La Fédération nationale des travaux publics (FNTP) publie un nouveau livret consacré au paiement dans les marchés publics de travaux. Quel sont les principaux sujets abordés ?
Ce livret s’inscrit dans le prolongement du guide sur les bonnes pratiques de facturation et de règlement dans les marchés publics de travaux de l’Observatoire économique de la commande publique et du Médiateur des entreprises [mis en ligne en septembre 2024, NDLR] auquel la FNTP a activement participé. Il permet de mettre l’accent sur les dispositifs existants visant à soutenir la trésorerie des entreprises dans une période particulièrement difficile, comme faciliter le versement des avances ou systématiser les formules de révision des prix.
Surtout, il a vocation à rappeler les règles de la commande publique, car force est de constater que certains mécanismes s’avèrent méconnus ou mal appliqués : impossibilité de rejeter une facture pour des erreurs de montants, paiement des sommes admises (c’est-à-dire non contestées), paiement des intérêts moratoires sans formalisme, etc.
Selon l’Observatoire des délais de paiement, les collectivités semblent pourtant régler leurs factures dans les temps...
Nous dénonçons depuis longtemps les chiffres officiels publiés par l’Observatoire des délais de paiement, qui ne reflètent pas la réalité des paiements effectifs puisque ne prenant pas en compte les délais cachés. A titre d’illustration, il peut s’agir des délais qui s’écoulent le temps que l’entreprise et le maître d’œuvre se mettent d’accord sur la facture alors qu’il n’existe pas de processus de pré-validation prévu contractuellement, ou encore des délais qui s’écoulent après le rejet illégitime d’une facture sur Chorus Pro [plateforme de facturation électronique utilisée pour les transactions avec le secteur public, NDLR], ce qui fait repartir un nouveau délai de paiement.
Justement, le livret évoque les évolutions apportées à Chorus Pro en début d’année. Pouvez-vous rappeler ce qui a changé ?
De fait, ce livret prend en compte les évolutions des fonctionnalités de Chorus Pro en février dernier, dont nous en sommes les instigateurs. Les statuts de rejet sur la plateforme avaient été définis en inadéquation avec les règles de la commande publique. Il était alors possible de rejeter une facture pour une erreur de montants via un statut désigné « refusée pour autre motif ».
L’Agence pour l’informatique financière de l’Etat, et nous saluons leur implication dans ce dossier, a donc supprimé ce motif de rejet et précisé qu’il n’était pas possible de rejeter une situation de travaux pour un désaccord sur le montant, le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre étant tenu de rectifier la facture et de payer les sommes non contestées.
Avez-vous déjà des retours quant à une amélioration des délais de paiement du fait de ces changements sur Chorus Pro ?
Ces évolutions sont encore récentes, nous n’avons pas encore de retours d’expérience bien établis sur la réalité des bénéfices attendus. Toutefois, il nous remonte de nouveaux dévoiements de la plateforme, certaines factures étant rejetées pour des erreurs de montants ou pour des problèmes de trésorerie de l’acheteur via le statut « à recycler » qui n’a vocation qu’à traiter l’hypothèse d’une erreur de destinataire dans l’adressage de la facture. Nous allons devoir nous mobiliser de nouveau.
Craignez-vous une dégradation des délais de paiement dans les mois à venir, notamment compte tenu des tensions budgétaires subies par les collectivités ?
La réponse est clairement oui. L’opinion des entrepreneurs de travaux publics sur les délais de paiement publics est déjà mauvaise, en atteste l’enquête que nous avons menée cet été qui est en cours d’exploitation, et qui révèle que 85 à 92 % des entreprises subissent des retards de paiement de la part des collectivités territoriales.
Le secteur des travaux publics est fortement dépendant de la commande publique, qui représente 66 % de son activité. Dès lors, lorsque les entreprises subissent des retards de paiement des acheteurs publics, leurs trésoreries souffrent. Il ne faudrait pas que les difficultés de trésorerie ou les retards de perception de subventions ne deviennent encore davantage un motif pour justifier les retards de paiement aux entreprises. Nous y veillerons.
Que préconisez-vous aux entreprises confrontées à des retards de paiement ?
La FNTP accompagne au quotidien ses adhérents sur ce type de difficultés. Nous assistons les entreprises dans la rédaction de courriers à leurs maîtres d’ouvrage leur rappelant les règles applicables en la matière ou de demandes de mandatement aux préfets conformément au Code général des collectivités territoriales. Je conseille également aux entreprises concernées de prendre l’attache de leur fédération régionale qui aura plus de poids pour intervenir.
A ce propos, il est important de garder à l’esprit l’inégalité de traitement des opérateurs économiques qui se voient sanctionnés par la DGCCRF et mis au ban via une politique de « name and shame » étatique, alors même qu’il n’existe aucun mécanisme de contrôle et de sanction pour les entités publiques.
Les entreprises sollicitent-elles les intérêts moratoires ?
Là encore, le sujet des intérêts moratoires est une parfaite illustration de la méconnaissance des règles ou de leur mauvaise application. Le Code de la commande publique prévoit le versement automatique, sans formalité ni demande de l’entreprise, des intérêts moratoires. Mais en pratique, cette automaticité n’est pas mise en œuvre : certaines entreprises sont contraintes de les réclamer, d’autres craignent de le faire, certains acheteurs les refusent, d’autres demandent à les négocier…
Nous avions préconisé l’implémentation du simulateur du site servicepublic.fr dans Chorus Pro, de sorte à déclencher le début des intérêts moratoires dès le lendemain du retard de paiement et de permettre la génération d’une facture d’intérêts moratoires lors du paiement des sommes principales. Nous n’avons pas été entendus jusqu’ici mais nous poursuivons nos actions en ce sens.
La FNTP a réalisé une étude (en partenariat avec Vecteur Plus*) sur l’intégration de l’environnement dans les marchés publics de travaux. Quels en sont les principaux enseignements ?
Nous avons souhaité dresser un état des lieux précis de l’intégration des considérations environnementales dans les marchés publics à un an de la généralisation de la prise en compte de l’environnement dans les critères d’attribution et les conditions d’exécution, ainsi que du recours par les acheteurs publics aux variantes. Pour mémoire, la FNTP s’était fortement mobilisée lors des débats parlementaires pour décaler de cinq ans la mise en œuvre de cette disposition. Et force est de reconnaître que cette demande était manifestement fondée ! Nous avons en effet constaté, à travers le premier volet de l’étude portant sur une analyse quantitative de 4000 documents de consultation des entreprises entre 2022 et 2024, que seulement 14 % des marchés ont été ouverts aux variantes (autorisées ou obligatoires confondues) et que 68 % des marchés ont intégré un critère environnemental (que ce soit un critère principal ou un sous-critère).
Cela signifie qu’1/3 des acheteurs publics locaux n’ont toujours pas intégré de considérations environnementales, y compris lorsqu’il s’agit de recommandations du CCAG travaux, par exemple sur la mise en place d’un plan de gestion des déchets. D’ailleurs, si on exclut l’ensemble des considérations relatives à la gestion des déchets, les résultats s’effondrent. Cela montre combien nous avons encore grandement besoin de formations et de partages d’informations sur les enjeux environnementaux entre maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et entreprises.
La généralisation des considérations environnementales dans les marchés publics inquiète-t-elle les entreprises ?
Non, les entreprises ne sont pas inquiètes car elles les ont déjà intégrées au quotidien depuis de nombreuses années. Ce qui les inquiète en revanche, c’est la pertinence et la qualité des clauses environnementales qu’elles peuvent trouver dans les appels d’offres : exigences disproportionnées par rapport aux critères de notation, absence de méthode précise et quantifiable de notation permettant de différencier objectivement les candidats sur des considérations environnementales, manque de maîtrise des principaux postes d’émissions des chantiers et de maîtrise des méthodes de calcul relatives aux émissions du CO2.
Nous constatons aussi régulièrement la présence de clauses illégales sur la politique RSE de l’entreprise par exemple, ou de clauses qui nous paraissent peu efficientes sur le plan écologique. Il en résulte une augmentation du risque d’éviction des TPE/PME pour un gain environnemental très relatif, alors que nous pouvons parfaitement concilier les deux. C’est précisément dans cet objectif que nous avons référencé au sein du site gouvernemental dédié aux achats durables l’outil SEVE-TP.
Les acheteurs publics vous semblent-ils prêts à moins d’un an de l’échéance fixée par la loi Climat et résilience ?
L’intégration de l’environnement est un travail de longue haleine qui doit être mené collectivement entre maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et entreprises. Pour respecter les termes de la loi, nous devons améliorer nos connaissances communes sur les leviers de performance environnementale de nos chantiers.
Grâce aux travaux que nous avons menés en 2021 avec Carbone 4, nous savons que le principal levier de décarbonation de la majorité des chantiers est l’utilisation des matériaux pour les 2/3 de l’empreinte. L’efficience se joue donc aussi et surtout en amont du chantier, dans sa phase de conception et par la politique d’achats durables mise en place par le maître d’ouvrage.
La FNTP plaide pour qu’il soit plus largement recouru aux variantes. Pourquoi ?
Les variantes, solutions alternatives et vertueuses sur le plan technique et environnemental à l’initiative des entreprises, constituent aujourd’hui un levier trop peu utilisé par les acheteurs publics du fait notamment d’un cadre juridique trop contraignant. Pourtant, la présentation des variantes favorise l’innovation et la valorisation du savoir-faire des entreprises.
Nous saluons d’ailleurs l’adoption de l’amendement relatif aux variantes dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique (SVE), d’autant plus que nous sommes à l’origine de cette proposition. Il vient harmoniser le régime des pouvoirs adjudicateurs (collectivités locales entre autres) sur celui des entités adjudicatrices qui autorise par principe le recours aux variantes sauf s’il en est prévu différemment dans les documents du marché.
Quelles autres mesures du projet de loi SVE, qui devrait passer prochainement en commission mixte paritaire, attendez-vous ?
Le texte tel que voté à l’Assemblée nationale ne comporte que peu de dispositions liées à la commande publique. Je n’en citerai qu’une que nous défendons ardemment depuis plusieurs années qui vise à pérenniser le seuil de gré à gré des marchés de travaux à 100 000 euros HT. Ce seuil est aujourd’hui temporaire, jusqu’à la fin de l’année. A défaut de pérennisation d’ici fin 2025 ou de nouvelle prolongation, le seuil de 40 000 € s’appliquera automatiquement (à l’instar des marchés de fournitures et de services), alors qu’il n’est plus en adéquation avec la réalité économique des marchés de travaux ni même avec la pratique de nos voisins européens. La pérennisation de ce seuil de 100 000 € HT pour les marchés de travaux constitue un levier majeur d’accès à la commande publique pour les TPE et PME, permet un gain de temps considérable pour les collectivités et favorise une réalisation optimisée des projets.
Existe-t-il d’autres mesures de simplification que vous appelez de vos vœux ?
Sans être exhaustive, la FNTP continue de soutenir le relèvement du seuil des avances à 30 % pour l’ensemble des collectivités territoriales, une harmonisation du calcul des avances qui diffère suivant que le marché est d’une durée inférieure ou supérieure à 12 mois, la suppression de la partie fixe dans les formules de révision des prix ou encore le relèvement du seuil de gré à gré des travaux innovants de 100 000 à 300 000 euros.
La FNTP est-elle mobilisée sur la révision des directives européennes sur les marchés publics et les concessions engagée par la Commission européenne ?
Je vais être sincère, nous ne souhaitons pas la révision des directives européennes de 2014. Certes, la FNTP salue la pratique de l’Union européenne consistant à s’interroger régulièrement sur l’efficacité des textes et sur l’opportunité ou non de procéder à leur révision. Toutefois nous considérons, qu’en l’état actuel du bilan des directives de 2014, il n’y a pas lieu de procéder à leur révision. Pourquoi les modifier pour introduire des axes liés à la souveraineté, l’innovation et l’achat durable, qui y figurent d’ores et déjà ou sont accessibles via d’autre véhicules. Il paraît plus opportun de privilégier la sensibilisation de l’ensemble des parties prenantes aux règles applicables et aux mécanismes existants souvent méconnus.
La FNTP s’est depuis toujours engagée à soutenir toute mesure de simplification des règles de la commande publique. Parfois pourtant, c’est la stabilité des règles qui doit rester la priorité. L’appropriation de tout nouveau texte, tel que les directives, est un exercice difficile pour les entreprises, particulièrement les TPE/PME. Tout bouleversement excessif de réglementations déjà complexes déstabilise les entreprises et les met en danger.
Naturellement, si cette révision devait réellement aboutir, la FNTP défendra prioritairement le maintien du « lien avec l’objet du marché », le maintien de la faculté au niveau des acheteurs de définir et choisir les critères et les conditions d’exécution d’ordre environnemental et social et l’autorisation systématique des variantes afin de favoriser l’innovation.
*« Vecteur Plus » est une société du groupe Infopro Digital, auquel appartient aussi « Le Moniteur ».