Dans un rapport publié le 18 novembre, le laboratoire d’idées Terra Nova formule une vingtaine de recommandations pour financerla décarbonation et l’adaptation au changement climatique des infrastructures, chiffrées à plus de 20Mds€, ainsi que la rénovation énergétique des bâtiments publics, évaluée à une dizaine de milliards.
Son auteur, l’avocat en droit public Benoit Thirion (1), préconise en particulier de mobiliser les financements privés « autant que possible » tout en trouvant de nouvelles sources de financement public. Une recette qui s’appuie sur des ingrédients déjà connus et qui font la part belle à la gestion déléguée.
Privilégier le paiement par l'usager
A commencer par la concession, contrat de la commande publique dont l’un des avantages est que les investissements sont réalisés par son titulaire, rémunéré par les recettes d’exploitation, et n’aggravent ainsi pas la dette publique. Son deuxième mérite : l’infrastructure est financée par ses utilisateurs, et non par l’ensemble des contribuables. Modèle qui « lorsqu’il est possible – c’est-à-dire lorsque l’infrastructure est le support d’un service marchand – devrait être privilégié par les collectivités publiques », estime Terra Nova.
Les concessions à l’heure de la sobriété
Modèle concessif et impératif de sobriété peuvent sembler antinomiques. Ce dont convient Terra Nova qui relève que le premier « repose sur la demande et les recettes d’exploitation », quand le deuxième « implique une modération de la demande et donc une baisse […] de ces recettes ». Le think tank livre alors plusieurs pistes pour « repenser la tarification pour assurer une transition juste ».
La première consiste à appliquer le principe de pollueur-payeur via une modulation des tarifs par période ou par profil d’usage, ou encore en instaurant des tarifs progressifs par tranches pour « distinguer les usages essentiels des usages de confort ». Le rapport recommande également de prévoir des rémunérations liées à la performance écologique. « Il est ainsi envisageable de lier la rémunération du partenaire privé à l’atteinte d’objectifs de baisse des volumes, d’économies d’énergie ou d’optimisation de la gestion des infrastructures », peut-on lire. Un modèle semblable à celui des contrats de performance énergétique et qui commence « à s’étendre à d’autres secteurs, notamment celui des déchets ».
Autre possibilité : diversifier les revenus des concessionnaires avec des activités annexes à l’objet du contrat. Terra Nova plaide aussi en faveur d’une nouvelle péréquation « écologique » pour permettre le financement de nouvelles infrastructures via les recettes dégagées par d’autres infrastructures.
Par ailleurs, il n’écarte pas l’hypothèse d’une augmentation des tarifs pour réaliser de nouveaux investissements. Le rapport souligne toutefois la nécessité de « tenir compte des problématiques sociales et d’acceptabilité » en prévoyant par exemple des tarifs sociaux ou des aides forfaitaires pour certaines catégories d’usagers.
Enfin, Terra Nova invite à renforcer la régulation des tarifs en cours de contrat pour éviter la création de rentes au profit des concessionnaires. Il s’agit de passer d’un modèle où la tarification est définie en amont sur la base des coûts prévisionnels du concessionnaire, estimés durant la procédure de mise en concurrence, à un modèle où les tarifs s’ajustent régulièrement aux coûts réels.
Utiliser le tiers-financement
A défaut de pouvoir mettre en œuvre le principe « utilisateur-payeur », le rapport recommande de recourir aux contrats de la commande publique à tiers-financement, au premier rang desquels le marché de partenariat (aussi appelé partenariat public-privé ou PPP).
Son principal intérêt est qu’il crée une « facilité de paiement » comme le relève Terra Nova : l’investissement est préfinancé par le titulaire du contrat, remboursé « par le biais d’un loyer, dans le cadre d’un paiement étalé dans le temps ». Schéma qui déroge à l’interdiction du paiement différé, applicable en principe aux marchés publics. Contrairement à la concession, ce type de contrat a un impact sur la dette publique lors du paiement du loyer et le coût de l’infrastructure est supporté par le contribuable et non par les seuls usagers.
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Supprimer l'interdiction du paiement différé
Terra Nova estime que le recours aux contrats à tiers-financement « pourrait être accru pour réaliser certains investissements nécessaires à la transition écologique ». Le think tank plaide ainsi pour une suppression, à des fins écologiques, de l’interdiction du paiement différé, dans la lignée de la création en 2023, à titre expérimental pour cinq ans, du marché public de performance énergétique à paiement différé, utilisable plus aisément qu’un marché de partenariat. Celui-ci est toutefois réservé aux seules opérations de rénovation énergétique des bâtiments publics.
« Un dispositif similaire pourrait être envisagé pour d’autres infrastructures publiques afin d’accélérer la transition écologique, comme, par exemple, les réseaux d’éclairage public pour financer des opérations de relamping ou de pilotage intelligent ou encore pour les installations de production d’énergie renouvelable réalisées par des collectivités publiques », imagine alors l’auteur du rapport.
