Ces mardi 29 et mercredi 30 avril, les députés rediscutaient, en séance publique, du projet de loi de simplification de la vie économique (SVE), un texte fourre-tout déjà adopté en première lecture par le Sénat en 2024. Et ils n’en sont toujours pas arrivés au bout. Il reste plusieurs dizaines d’articles à passer au crible et des centaines d’amendements à examiner, ce qui serait désormais prévu pour les 30 et 31 mai, en raison de l’embouteillage parlementaire.
Ils ont tout de même eu le temps de se pencher, le 30 avril dans la soirée, sur les mesures qui concernent la commande publique. Ils s’en sont donné à cœur joie. Plusieurs amendements « révolutionnaires » ont été adoptés. Les députés RN et leurs alliés ciottistes, présents en nombre, en ont profité pour faire passer plusieurs amendements ayant pour motivation assumée de permettre aux collectivités territoriales de faire de la préférence nationale.
Le plafond des marchés publics sans formalités unifié... ou presque
Mais avant cela, les députés ont adopté un amendement, proposé de manière identique par plusieurs partis, et rédigé avec l’aide de France urbaine, qui a pour objet de relever le plafond de dispense de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable à 100 000 euros HT pour l’ensemble des marchés publics. L’idée étant de s'aligner, pour les fournitures et services, sur les seuils appliqués dans les marchés innovants et dans les marchés de travaux (et, pour ces derniers, de pérenniser le seuil de 100 000 €, qui n'était que provisoirement fixé).
Les auteurs de l’amendement soutiennent dans l’exposé des motifs que « cette mesure permettra d’ouvrir plus largement les marchés publics aux TPE/PME peu familiarisées avec les procédures de passation des marchés publics, et de générer des économies pour l’acheteur en lui permettant d’adapter les moyens mis en œuvre aux enjeux de son achat ».
Un autre amendement, adopté sur proposition de députés Démocrates, relève même (à partir de 2026) le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence des marchés de travaux au niveau du seuil européen de procédure formalisée... des marchés de fournitures et de services (!), c’est-à-dire 143 000 euros HT.
A noter, l’adoption d’un autre amendementremontant spécifiquement le seuil à 100 000 euros pour les marchés ayant pour objet l’acquisition de produits d’occasion, ou issus du réemploi et de la réutilisation. Et ce malgré l’adoption antérieure du seuil à 100 000 euros pour l’ensemble des marchés publics. « L’atteinte des objectifs sur l’économie circulaire implique de mettre en capacité l’acheteur d’acquérir rapidement des produits mis en vente souvent pour une durée très limitée. Or les règles de la computation impliquent souvent de réaliser ce type d’achat par une procédure d’appel d’offres, ne permettant pas à l’acheteur la réactivité suffisante », indiquent les députés Ensemble pour la République auteurs de l’amendement.
Toujours concernant les seuils des marchés publics, un amendement voté rehausse le plafond de dispense de mise en concurrence des marchés innovants au niveau des seuils européens (soit, en travaux, 5 538 000 €), pour rendre davantage de solutions éligibles qu’avec le seuil actuel de 100 000 euros.
Reste à savoir si ces mesures résisteront aux négociations de la commission mixte paritaire, puis au contrôle du Conseil constitutionnel. La ministre chargée du Commerce Véronique Louwagie n’y croit pas. Elle l’a répété à plusieurs reprises durant la séance. Pour elle, l’ensemble des mesures visant de rehausser les seuils risquent d’être censurées par le Conseil constitutionnel car certains d’entre elles contreviennent « aux principes constitutionnels d’égalité de traitement des candidats et de transparence ».
De la préférence locale
Un amendement du groupe Droite Républicaine, visant à permettre aux collectivités territoriales et aux acheteurs publics de mieux prendre en compte les critères liés à l’ancrage territorial des entreprises dans l’attribution des marchés publics, a également été adopté. Ainsi, si cette disposition venait à rester dans le texte final, les acheteurs publics pourraient « prévoir, dans les marchés publics qu’ils lancent, des critères d’attribution ou des conditions d’exécution visant à favoriser la participation des entreprises locales », notamment en prenant en compte la contribution du candidat à l’emploi local, la capacité du candidat à assurer un service de proximité, ou encore la réduction de l’empreinte environnementale liée aux transports et aux déplacements nécessaires à l’exécution du marché.
Selon l’exposé des motifs, cette disposition ne contreviendrait pas au principe de non-discrimination posé par le droit européen. Les critères proposés « sont conformes aux directives européennes, qui autorisent les critères sociaux et environnementaux, dès lors qu’ils sont proportionnés et objectifs ».
Un autre amendement, proposé par le RN et voté par l'Assemblée, veut permettre aux acheteurs publics de privilégier l'achat local dans le cadre de marchés sous le seuil de mise en concurrence en précisant que « les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente et locale [...] ». Comme l'a expliqué le député RN Matthias Renault en séance : « Avec cet amendement, clairement l’idée c’est de faire de la préférence nationale ou locale pour les marchés de travaux passés sans mise en concurrence préalable ni publicité – inférieurs à 143 000 euros, donc, compte tenu de l’adoption de l’amendement précédent. Vous allez me dire que c’est interdit par le droit de l’UE. Mais on est dans le cadre de marchés sans publicité ni mise en concurrence. Donc de fait, on est déjà dans le régime de l’entorse à la concurrence. Donc c’est un peu moins grave que si on faisait de la préférence locale avec des marchés formalisés » (sic).
