Pas touche à Action Logement Services (ALS). C’est le message des organisations de salariés (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et d’employeurs (Medef et CPME) réunies au sein du groupe paritaire, dans un communiqué du 17 mai.
Constituée en 2016 par décret, cette filiale de financement d’Action Logement ne doit pas se transformer en administration publique « après la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) rejetant, le 7 mai dernier, le recours formé contre la décision de reclassement de l’Insee », espèrent-elles.
Si le « reclassement » d’ALS en administration publique « devait être confirmé par un arrêté du ministre des Comptes publics », la crise actuelle du logement – que dit combattre le gouvernement en créant les conditions d’un « choc d’offres » – serait amplifiée « avec des conséquences inévitables pour le plein emploi », alertent patronat et syndicats.
Ils y voient une menace sur « les capacités d’investissement d’une structure qui fait, chaque jour, la preuve de son utilité sociale et de son efficacité économique », ajoutant que sa capacité d’emprunt serait « drastiquement limitée ».
Alerte sur la construction et la rénovation
Mais en quoi une administration publique ne pourrait-elle pas continuer de produire et rénover un certain nombre de logements, comme le prévoit la convention quinquennale (2023-2027) signée en juin 2023 avec l’Etat ?
« Les chantiers en cours ne seraient pas arrêtés, assure Bernard Verquerre, administrateur du groupe et président de la commission logement de la CPME. En revanche, les futurs chantiers, prévus dans le plan de charge sur cinq ans convenu avec l’Etat, sont menacés car nous serions limités dans notre capacité d’emprunt et donc dans notre capacité à financer la construction et la rénovation. »
Si l’arrêté devait être pris, ALS ne pourrait plus s’endetter, auprès de Barclays, Deutsche Bank ou encore Société Générale, sur 10, 15 ou 20 ans, mais sur douze mois maximum. « La construction, c’est du temps long, relève le porte-parole de la CPME. On ne peut pas être bridé comme cela alors que la machine à créer du logement abordable est grippée et que le parcours résidentiel est bloqué. L’équilibre financier des opérations serait remis en cause. Des dérogations ou fonds spéciaux via la Caisse des dépôts pourraient être décidés par le gouvernement mais nous serions pieds et poings liés. »
Certain que la publication de cet arrêté freinera sa production et sa traque aux passoires thermiques, Action Logement est en train de « modéliser les conséquences sur les chantiers », souligne un collaborateur du groupe, qui souhaite rester anonyme alors que l’entreprise ne s’exprime pas sur le sujet. Il est donc trop tôt pour annoncer un nombre de logements commencés ou rénovés en moins.
Emprunts obligataires
Un détail qui compte, selon cette même source : Action Logement disposerait d’une année à compter de la date de l’arrêté confirmant le reclassement de sa filiale de financement en administration publique pour continuer à recourir aux emprunts obligataires comme aujourd’hui.
Sur les 3,3Mds€ d’endettement autorisé par la convention quinquennale, et jugé nécessaire pour produire, rénover ou encore distribuer des aides aux salariés en quête d’un logement, il reste à 2,1Mds à aller chercher sur les marchés financiers, selon cette source. ALS est actuellement bien classée par les agences de notation Moody’s (AA2) et Fitch (AA-).
En cas de reclassement, la convention quinquennale en cours ne serait pas annulée car « quand c’est signé, c’est signé », souligne Bernard Verquerre, mais les objectifs écrits noir sur blanc seraient remis en question. « Comment financer la production de logements déjà à la peine si un acteur comme Action Logement n’a plus de visibilité sur sa capacité d’emprunt ? Les 5,5Mds€ de financements pour les bailleurs sociaux et intermédiaires (groupe et hors-groupe, NDLR), prévus par la convention, sont pourtant à la hauteur des enjeux », complète Nathalie Bazire, secrétaire confédérale de la CGT chargée du logement.
Fermer le robinet de la rénovation urbaine
Autre point fâcheux : les politiques publiques de rénovation urbaine ou de revitalisation des centres-villes que financent en partie Action Logement via ALS, en piochant dans ses recettes mais aussi en empruntant sur les marchés à des taux attractifs comparés à ceux d’un organisme HLM isolé, se trouveraient également menacées.
Disposant de marges de manœuvre réduites, le groupe pourrait arrêter ou diminuer son soutien (734M€ en 2023) au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) qui doit s’achever en 2030. « Mais ce serait la guerre ouverte avec l’Etat », redoute une source anonyme chez Action Logement.
