Intermédiation et fraudes publiques : les fils d'un malentendu

Après avoir semé le trouble dans le secteur, un amendement adopté sur la RGE dans la loi contre les fraudes aux aides publiques poursuit sa navette parlementaire. Récit.

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intermediation

En octobre 2024, le député de Gironde Thomas Cazenave (Ensemble pour la République), dépose une proposition de loi de lutte contre la fraude aux aides publiques. Son constat est accablant : « Le dispositif de lutte contre la fraude n’est pas à la hauteur des 20 Mds€ potentiellement “fraudogènes” et distribués par l’État (MaPrimeRenov’, le Compte personnel de formation, les aides à l’apprentissage, etc.). Ma proposition vise un objectif exclusif : renforcer les échanges entre les administrations et serrer la vis pour lutter contre des réseaux criminels qui détournent une partie de ces aides. » Les dérives observées sur les travaux de rénovation énergétique stimulés par les Certificats d’économie d’énergie (CEE) et les aides versées au titre de MaPrimeRénov’ (MPR) sont conséquentes : 480 M€ de fraudes en 2023 pour les premiers et 400 M€ pour les secondes.

Un amendement surprise

Le texte parlementaire propose la suspension temporaire du versement des aides publiques en cas de suspicion de fraude mais aussi le partage d’informations entre services. Jean-Pierre Vigier (Droite républicaine), député de Haute-Loire, dépose et fait adopter, contre l’avis du rapporteur Cazenave, un amendement, additionnel à l’article 3 sur la lutte contre la fraude à la rénovation. Celui-ci prévoit, outre la limite à deux rangs de sous-traitance pour « les travaux de rénovation énergétique », une mesure consensuelle, de conditionner la réalisation de travaux (aidés) à l’obtention de la qualification RGE « pour l’entreprise principale qui réalise la facturation et l’entreprise sous-traitante » qui réalise les travaux.

De vives réactions

C’est la stupeur. Certains acteurs de l’intermédiation (ceux qui réalisent la facturation) ne pouvant prétendre à la qualification RGE, mais accompagnant des artisans dans le cadre de travaux de rénovation énergétique, s’offusquent. La Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC) « fait part de sa vive protestation de voir figurer une telle disposition dans un projet de loi relatif à la fraude aux aides publiques ». Le député Vigier veut écarter toute ambiguïté : « On demande aux artisans d’être labellisés RGE tandis que des grandes surfaces de bricolage, qui ne le sont pas, leur sous-traitent des travaux éligibles aux aides publiques. La compétence des distributeurs –qui ne sont pas des fraudeurs–, c’est de vendre des matériaux! Chacun à sa place. »

« Ma mesure ne déstabilisera pas le marché de la rénovation énergétique. C'est autant que les artisans traiteront direct. » Jean-Pierre Vigier, député, auteur de l'amendement sur la RGE.

Une « double erreur »

Thierry Jaulin, DG de Financière BigMat, qui a lancé en 2019 le concept fourni/posé auprès des particuliers et mis en place un réseau de 200 installateurs sur 23 magasins dans l’Ouest, est furieux : « Nous accompagnons les artisans sur les CEE et MPR, nous leur avançons la trésorerie. Nous sommes engagés dans un travail d’équipe et non dans une concurrence avec les artisans ! En nous mettant dans le même sac que les fraudeurs, ce sont les artisans qui ont le plus à perdre ! » Le rapporteur Cazenave parle d’une «double erreur » : « Ce débat porte sur la répartition de la valeur entre de grands opérateurs et les artisans, mais c’est sans lien avec la fraude ! En interdisant aux artisans de contracter librement avec ces opérateurs, c’est la dynamique même de ce marché qui va être coupée. »

« Cet amendement Vigier, déposé sans étude d'impact et voté contre mon avis, a un côté apprenti sorcier et génère des amalgames. » Thomas Cazenave, député, rapporteur de la proposition de loi.

Vers une voie parallèle

Par la voix de son vice-président Franck Perraud, la FFB rappelle « qu’il n’y a pas de confrontations entre acteurs » et regrette que les distributeurs ou intermédiaires sérieux soient « ciblés ». Il suggère de profiter des « 12 à 18 mois avant la promulgation de la loi », pour construire « une voie parallèle pour le RGE ». Aristide Belli, pilote du programme Oscar (Optimisation et simplification des CEE pour les artisans de la rénovation), rappelle que « les négoces, auprès desquels ont été formés des RAR (Référents d’aides à la rénovation), ont un rôle complémentaire d’accompagnement des artisans et que l’avenir passe par une harmonisation des critères et une digitalisation complète des dossiers ». La solution (provisoire ?) arrive lors du passage du texte au Sénat.

Le Sénat trouve une solution

Un amendement déposé par Antoine Lefèvre (Les Républicains), sénateur de l’Aisne, permet de reporter au 1er janvier 2027 l’entrée en vigueur de cette disposition. Olivier Rietmann (Les Républicains, Haute-Saône), rapporteur de la proposition de loi au Sénat, se veut rassembleur : « Comme le dit le rapporteur Cazenave, cette disposition n’a pas de lien avec la fraude, mais Jean-Pierre Vigier a raison de souligner que les ensembliers doivent avoir un label RGE par souci d’équité, et qui sera créé par décret. » À suivre.

« En demandant la création d'un label RGE pour les distributeurs, il s'agit de rendre la loi applicable et acceptable. » Olivier Rietmann, sénateur, rapporteur de la proposition de loi.

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