Les notaires publiaient en décembre dernier le chiffre de la baisse à deux chiffres des terrains à bâtir. Il ne s’agit pas des opérations de logement collectif, de logement social, de renouvellement urbain, de requalification de centre-ville, de mutation des entrées de villes, des zones commerciales, non plus des densifications. Il s’agit bien du nombre des ventes de terrains à bâtir, isolés, pour des constructions particulières ou de petite promotion. Qu’est-ce qu’un terrain à bâtir ? Réponse : une parcelle agricole.
Réponse à méditer à l’heure où gronde un mécontentement agricole parmi lequel se trouve aussi la question de l’accès à la terre, de la spéculation sur les terres agricoles, et réciproquement, la question épineuse de l’artificialisation silencieuse mais massive par les exploitants pour financer les départs en retraites d’une population qui, dans sa majorité, vit chichement. 90% de l’artificialisation en France est réalisée sur des terrains agricoles.
Or cette annonce de la chute des terrains à bâtir a entraîné rapidement son concert de réactions préoccupées, dans un réflexe presque automatique. Une analyse critique de ces motifs permet de réaliser un bon exercice de compréhension des causes d’un phénomène encore mal admis en France : notre addiction à l’artificialisation. En France, nous artificialisons davantage par habitant que tous nos voisins européens. L’artificialisation progresse quatre fois plus vite que la démographie. Alors, pourquoi cette inquiétude sur la baisse des terrains à bâtir ?
« Loger n’est pas artificialiser »
Première raison : un réflexe pavlovien. Tout ce qui baisse est de mauvais augure. Dans une civilisation dopée à la croissance, même la décroissance (qui ne veut pas dire l’absence !) de certaines pratiques en mutation est vue comme une désolation. Une chute à deux chiffres, on s’en lamenterait même pour la production de plastique. Si elle n’avait pas été interdite, on s’en lamenterait sans doute pour la production d’amiante. Les raisons ne manquaient pas d’en avoir besoin.
La deuxième raison réside dans la confusion des crises. Il y a une crise du logement des habitants dans ce pays. Mais loger n’est pas artificialiser. Lorsqu’elle va mal, pense-t-on que la crise de l’industrie automobile est une crise de la mobilité des Français ? A priori, non. Alors pourquoi penser que la crise du béton serait une crise du logement des citoyens ? Que la crise de la disponibilité des terres agricoles à artificialiser… serait la crise du logement des Français ?
A l’heure où nous sommes encombrés de biens qui échappent au marché : bâtis vacants, qu’ils soient des logements, des bureaux, des commerces, des sites patrimoniaux, des friches… augmentent constamment depuis des années. Le phénomène explose en zone dite « détendue ». Les zones dites « tendues » ne sont pas en reste, puisque de leur côté, elles font face à une véritable fuite incontrôlée de logements vers la location de courte durée, touristique ou d’affaire.
Vacants, sous-occupés ou meublés touristiques, ils sont 290 000 à Paris : 7000 échappent chaque année au marché, rien que dans la capitale. Il demeure certes des besoins de construction. Les potentiels de densification douce sont, eux aussi, notoirement sous-exploités.
La troisième raison est à la fois plus intime et plus française. Elle tient à la conjonction de deux facteurs. Tout d’abord, un rapport à la terre viscéral dans le pays le plus vaste de l’Union européenne, l’un des moins denses, et dont l’histoire, jusqu’à une période très récente, était intimement liée à sa ruralité et sa classe paysanne.
Ensuite, un droit de propriété, notamment du foncier, parmi les plus protecteurs du Vieux continent. Le Français, sauf exception, est propriétaire du fonds et du tréfonds. De la vente des biens nationaux*, aujourd’hui oubliée mais fondamentale dans la construction de notre rapport au foncier, jusqu’au remembrement agricole dont la violence a récemment fait l’objet d’un beau roman graphique**, la possession de la terre agricole est un marqueur. De ce point de vue, l’inconscient collectif sait bien qu’un « terrain à bâtir », au fond, est une parcelle agricole.
Un « diagnostic sol » obligatoire dans les cessions
Et c’est sans doute l’un des obstacles importants à battre en brèche pour parvenir à nous sevrer de cette addition à l’artificialisation : ne plus désirer sourdement d’être seigneur sur sa terre dans le but d’y fonder son royaume, mais davantage choisir le lieu et la collectivité où les conditions d’habitat, pour moi-même et ma famille, sont les plus désirables et les plus durables.
Comment y parvenir ? C’est un changement long et multifactoriel, mais, avec l’Institut de la Transition foncière, nous pouvons formuler déjà une proposition pour y contribuer : connaître. Mieux connaître ce sol que l’on désire, que l’on souhaite acheter, que l’on projette de transformer.
Cela passe par l’éducation et la formation (où les sols sont invisibles, davantage qu’à des époques plus lointaines). Egalement par des outils concrets pour la décision. C’est le sens d’un « diagnostic sol » qui pourrait être rendu obligatoire dans les cessions, afin de visibiliser la santé des terrains, notamment pour comprendre l’évolution d’une parcelle en matière d’eau, de carbone, de biodiversité et de potentiel agronomique. Une étude explorant sa faisabilité est en cours à l’Institut de la Transition foncière.
*BODINIER, Bernard, « La vente des biens nationaux : essai de synthèse », Annales historiques de la Révolution française, 1999, pp. 7-19.
**LERAUD Ines, VAN HOVE Pierre, Mathilda, Nos Champs de bataille. L’histoire enfouie du remembrement, Delcourt, Paris, 2024.