Décryptage

Commande publique : dans les stades de foot, le PPP mis hors jeu

Collectivités et exploitants payent le tribut de l'échec des contrats de partenariat conclus pour la construction des stades en vue de l'Euro 2016. D'autres modèles ont, depuis, fait leur apparition.

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A Brest (Finistère), le club de football local a fait le choix d'être propriétaire de son nouveau stade dont le permis de construire a été déposé en juin 2024.

Entre 2008 et 2011, les Villes de Marseille (Bouches-du-Rhône), Nice (Alpes-Maritimes), Bordeaux (Gironde) ainsi que la communauté urbaine de Lille (Nord) ont fait le choix de recourir au partenariat public-privé (PPP) pour rénover ou construire leurs stades de football. Juridiquement appelé contrat de partenariat - rebaptisé marché de partenariat en 2016 -, ce montage permet de confier à un opérateur unique la conception, la réalisation, la maintenance et l'exploitation d'une infrastructure publique. Avec une spécificité : les investissements sont préfinancés par les titulaires des PPP, qui sont remboursés tout au long du contrat par les loyers que leur versent les collectivités. « Les PPP ont représenté une opportunité pour celles qui voulaient se doter, dans des délais contraints, d'enceintes capables d'accueillir des rencontres de l'Euro 2016, sans disposer des moyens suffisants pour le faire en maîtrise d'ouvrage publique », resitue Jérémy Moulard, docteur en management du sport à l'université de Lausanne (Suisse).

Le chercheur rappelle aussi que « les seuls acteurs capables de répondre aux consultations étaient les majors du BTP ». Vinci a emporté la mise à Nice ainsi qu'à Bordeaux (aux côtés de Fayat), Eiffage à Lille et Bouygues à Marseille. « Ce sont des groupes qui ont une grande habitude du temps long et des capacités d'ingénierie à la fois technique, financière et d'exploitation, commente un professionnel de la gestion des stades. Ils sont à l'affût des projets pour lesquels ils peuvent mobiliser ces compétences. »

Des résultats loin du compte. Plus de dix ans après, les résultats financiers des quatre sociétés spécialement créées pour l'exécution de ces PPP ne sont toutefois pas à la hauteur des attentes. A Marseille et Bordeaux, elles ne sont bénéficiaires que depuis, respectivement, 2022 et 2023. A Lille, la filiale d'Eiffage est en déficit depuis le début du contrat. Situation similaire à Nice, où l'émanation de Vinci a même fait l'objet d'une procédure de sauvegarde en 2021. Principale explication : le modèle économique, basé sur l'organisation d'événements en dehors des rencontres sportives, ne fonctionne pas à plein régime. « Les équipements se font concurrence entre eux sur l'événementiel donc il leur est difficile d'être rentables », constate Jérémy Moulard, qui met aussi en avant le surdimensionnement des enceintes construites.

C'est le cas de l'Allianz Riviera (Nice), qui affichait lors de la saison 2023-2024 un taux de remplissage de seulement 72 % lors des matchs de l'OGC Nice, ou du stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d'Ascq, près de Lille, rempli à seulement 81 % de sa capacité pour les rencontres du Losc. Et l'universitaire de pointer le rôle des majors, qui ont « réalisé des équipements trop grands, sans doute pour faire davantage de marge sur la construction et l'entretien ». Certains considèrent, au contraire, que les entreprises n'ont fait que répondre aux cahiers des charges qui leur étaient imposés. « Un contrat de partenariat découle d'abord d'un besoin exprimé. S'il y a un problème de dimensionnement, la responsabilité en incombe aux collectivités », estime un exploitant.

Un outil onéreux. Autre reproche fait aux PPP : ils coûteraient cher aux personnes publiques. « Les situations sont variables. Cela dépend avant tout de la négociation », nuance ce même acteur. Par exemple, à Lille, le contrat serait plutôt favorable à la métropole. La chambre régionale des comptes des Hauts-de-France relevait ainsi, dans un rapport de 2017, que les surcoûts du chantier, dépassant les 45 %, étaient supportés par Eiffage seul.

