Interview

« Les chartes promoteurs des Villes interfèrent dans le jeu du marché », David Gillig, avocat, associé-gérant du cabinet Soler-Couteaux & Associés

Urbanisme -

 

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Pour David Gillig, « la charte est un document élaboré de manière totalement unilatérale par la collectivité sans aucune concertation ».

La Ville de Nancy (Meurthe-et-Moselle) vient de se doter d'une charte pour la qualité des constructions. Ces documents, communément appelés « chartes promoteurs », fleurissent un peu partout depuis plusieurs années. Ils visent à encourager un cadre de vie plus confortable pour les habitants mais certains promoteurs en contestent l'application.

Que reprochez-vous aux chartes promoteurs ?

Derrière un vocable plutôt positif (charte de la construction pour une ville résiliente à Montreuil [Seine-Saint-Denis], charte de l'aménagement et de l'habitat durables à Strasbourg [Bas-Rhin]…), les promoteurs se voient en réalité prescrire des règles extérieures au règlement du plan local d'urbanisme (PLU), seul document de portée normative. La charte de Nancy, par exemple, impose aux appartements de disposer de placards d'un certain volume selon le nombre de pièces.

Ces règles d'ergonomie des logements dépassent le cadre de la compétence des communes. Certaines chartes comprennent aussi des dispositions relatives à la commercialisation et à la maîtrise des prix. Ce faisant, la collectivité publique vient s'immiscer dans la conception du projet et interférer dans le jeu du marché, ce qui est très contestable.

Ne favorisent-elles pas le dialogue entre collectivités publiques et promoteurs ?

La charte est un document élaboré de manière totalement unilatérale par la collectivité sans aucune concertation.

Certaines, comme celle d'Angers (Maine-et-Loire) [charte pour le développement équilibré de l'agglomération angevine signée en mars 2022, NDLR], imposent purement et simplement aux promoteurs de respecter l'intégralité de ses dispositions. D'autres, à Nancy, font signer les opérateurs projet par projet sans aucune forme de consultation. On est très loin du dialogue et de la négociation.

Ces chartes ne sont pourtant pas opposables aux autorisations de construire…

Il est clair qu'une commune ne peut pas se fonder sur le non-respect d'une charte - celle-ci étant dépourvue de toute base juridique - pour refuser de délivrer un permis de construire. Mais en pratique, elle trouvera un tout autre motif pour refuser l'autorisation. On se retrouve face à une sorte de marchandage de la part de certains élus qui expliquent aux promoteurs que leur permis sera délivré plus facilement s'ils respectent l'intégralité des dispositions de la charte.

Très récemment, la maire d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) s'est même appuyée sur sa charte « Bien construire » pour interrompre un chantier.

Peuvent-elles être contestées en justice ?

En général, elles sont instituées soit par délibération du conseil municipal, soit par arrêté du maire. Elles peuvent donc être considérées comme un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. Mais les promoteurs hésitent à contester frontalement une charte devant les juges pour éviter d'être « blacklistés » par la collectivité dans le cadre, par exemple, d'appels à projets immobiliers qu'elles lancent sur des fonciers publics. Il faudrait que l'action soit portée directement par la Fédération des promoteurs immobiliers qui disposerait très certainement d'un intérêt pour agir en la matière.

Faut-il encadrer juridiquement ces documents ?

A partir du moment où les chartes imposent des règles de construction et d'urbanisme, il faudrait d'une part régir leurs conditions d'élaboration par des règles procédurales de consultation publique, sans doute contraignantes pour la collectivité mais qui seraient gage d'acceptabilité. D'autre part, il faudrait que leur contenu soit limitativement énuméré. De nombreuses chartes demandent aux opérateurs de produire divers documents, comme un bilan promoteur prévisionnel, au stade du dépôt du permis de construire. Or, ces documents ne sont pas prévus par le Code de l'urbanisme. De telles obligations sont illégales.

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