Coût global et transfert du risque
Outre la mobilisation de financement privé, ces différents modes de gestion déléguée présenteraient plusieurs avantages pour la puissance publique. D’abord une externalisation des risques, transférés (à des degrés variables selon le type de contrat) vers des entreprises spécialisées qui peuvent en outre réaliser des économies d’échelles en exploitant plusieurs infrastructures similaires.
De plus, les concessions et les marchés à tiers-financement sont des contrats globaux, incluant toutes les phases de la conception à l'exploitation de l'infrastructure, ce qui permettrait d'optimiser son coût complet, estime Terra Nova.
La gestion publique : une option à peine envisagée
Faire appel à l’expertise du privé serait en outre nécessaire pour pallier l’inefficacité du secteur public. Le rapport note que « trop souvent l’Etat est un mauvais maître d’ouvrage […] et néglige l’entretien et la maintenance de ses infrastructures ». Ce qui conduit le think tank à évacuer rapidement de sa réflexion les modèles de gestion publique. Y compris la création d’entreprises publiques car « un actionnaire public est généralement moins exigeant qu’un actionnaire privé sur la performance d’une entreprise ».
Les concessions et les marchés à tiers-financement seraient au contraire propices à la performance, en raison notamment de leurs modèles de rémunération incitatifs et de la remise en concurrence périodique.
Renforcer le contrôle
« Déléguer n’est pas se décharger d’une responsabilité mais impose, pour la partie publique, d’exercer pleinement ses prérogatives », relève toutefois le rapport qui livre plusieurs pistes pour « refonder la gestion déléguée ». D’abord en renforçant « l’exercice du contrôle par la puissance publique », qui doit se doter des compétences nécessaires. Il recommande également aux collectivités territoriales de « se regrouper pour réaliser des projets complexes ». Il invite aussi à « simplifier et standardiser les contrats ».
Mieux prévoir les investissements
La rédaction des stipulations relatives aux investissements dans les concessions et les marchés publics à tiers-financement devrait aussi être revue. Terra Nova préconise d’intégrer systématiquement des « clauses liées au changement climatique, dans ses deux volets (mitigation, adaptation), ou à la biodiversité […] pour permettre de mettre en œuvre des investissements de décarbonation ou de verdissement en cours de contrat ». Une réponse au reproche de trop grande rigidité souvent formulé à l’encontre de ces contrats de longue durée.
Dans le même ordre d’idée, le think tank invite les pouvoirs publics à définir leurs besoins « en tenant compte de l’enjeu écologique et en favorisant l’innovation ». Les investissements devraient en outre être programmés en cohérence entre les différents contrats ainsi qu’avec la planification nationale.
Préserver l'équilibre
Enfin si le rapport relève que les « investissements dans les infrastructures sont recherchés par les investisseurs institutionnels […] dans la mesure où ils offrent, sur le long terme, un rendement régulier et une protection contre la volatilité des marchés et l’inflation », il note que cela suppose tout de même d’offrir aux entreprises « une visibilité sur la rentabilité de leur investissement et de leur garantir la stabilité du cadre juridique et fiscal dans lequel ils évoluent ». Un principe que les pouvoirs publics auraient eu tendance « à remettre en cause » ces dernières années, selon Terra Nova.
Le financement privé ne suffira pas, alors Terra Nova liste une série de leviers pouvant être actionnés par le secteur public pour trouver de nouvelles ressources.
Telle la valorisation du patrimoine public, qui pourrait passer par la cession de certains bâtiments – le rapport citant l’objectif que s’est fixé l’Etat de réduire de 25 % ses surfaces de bureaux – ou par leur mise en location via des baux conclus avec des partenaires privés. Lesquels pourraient développer « de nouveaux projets immobiliers, de rénovations ou de transformations », qui reposeraient alors, à nouveau, sur différentes formes de contrats de gestion déléguée du patrimoine immobilier » comme les concessions ou les marchés de partenariat.
Autre piste : augmenter le recours aux certificats d’économie d’énergie (CEE). Pour ce faire, Terra Nova recommande de « faciliter la valorisation des économies d’énergie dans le cadre de regroupements de collectivités pour atteindre le seuil d’éligibilité aux CEE » et de « développer de nouveaux programmes visant le financement des études comme des travaux ».
Le rapport préconise aussi de « capter la valeur créée par les nouvelles infrastructures », sur le modèle de celui retenu pour le financement du Grand Paris Express via la création de plusieurs contributions additionnelles à la taxe de séjour. Comme l'observe Terra Nova, « il est envisagé aujourd’hui de décliner ce modèle localement pour déployer certaines nouvelles lignes à grande vitesse, comme le Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO), ainsi que les services express régionaux métropolitains (Serm) ».
(1) Rapport rédigé par Benoit Thirion, avocat associé chez Hoche avocats, avec la participation de Cécile Fontaine, cheffe du département des affaires publiques et juridiques de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, Hélène Hoepffner, professeur agrégée de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et présidente de la commission juridique de l'Institut de la gestion déléguée, Emmanuel Pellisson, président de Finance Consult, et Stéphane Saussier, professeur de sciences économiques à l'IAE Paris-Sorbonne et directeur de la Chaire économie des PPP.