Le Fonds national des aides à la pierre (Fnap), le programme national Action Cœur de Ville 2 (2023-2026) et le réseau des Agences départementales d’information sur le logement (Adil) pourraient aussi faire l’objet d’un arbitrage. L’an dernier, la participation d’Action Logement s’est élevée respectivement à 300M€, 184M€ et 9M€.
La dette d’ALS intégrerait celle de l’Etat
Le gouvernement est déjà représenté au sein de chaque conseil d’administration du groupe Action Logement et de ses filiales, comme Action Logement Immobilier à laquelle sont rattachées ses 43 entreprises sociales pour l’habitat (ESH) et 5 sociétés de logement intermédiaire, de Seqens à In’li. « Actuellement, ses commissaires disposent d’un pouvoir de véto, à condition de le justifier. Demain, ils pourront nous obliger à emprunter un montant plus bas que nous le souhaitons », illustre une source anonyme chez Action Logement.
En effet, en tant qu’administration publique, la dette d’ALS s’ajouterait à celle de l’Etat. Ses représentants, nommés par les ministères de la Transition écologique (dont dépend le secteur du logement), des Comptes publics et de l’Economie, pourraient revoir à la baisse les montants des emprunts pour ne pas dégrader la note de la France, elle aussi classée AA2 par Moody’s et AA- par Fitch, sur fond de dérapage du déficit public.
Motivations politiques...
Si des craintes persistent sur une potentielle réorganisation de la filiale employant 2800 salariés à travers 145 implantations, les organisations salariales et patronales redoutent avant tout la fin du paritarisme. « La place des partenaires sociaux dans une administration publique serait soit minime soit inexistante », anticipe Betty Hervé, secrétaire confédérale de la CFDT chargée du logement.
« Le tripartisme au sein d’une structure autonome et paritaire, explique de son côté Pascal Lagrue, son homologue de FO, permettrait à l’Etat d’avoir accès à de l’argent qui n’est pas le sien. » Le syndicaliste fait référence à la Participation de l’employeur à l’effort de construction (Peec) versée à Action Logement par les entreprises de plus de 50 salariés, à hauteur de 0,45% de leur masse salariale. « Pour des raisons électoralistes, le gouvernement actuel ou futur pourrait imposer à Action Logement de loger tant de réfugiés ou tant de salariés qui ne cotisent pas à la Peec », imagine-t-il.
...et budgétaires
Un moyen de protester ? « Les grands groupes pourraient arrêter de verser cette contribution volontaire, en démontrant que la somme due a été investie dans la construction de logements pour les salariés. Les PME de plus de 50 salariés, qui bénéficient actuellement de la mutualisation de la Peec, n’en auraient pas les moyens », observe Bernard Verquerre.
« Derrière cette histoire de gros sous, il y a Bercy, pointe Pascal Lagrue. Comme d’autres de ses prédécesseurs, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire veut faire main basse sur les réserves ou les fonds propres d’un groupe très bien géré. Le gouvernement a le même raisonnement intellectuel sur l’Agirc-Arrco. » Contexte : un prélèvement sur les excédents que devrait enregistrer la caisse de retraites complémentaire du privé est envisagé par le gouvernement, se mettant à dos partenaires sociaux.
Pointé du doigt, Bercy botte en touche : « La décision d’inclusion d’ALS dans le champ des APU (NDLR : administrations publiques) a été prise de manière indépendante par l’Insee dans le cadre de ses travaux en lien avec Eurostat sur la comptabilité nationale. Le gouvernement n’est pas décisionnaire en la matière, l’Insee agissant en toute indépendance dans le cadre de cette mission. »
Les ferments d’un énième malaise entre Action Logement et l’exécutif sont bien réunis. De quoi remettre en cause les efforts du premier bailleur social de France. Au dernier Congrès HLM, en octobre dernier, celui-ci avait joué la carte de l’apaisement avec l’ancien ministre du Logement Patrice Vergriete, remplacé en janvier dernier par Guillaume Kasbarian, pour se montrer unis face à la crise du logement. Le groupe paritaire fait en outre partie des signataires du « pacte » pour doubler la production de logements intermédiaires, et ainsi susciter un « choc d’offres ».
Les relations entre Action Logement et les gouvernements successifs depuis la première élection d’Emmanuel Macron en 2017 ont été souvent tendues.En 2022 par exemple, Olivier Klein, alors ministre du Logement, avait été hué par des salariés du groupe. En cause, déjà, une affaire d’argent : une ponction de l’Etat de 300M€ au budget d’Action Logement pour abonder le Fnap.