Organiser l’échéance des concessions d’autoroutes et préparer l’après, tel est l’objet du rapport d’information publié le 23 octobre 2024 par la commission des finances du Sénat. Son auteur, le sénateur Hervé Maurey (Union centriste – Eure), formule quatorze recommandations pour remettre l’Etat en position de force dans ses rapports avec les sociétés concessionnaires.
L'Etat a pris du retard
Car « la position qu’adopte actuellement l’Etat concédant dans les négociations est inquiétante », relève le rapporteur. En particulier s’agissant de la préparation des procédures de fin de contrat, qui souffre d’un manque d’anticipation alors que les sept concessions historiques, qui couvrent environ 90 % du réseau concédé, arrivent à échéance successivement entre 2031 et 2036. Le rapport déplore ainsi le retard pris sur toutes les étapes, comme la réalisation des inventaires et des états des lieux. Lesquels doivent notamment permettre à l’Etat de notifier aux concessionnaires un programme d’investissements à effectuer afin que les infrastructures remises en fin de contrat soient en bon état d’entretien.
La fin justifie les moyens
Avec une difficulté majeure : les contrats de concessions historiques ne définissent pas cette notion de « bon état d’entretien », qui peut dès lors recouvrir des acceptions relativement différentes allant du « bon état courant » à « l’état neuf », en passant par le « bon état optimisé » voire « parfaitement optimisé ». Il revient dès lors à l’Etat de définir une doctrine en la matière. Une tâche qui se heurte d’une part à une insuffisance d’effectifs et de compétences, et d’autre part aux objections des sociétés concessionnaires « non enclines à réaliser les investissements de fin de contrat ».
Une situation qu’illustre le cas des ouvrages d’arts dits « évolutifs », en application d’une classification du Cerema, car présentant des pathologies notamment de gonflement des bétons. L’Etat serait en passe d’accepter une « option de traitement a minima » de ces ouvrages afin d’éviter un contentieux avec les concessionnaires. Une position jugée « intolérable » par le rapporteur pour qui « l’Etat ne doit pas craindre de défendre ces intérêts légitimes devant le juge » et « doit user de la plénitude de ses prérogatives de puissance publique ».
Des contrats déséquilibrés
La posture de l’Etat peut s’expliquer par « les défauts majeurs » que présentent les concessions historiques. Elles contiennent notamment des « clauses contractuelles peu protectrices » pour le concédant, placé en situation défavorable. Pour Hervé Maurey, cela résulte de l’histoire de ces contrats conçus initialement pour régir des rapports entre entités publiques et qui n’ont pas été révisés lors de la privatisation des sociétés d’autoroutes en 2006. En outre, le déséquilibre des contrats a été exacerbé par leurs multiples prolongations qui ont donné lieu à des avenants économiquement avantageux pour les concessionnaires, comme lors du plan de relance autoroutier de 2015 ou du plan d’investissement autoroutier de 2017.
Un suivi insuffisant
Plus grave, le rapport dresse le constat d’un « défaut de suivi injustifiable » des concessions par les services de l’Etat, en particulier par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) rattachée au ministère en charge des Transports. Une lacune qui peut elle aussi s’expliquer par une insuffisance de moyens humains mais aussi par un manque d’implication de la DGITM qui préfère s’en remettre à l’Autorité de régulation des transports s’agissant de l’analyse de la rentabilité des concessions. Une approche « indéfendable » aux yeux du rapporteur.
Des concessions rentables
D’autant que les contrats historiques se sont révélés « plus rentables qu’anticipé », en raison notamment des gains de refinancement obtenus par les sociétés d’autoroutes dans un contexte de taux d’intérêts très bas ou encore de la baisse de la fiscalité comme l’impôt sur les sociétés ou la contribution économique territoriale. Des paramètres qui n’ont bénéficié essentiellement qu’aux concessionnaires, en raison de l’absence de mécanisme d’encadrement de la rentabilité dans les contrats.
Ne pas résilier
Pour autant, le modèle concessif ne doit pas être enterré, estime Hervé Maurey qui écarte la voie de la résiliation anticipée. Celle pour motif d’intérêt général, que l’Etat peut mettre en œuvre en raison de ses prérogatives de puissance publique, lui coûterait entre 40 et 50 milliards d’euros.
Quant à celle sans indemnisation, que le Conseil d’Etat a admise sous conditions dans un avis du 8 juin 2023, elle présente trop de risques juridiques. L’administration devrait notamment établir que l’évolution de la rémunération des capitaux investis par le concessionnaire et de sa rémunération est « particulièrement importante et durable » et conduit à « «une altération profonde et irréversible de l’équilibre économique de la concession ». Ce qui s’avère difficile dans la mesure où le transfert de risque inhérent à un contrat de concession doit jouer également de façon favorable pour son titulaire, comme l’a reconnu la Haute juridiction dans son avis.
Moins de risque budgétaire
Transfert de risque qui constitue un des principaux atouts de la concession et qui justifie de poursuivre sur cette voie à l’issue des contrats historiques, pointe le rapport. Il balaie ainsi les pistes de la gestion en régie ou celle du marché de partenariat dans lesquelles l’Etat supporterait davantage de risques, en particulier le risque trafic.
Surtout, ces modèles alternatifs présenteraient l’inconvénient d’augmenter les dépenses publiques, contrairement à la concession qui repose sur la mobilisation de financement privé. Or cela exposerait les dépenses d’entretien des autoroutes aux contraintes et aléas budgétaires et aboutirait à la situation actuelle du réseau routier non concédé, qui pâtit d’un déficit d’investissement et est très dégradé.
Préserver les recettes de l'Etat
De plus, la concession « justifie davantage le modèle de paiement par l’usager », peut-on lire dans le rapport. Les recettes tirées des péages permettent de « sanctuariser le budget d’entretien » mais aussi d’abonder les finances de l’Etat, qui prélève environ 36 % de leur total soit près de 5 milliards d’euros chaque année.
Renforcer l'encadrement
Dès lors, le rapport invite à poursuivre sur la voie de la concession, à condition de la réformer profondément. En commençant par corriger les lacunes des contrats historiques. Ce que les dernières concessions conclues ont commencé à faire, avec l’introduction de mécanismes d’encadrement de la rentabilité du concessionnaire qui prennent la forme de clauses de partage des gains d’exploitation ou des gains de refinancement, ou de clauses de durée endogène permettant de résilier le contrat dès lors qu’un seuil de rentabilité est atteint. En outre, elles se montrent plus prolixes quant à la définition des procédures de fin de contrat.
Les éventuelles futures concessions devront aussi être plus équilibrées. Ce qui passe par une limitation de leur durée, jusqu’à 20 ans maximum. Hervé Maurey préconise également de prévoir des « périmètres géographiques resserrés ». Ces deux mesures permettraient d’intensifier la concurrence, plaçant les concessionnaires dans des positions plus instables. De plus, le rapport recommande de définir et d’encadrer plus précisément les paramètres économiques et financiers des prochains contrats. Lesquels pourraient être révisés tous les cinq ans « pour éviter le risque de captation d’une rente indue » par les sociétés d’autoroutes.
Contrôle interministériel
Enfin, la gouvernance de l’Etat devrait être renforcée. Notamment en intégrant davantage le ministère chargé de l’Economie et des Finances. Des premiers travaux ont déjà été entrepris en ce sens : en 2023, Bercy, via son service Fin Infra, a développé un outil de suivi des concessions d’autoroutes.