Tribune

« ZAN : l’heure du choix, entre prorogation des tendances et disruption », Amaury Krid, urbaniste

Alors que les sénateurs examineront courant mars la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, l’urbaniste Amaury Krid met en garde contre un énième report du calendrier de mise à jour des documents d’urbanisme, qui ne ferait que reproduire les faiblesses de la loi Climat et résilience. Il appelle même à oublier les délais et à bâtir un nouveau modèle fiscal permettant réellement de ménager nos territoires.

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Amaury Krid
Pour l'urbaniste Amaury Krid, la proposition de loi Trace est décorrélée des enjeux.

L’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols inscrit dans la loi Climat et résilience du 22 août 2021 possède l’immense mérite d’avoir placé la consommation foncière au cœur des débats publics.

Du côté des professionnels et des élus, un consensus fort a été bâti autour de cette notion ces quatre dernières années : oui, notre façon d’aménager les territoires n’est pas tenable alors que les effets du réchauffement climatique sont clairement visibles. Il faut se réjouir de cet objectif dans la mesure, où depuis la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000, plusieurs grandes lois comme les Grenelles de l’Environnement et l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), mettaient déjà en évidence l’enjeu majeur de mettre fin à l’étalement urbain sans que cela ne devienne pour autant un sujet sociétal

Là où quelques voix s’élèvent concernant le ZAN, c’est sur sa méthode d’application. Le zéro dans le titre du dispositif peut sembler vexatoire, mais là n’est pas le problème. Le fait de réduire la consommation foncière de 50 % entre 2021 et 2031 vis-à-vis de la décennie précédente implique un mécanisme de mise à jour des documents de planification et d’urbanisme. De fait, il est nécessaire de faire évoluer en premier lieu les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), puis les schémas de cohérence territoriale (Scot) et enfin, les plans locaux d’urbanisme (PLU).

Discordance entre l’objectif et les moyens pour y parvenir

La grande faiblesse de la loi Climat et résilience réside dans les délais accordés pour mettre à jour les documents d’urbanisme. Les Sraddet devaient être actualisés avant le 22 novembre 2024. Force est de constater que peu le sont aujourd’hui. Les Scot ont jusqu’au 22 février 2027 et les PLU jusqu’au 22 février 2028. Les autorisations d’urbanisme étant accordées à partir des PLU, on va donc continuer à délivrer des autorisations de construire qui n’intègrent pas les objectifs de la loi Climat et résilience jusqu’à trois années avant 2031.

Dans ces conditions, comment atteindre l’ambitieux objectif de réduire la consommation foncière observée entre 2011 et 2021 de 50 % sur la décennie suivante ? Il y a une discordance entre l’objectif fixé par la loi et les moyens qu’elle s’attribue pour garantir sa réussite.

Rendre caduques les zones à urbaniser des PLU de plus de dix ans

En 2014, quand la loi Alur identifie les plans d’occupation des sols (POS) surannés comme des vecteurs de l’étalement urbain, elle impose leur disparition trois années au plus tard après sa promulgation (avec des ajustements pour les révisions en cours). Rappelons qu’un PLU approuvé, par exemple en 2014, a généralement été travaillé entre 2010 et 2013. Pourquoi dès lors ne pas imposer une caducité des zones à urbaniser des documents d’urbanisme de plus de dix ans via la loi ? Il s’agirait d’un bon moyen d’alimenter l’objectif de -50 % sur la décennie en cours, tout en récompensant les élus qui se sont donné les moyens d’avoir un document d’urbanisme récent.

En l’état du droit et en additionnant les territoires exemplaires et les bonnes volontés plus ponctuelles, il semble pour le moins improbable que les -50 % soit atteints fin 2031. Dès lors, faut-il se complaire dans l’existence de cet objectif ou être disruptif ?

Supprimer l’objectif de -50 % entre 2021 et 2031

J’opte sans hésiter pour la seconde option et propose de supprimer l’objectif fixé entre 2021 et 2031. Une proposition qui peut sembler étrange tant l’urgence de changer nos pratiques est patente. Mais revoir totalement un modèle d’aménagement du territoire à l’œuvre depuis sept décennies n’a rien d’évident. La réticence au changement est un phénomène bien connu qui s’exprime naturellement dans de nombreux cas. Imaginez, par exemple, qu’il s’agisse de densifier le terrain situé en face de votre fenêtre, seriez-vous aussi enclin au changement que vous ne le pensiez avant cette question ?

Ne voulons-nous pas changer le modèle d’aménagement du territoire ? Ou ne pouvons-nous pas changer un modèle fonctionnel malgré ses impacts environnementaux, sociaux et économiques en l’absence d’alternatives viables ?

Rendre la densification moins onéreuse

Le renouvellement urbain, la densification et l’intensification urbaine fonctionnent là où la pression foncière est forte, mais pas partout. Il est plus simple de recycler des tissus urbains dans une grande métropole que dans un petit village. Dans ces territoires ruraux, c’est généralement la consommation d’espace naturel ou agricole qui permet de faire sortir des projets.  Or, cet étalement urbain qui n’a pas cessé a pourtant des conséquences fortes sur nos déplacements : le rêve français est-il vraiment de posséder une petite maison à une heure de route de son lieu de travail ?

Ce qui manque au ZAN, ce n’est pas une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace), du nom de la nouvelle proposition de loi formulée par les sénateurs et qui sera débattue en séance les 12, 13 et 18 mars. Ce qui lui manque réellement, c’est son financement, soit la capacité à rendre le renouvellement urbain, la densification et l’intensification des tissus existants moins onéreux que la consommation foncière, partout en France.

Aucune loi ne s’est attelée à l’aspect financier depuis 2000 alors que la loi SRU affirmait déjà clairement l’objectif de stopper l’étalement urbain. Les acteurs de l’aménagement sont simplement attachés à ce qui opère. Changeons ce qui opère et le ZAN réussira. C’est plus complexe que de demander des évolutions à marche forcée des documents d’urbanisme auprès des collectivités, mais cela sera assurément plus efficace.

Eviter de reproduire les faiblesses de la loi Climat et résilience

La proposition de loi Trace me semble pour le moins décorrélée des enjeux. Il est proposé de décaler une nouvelle fois, après la loi ZAN du 20 juillet 2023 - elle aussi émanant d’une proposition sénatoriale -, les délais de mise à jour des différents documents d’urbanisme : Sraddet, Scot et PLU. En point d’orgue, le PLU sur lequel sont délivrées les autorisations d’urbanisme, devrait avoir intégré les objectifs de la loi Climat et résilience avant le 22 août 2036. Pourquoi vouloir reproduire la principale faiblesse de ce texte sur 2031-2041 ?

Révolutionner l’aménagement du territoire

Oublions les délais actuels et fixons une réelle ambition de révolutionner notre manière d’aménager le territoire, par exemple à partir du 1er janvier 2030. Cela nous donnerait cinq années pour bâtir un modèle avant tout fiscal, permettant d’aménager et de ménager nos territoires sans continuer inlassablement à faire disparaître des terres agricoles et naturelles.

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