pourra compter sur certains « zinzins ». Mais la priorité reste la vente au détail. « Le résidentiel est d’abord un marché pour les particuliers », rappelle Marc Pétillot. Ces derniers achètent à Nexity des logements à des prix 10% plus élevés en moyenne que les acheteurs en bloc, estime Isabelle Didolla. Il en va de la relance de la filière, dont la majorité des acteurs espèrent retrouver l’équilibre au plus tôt en 2025.