Permis de construire : la Cour des comptes, porte-voix des acteurs de la construction

Dans un rapport thématique, la juridiction financière dresse l’inventaire des difficultés rencontrées par les pétitionnaires d’une autorisation de construire. Des procédures longues et coûteuses, un urbanisme de plus en plus « négocié » à travers notamment les chartes d’urbanisme, et un contentieux de masse font partie des critiques. Elle avance plusieurs pistes pour simplifier « le parcours du combattant ».

Réservé aux abonnés
Cour des Comptes
La Cour des comptes veut simplifier le parcours du pétitionnaire d'un permis de construire.

« Un parcours complexe dans un cadre instable ». Le sous-titre du rapport publié fin septembre par la Cour des comptes concernant la délivrance des permis de construire résume bien la problématique des porteurs de projets. Après avoir auditionné plus de 50 acteurs de la construction (fédérations professionnelles ; d’élus ; agences d’urbanisme, conseils d’architectures, d’urbanisme et de l’environnement ; avocats ; Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique ; chercheurs ; etc.), la juridiction financière en est, comme beaucoup d’acteurs de la construction, convaincue : il faut simplifier les procédures et « rendre plus transparent le parcours des demandeurs » de permis de construire.

Droit complexe et instable

Le constat des magistrats est sans appel. L’enquête révèle « un véritable décalage » entre d’une part « un droit de l’urbanisme complexe et instable mettant en œuvre localement des procédures lourdes et onéreuses et, d’autre part, le constat d’un édifice juridiquement fragile, d’une faible intelligibilité pour les pétitionnaires, issu de la multiplication, par les élus eux-mêmes, de stratégies de contournement et, au final, d’un respect parfois relatif de la norme applicable ».

Ce n’est pas nouveau, l’empilement de législations différentes (urbanisme, environnement, patrimoine, construction, commerce…) combiné avec l’obligation de mise en compatibilité des différents documents de planification, crée « une complexité et une insécurité juridique permanente pour tous les acteurs de la chaîne d’instruction », pointent les juges de la rue Cambon qui demandent un effort de « pédagogie » pour assurer « la compréhension d’un enchevêtrement de textes réglementaires et de pratiques hétérogènes ».

Recours toujours aussi nombreux

En outre, les évolutions constantes de l’état du droit associées à la longueur des procédures donnent du grain à moudre aux opposants aux projets dont les recours « congestionnent les tribunaux et peuvent déboucher sur des décisions d’annulation des documents d’urbanisme ».

Un « contentieux de masse » qui ne faiblit pas

Environ 2 % des autorisations d’urbanisme font l’objet d’un recours auprès du tribunal, soit un total de 10 000 dossiers par an. Ce contentieux concerne surtout celui des autorisations délivrées. Celui contre les refus d’autorisation ne représente qu’une faible part du total.

Malgré les réformes successives pour fluidifier le traitement et restreindre l’intérêt à agir, les tribunaux administratifs restent engorgés par ce contentieux de masse qui a progressé de 10 % depuis 2020, note la Cour des comptes.

Ces décisions peuvent d’ailleurs imposer un retour au régime antérieur, voire au règlement national d’urbanisme (RNU), comme le démontre l’annulation du PLUi toulousain. « Ces annulations ont un retentissement particulier pour les autorisations du droit des sols, puisque certains propriétaires recouvrent les droits à construire qu’ils avaient perdus, tandis que d’autres perdent ceux qu’ils avaient obtenus ».

Proscrire l’usage des chartes d’urbanisme

Par ailleurs, le parcours d’instruction des dossiers est perçu par le pétitionnaire comme un « parcours du combattant » avec un nombre exigeant de pièces à fournir, dont il ne maîtrise souvent ni la technicité, ni les surcoûts afférents, relate le rapport.