Le retour de la candidature par numéro de Siret gravé dans la loi
Les députés ont également voté un amendement émanant d'Ensemble pour la République, qui vise à rétablir un système innovant de dématérialisation de réponse à la commande publique. Le but de cette mesure est d’alléger les démarches pour les candidats, en leur permettant de fournir l’ensemble des informations et pièces justificatives nécessaires à la candidature par la simple indication de leur numéro de Siret.
« Ce nouveau service allégerait considérablement les démarches des acheteurs en permettant que les documents et certificats nécessaires à la candidature soient collectés par les dispositifs électroniques comme ce fut le cas avec le dispositif MPS (Marché public simplifié) dont l’efficacité et la simplicité étaient reconnues », explique Danielle Brulebois, autrice de l’amendement. Autre objectif mentionné : « encourager les TPE-PME à accéder à la commande publique en faisant disparaitre la barrière administrative ». A noter que la mise en place de ce dispositif était déjà prévu, mais par voie réglementaire, par l'exécutif, dans le cadre du plan de simplification.
Oui aux variantes
Supprimée en commission spéciale, l'autorisation par défaut des variantes qu'avait introduite le Sénat a été rétablie sur amendement de la Droite Républicaine. La disposition votée inverse donc la règle actuellement en vigueur : pour les marchés passés selon une procédure formalisée, la présentation des variantes serait autorisée, sauf mention contraire dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt. Objectif, selon l'exposé des motifs : « encourager la créativité des entreprises tout en laissant au pouvoir adjudicateur la possibilité d’interdire les variantes s’il le juge nécessaire ».
Place, pas pour les collectivités territoriales
Plusieurs amendements identiques visant à supprimer la possibilité (adoptée en commission à l'Assemblée nationale), pour les collectivités territoriales et leurs groupements, d’utiliser la plateforme des achats de l’État, dénommée Place, et ce gratuitement, ont été adoptés en séance. Seule demeure à ce stade l'extension aux opérateurs de l’Etat, aux hôpitaux et aux organismes de sécurité sociale de l'obligation de passer par Place.
Car, « en concentrant les appels d’offres publics sur la plateforme Place, [l'article qui visait les collectivités territoriales] instaure un quasi-monopole de l’État, menaçant la diversité des offres et l’économie locale. De plus, cette centralisation met en péril un écosystème efficace, notamment la presse régionale. La suppression de cette diversité d’acteurs au profit d’un monopole centralisé mettrait en péril des milliers d’emplois directs et indirects », est-il expliqué dans les exposés des motifs. Plusieurs éditeurs (dont Infopro Digital, auquel appartient Le Moniteur) dénonçaient d’ailleurs, dans une tribune publiée début avril, le risque de faillite pour les éditeurs de plateforme si cette mesure venait à passer.
Un deuxième amendementconcernant la plateforme Place, déposé par des élus RN, a été adopté, pour que la gestion de la plateforme soit confiée à une plateforme française ou européenne. Ils estiment que le fait que ce soit « le canadien CGI qui ait été choisi en novembre 2024 par l’État pour opérer la plateforme de dématérialisation Place porte gravement atteinte à notre souveraineté numérique, au regard de la sensibilité des données hébergées ». En séance, la ministre a toutefois précisé que « cinq prestataires ont été sélectionnés pour assurer le fonctionnement et la maintenance du dispositif Place, qui est un système d’information qui appartient au ministère de l’Economie. Quatre sont français, un est une filiale française d’un groupe canadien ».
Pas de prorogation de l’expérimentation des MGPE-PD
L’article 4 bis A du projet de loi, ajouté par les députés en commission spéciale, a d’ores et déjà été supprimé en séance publique. Cet article ouvrait le champ du marché global de performance énergétique à paiement différé (MGPE-PD) aux opérations d’autoconsommation d’énergie (en sus des travaux de rénovation énergétique), et prévoyait la prorogation jusqu’au 31 décembre 2030 de l’expérimentation de ce dispositif. Mais un amendement a été adopté le 30 avril pour rayer cet article du texte.
Pour Danielle Brulebois, autrice de l’amendement, « la passation de MGPE-PD est une fois de plus une atteinte manifeste au principe d’allotissement des marchés et un outil de captation des marchés publics au détriment des très petites entreprises du bâtiment ».
Deux amendements du gouvernement
Enfin, deux amendements du gouvernement ont été votés par les députés présents. Le premier prévoit l’ajout d’un article dans le Code de la commande publique pour donner la possibilité aux acheteurs de réserver 15 % du montant total des lots d’un marché public de défense et de sécurité innovant aux jeunes entreprises innovantes. Ce qui permettrait « d’aligner les marchés de défense ou de sécurité innovants sur les marchés classiques innovants », selon l’amendement. Cependant, concernant les marchés classiques innovants, c'est la possibilité de réserver 30 % du montant total des lots aux jeunes entreprises innovantes qui a en réalité été votée sur amendement du groupe RN.
Le second amendement du gouvernement qui a été retenu a pour objet d’étendre à tous les acheteurs la possibilité offerte aux collectivités territoriales de mener une procédure de commande publique pour sélectionner un partenaire avec lequel elles créent une société à capital mixte (une société d’économie mixte à opération unique [Semop], en l’occurrence) en vue d’exécuter un marché public ou un contrat de concession.
En revanche, les députés ont refusé de rétablir dans le texte l’article voté en première lecture par le Sénat, qui prévoyait la création d’une nouvelle catégorie de marchés globaux sectoriels, afin de permettre à un acheteur de confier à un opérateur économique « une mission globale portant sur tout ou partie de la conception, de la construction et de l’aménagement d’infrastructures ou d’équipements publics ayant vocation à être imbriqués dans un ensemble immobilier plus vaste comportant un programme de logement, et dont l’opérateur économique assurera la maîtrise d’ouvrage globale ». Ce que souhaitait le gouvernement.