En revanche, le stade Vélodrome coûte à la Ville de Marseille trois fois plus cher que ce qu'elle escomptait, selon un rapport de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur publié en septembre dernier. Et à Bordeaux, la métropole paye les déboires du club résident du Matmut Atlantique. Elle a accepté, en raison de la mauvaise santé financière des Girondins, de renoncer à la redevance d'occupation que ces derniers doivent lui verser pour pouvoir jouer. Or la collectivité comptait sur cette somme, environ 4 M€ par an, pour le règlement de ses loyers au titulaire du PPP. Une situation qui n'est pas près de s'arranger avec la rétrogradation du club au niveau amateur en août dernier.

Cela fragilise également l'exploitant qui craint que l'absence d'un club résident de premier plan ne remette en cause le renouvellement du contrat de naming conclu avec Matmut. « C'est une manne financière, expose l'avocate Gaële Chamming's. Elle lui permet de payer une partie des recettes garanties prévues dans le contrat de partenariat. » Ce mécanisme, par lequel le titulaire s'engage sur un niveau de recettes à reverser annuellement à la collectivité, est au cœur des PPP conclus pour les stades et explique en partie les difficultés financières des exploitants, qui ne parviennent pas à dégager suffisamment de revenus en plus des recettes garanties déjà difficiles à acquitter.

La place des clubs en question. Les clubs seraient également perdants dans les PPP. « Ils n'ont pas été associés à la conception des équipements et ne participent pas à leur programmation », souligne Jérémy Moulard. Une situation là aussi causée par les collectivités, à en croire un professionnel de la gestion des stades. « Les exploitants sont d'accord pour considérer que l'avenir est d'avoir des clubs davantage investis. Le PPP le permet mais ce n'était pas le modèle proposé pendant les appels d'offres. » Les collectivités ont préféré reproduire le schéma historique à deux acteurs avec, d'un côté, une commune ou une métropole, propriétaire de l'équipement, et, de l'autre, un exploitant unique, soit un club soit une société commerciale.

« Le modèle dominant en France est la convention d'occupation du domaine public, indique Eric Adamkiewicz, maître de conférences en management du sport et développement territorial à l'université Paul-Sabatier-Toulouse 3. Le club verse une redevance en contrepartie de l'utilisation du stade tandis que la collectivité le construit et assume les frais d'entretien. » Ce montage ne serait pas non plus optimal, la charge des investissements étant toujours supportée par la personne publique. « Or l'âge des équipements sportifs est très avancé, relève Jérémy Moulard. Ils font face à des enjeux de vétusté et de mise aux normes que les collectivités ne peuvent pas assumer seules. »

Montages alternatifs. Un modèle alternatif commence à émerger avec le bail emphytéotique administratif « dans lequel la collectivité reste propriétaire de l'équipement et confie l'intégralité de sa gestion au club, qui doit réaliser les investissements nécessaires », observe Eric Adamkiewicz. C'est le montage retenu depuis 2017 pour le stade Saint-Symphorien de Metz (Moselle), dont la rénovation de la tribune sud a été effectuée par le FC Metz.

A Brest (Finistère), la construction d'une nouvelle enceinte sportive a été préférée à la rénovation de l'actuel écrin du Stade brestois, estimée à 50 M€. Les travaux (106,5 M€) sont supportés aux deux tiers par le club, qui en assure la maîtrise d'ouvrage et deviendra propriétaire de l'équipement. Un projet privé qui repose tout de même sur une étroite collaboration avec les collectivités. « Il est indispensable de les associer, par exemple pour la réalisation des infrastructures autour du site », constate Jérémy Moulard. Comme ce fut le cas à Décines (Rhône) pour la construction du Groupama Stadium par l'Olympique lyonnais (2016), à laquelle les acteurs publics ont participé à hauteur de 182 M€ pour les travaux de viabilisation, d'aménagement et d'accès. Et Eric Adamkiewicz de conclure : « En définitive, il y a toujours de l'argent public, quel que soit le modèle. »

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