De surcroît, la délivrance des autorisations de construire, compétence à laquelle les maires restent très attachés, « présente des biais » comme l’apparition, envers les promoteurs, d’un « urbanisme négocié ou contraint » à travers notamment les « chartes de l’urbanisme », largement répandues dans les villes moyennes et les grandes villes. Présentées comme des documents à vocation pédagogique, elles comportent parfois des dispositions contraires au PLU ou que le respect du Code de l’urbanisme ne permet pas de rendre opposables. Le rapport évoque la commune de Lormont (Gironde) qui dispose d’un « cahier de la qualité résidentielle » et de « fiches de lot ». Le service urbanisme « reconnaît que ces fiches servent, en particulier, à éviter une densification trop forte dans les projets de logements collectifs, en négociant à la baisse le nombre d’étages ou de logements envisagés par les promoteurs au regard des droits pourtant ouverts dans le PLU(i) ». La Cour des comptes rappelle que « le statut juridique de ces documents n’a aucune base réglementaire » et que « leur fragilité juridique » a été confirmée récemment par le tribunal administratif de Rouen.

Si elles doivent subsister, ces contraintes « devraient reposer sur une base juridique avérée » comme le règlement d’un PLU, « d’autant qu’il existe une multitude de procédures pour adapter, sans lourdeur excessive, les règles du document d’urbanisme ». C’est d’ailleurs ce qu’envisage de faire la métropole de Bordeaux qui « a indiqué vouloir engager dès 2024 un travail approfondi, avec les communes, dans le cadre de la préparation du nouveau PLU(i), pour distinguer les éléments des chartes et labels communaux devant trouver une traduction réglementaire, et ceux relevant d’orientations d’une autre nature. »

Pièces complémentaires injustifiées

Les particuliers sont eux confrontés à des demandes de pièces complémentaires, « parfois injustifiées » qui complexifient la démarche, accroissent l’incertitude quant à son issue et nourrissent le contentieux. Des demandes qui devraient toutefois être limitées grâce à la dématérialisation de l’instruction des dossiers, tempère la juridiction financière. Et surtout grâce à un important revirement jurisprudentiel (CE, 9 décembre 2022, n° 454521, publié au recueil Lebon). Pour mémoire, le Conseil d’Etat a jugé qu’une demande de pièces complémentaires illégales ne fait plus obstacle à la naissance d’un permis de construire tacite.

Formation et reconnaissance professionnelle

Enfin, le rapport met en exergue les difficultés des collectivités pour recruter des instructeurs : les services sont en effet confrontés à un enjeu d’attractivité et de formation. Malgré des procédures de plus en plus dématérialisées, les agents assurent une « interface essentielle avec les pétitionnaires, dont ces derniers se montrent globalement satisfaits ».

Or, « la technicité, l’évolution permanente et l’exigence de la matière traitée découragent un certain nombre d’agents, engendrant un turn-over important » et le recours à des contractuels. Comme à la communauté d’agglomération du Bocage-Bressuirais (Deux-Sèvres) où le service est dirigé par une directrice contractuelle, illustre le rapport. Aussi, la filière d’emplois « gagnerait à être renforcée en matière de formation et de reconnaissance professionnelle pour attirer de nouveaux talents ».

Les recommandations de la Cour des comptes pour simplifier le parcours du pétitionnaire

1. Mettre en place des formations adaptées aux besoins des agents exerçant dans les services décentralisés et déconcentrés, afin de permettre l’émergence d’une véritable filière de l’instruction et du contrôle de l’urbanisme

2. Fixer une obligation d’informer les pétitionnaires qui ont obtenu un certificat d’urbanisme lorsqu’une révision de la carte des risques est décidée postérieurement à cette obtention

3. Améliorer la fluidité de l’instruction en ligne, notamment en interfaçant les bases de données des services obligatoirement consultés (Sdis, ABF, etc.)

4. Donner aux pétitionnaires, dès le début de la procédure d’instruction, les informations nécessaires à la bonne préparation de leur projet (procédure classique, procédures d’exception, taxes prévisibles, etc.)

5. Instaurer une phase de dialogue avec les missions régionales d’autorité environnementale, avant toute analyse d’impact

6. Proscrire l’usage des chartes d’urbanisme, sans base, ni compétence légale, s’ajoutant aux dispositions des documents

7. Garantir aux pétitionnaires ayant obtenu un permis tacite, la communication, sur simple demande, d’un certificat prouvant le dépôt des pièces et la date de transmission au préfet

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires