Le Sénat, disruptif sur le ZAN ?

Pour lever les blocages persistants et les inquiétudes des élus quant à la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols fixés par la loi Climat et résilience, pas d’autre solution que de faire évoluer la réglementation et de légiférer à nouveau, estime la Chambre haute. Et d’introduire, pourquoi pas, un objectif général de sobriété foncière « moins coercitif » plutôt qu’un objectif chiffré « contraignant et illusoire ».

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Le Sénat veut à nouveau légiférer pour lever les blocages persistants à la mise en œuvre du ZAN

« Une loi centralisatrice, jacobine, non pensée avec les territoires qui ont la charge de l’appliquer, dont l’introduction locale est un véritable casse-tête pour les élus et pour l’ensemble des acteurs de l’aménagement. » Tel est le constat du sénateur Guislain Cambier (Union Centriste, Nord), président du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, lors de la présentation de son rapport d’étape le 9 octobre 2024. Les conclusions et propositions seront rendues dans quelques semaines.

Une méthode au « chausse-pied »

Si les élus rencontrés entre mars et juillet adhèrent largement au principe de sobriété foncière, y compris sur leur territoire, la méthode « faite au chausse-pied à partir d’enveloppes prédéterminées qui ne tiennent pas compte ni des dynamiques passées ni des spécificités locales actuelles » est à revoir. Aussi, le Sénat propose une « action en deux temps pour inscrire le pays dans une véritable trajectoire de sobriété foncière consentie et non dogmatique ». 

2021-2031

Pour la période 2021-2031, le groupe de suivi invite l’Etat, ce « grand défaillant », à mettre en accord ses actes avec ses paroles, commente le rapporteur Jean-Baptiste Blanc (Les Républicains – Vaucluse). « L’Etat n’a jamais accompagné les collectivités ; il doit prendre acte de la diversité territoriale, promouvoir des stratégies réalistes qui s’accordent aux spécificités de chaque territoire », poursuit-il. Il demande à ce que des « instructions claires » soient prises, et que toutes les collectivités soient traitées avec équité. Cela doit passer en particulier par le biais d’une application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l’enveloppe d’artificialisation mentionnée dans la circulaire du 31 janvier 2024 de l’ancien ministre Christophe Béchu, lors du contrôle de légalité des documents d’urbanisme.

L’Etat n’a jamais accompagné les collectivités ; il doit prendre acte de la diversité territoriale

—  Jean-Baptiste Blanc

Deuxième levier identifié pour cette période : la réduction du coût de la sobriété foncière. Depuis 2021, le Sénat relève une « absence persistante de réflexion sur le financement de la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols et sur les effets pervers de la fiscalité locale, par essence artificialisante. »

Loi de finances

« Il va donc falloir instaurer rapidement des mécanismes d’incitation à la réduction de l’artificialisation et des leviers pour favoriser la renaturation ». Prenant acte de ce paradoxe, la commission des finances du Sénat a de son côté lancé une mission d’information relative au financement du ZAN dont les conclusions seront publiées dans les prochaines semaines et pourraient être traduites dans le prochain projet de loi de finances.

Implantations industrielles et constructions de logements sociaux décomptés du ZAN

Le troisième levier envisagé pour 2021-2031 : apporter des modifications ciblées à la réglementation. Rappelons que le Sénat avait, lors de l’examen des projets de loi de simplification et logement, souhaité exempter du décompte de l’artificialisation, jusqu’en 2031, l’emprise foncière de l’ensemble des implantations industrielles, afin d’accompagner le mouvement de relocalisation et de reconquête de la souveraineté industrielle. Et de la même façon, il voulait exclure temporairement jusqu’en 2031 du décompte de l’artificialisation des sols, les constructions nouvelles de logements sociaux, pour les communes faisant face à la rareté du foncier. Le groupe de suivi plaide pour que ces mesures soient réintroduites « dans le prochain véhicule législatif pertinent », et formulera des propositions en ce sens.

L’après 2031 sera territorialisé ou ne sera pas

Pour l’après 2031, Jean-Baptiste Blanc le répète : la méthode descendante ne marche pas. Il faut territorialiser les objectifs. Pour le groupe de suivi, il conviendrait donc de « substituer à la logique de mise en œuvre centralisatrice et surplombante actuellement à l’œuvre une démarche ascendante, en invitant chaque collectivité à planifier son développement territorial "sous contrainte ZAN" en justifiant les besoins en foncier nécessaires à son développement et son dynamisme, sans enveloppe limitative préétablie ».

Le groupe de suivi souhaite également maintenir la comptabilisation en Enaf au-delà de 2031 (qui fait office d’indicateur de mesure de l’artificialisation des sols) et non en artificialisation réelle ainsi que le prévoit l’article 192 de la loi Climat et résilience. Conserver ce mode de comptabilisation « serait beaucoup plus simple pour les élus locaux », et présenterait l’avantage de ne pas comptabiliser l’artificialisation des bâtiments agricoles, ce qui serait cohérent « avec l’objectif de protection des activités agricoles et de souveraineté alimentaire », souligne Jean-Baptiste Blanc.

Avons-nous légiféré avec sagesse, justice et raison ?

—  Jean-Baptiste Blanc

Exclure totalement les Pene du ZAN

Autre sujet sur la table : les projets d’envergure nationale ou européenne (Pene). Le Sénat s’interroge sur l’idée d’une exclusion totale et définitive des grands projets du décompte du ZAN « pour que les collectivités retrouvent du souffle et y voient moins d’injustice ».

Le dernier niveau de réflexion est plus « disruptif », selon Jean-Baptiste Blanc qui se pose la question de la pertinence de l’article 191 de la loi Climat et résilience - qui grave dans le marbre « l'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 ». Jusqu’ici,le Sénat s’est efforcé d’assouplir le ZAN en restant dans le cadre posé par le législateur. Mais « avons-nous légiféré avec sagesse, justice et raison ? » se demande le rapporteur. « Ne faudrait-il pas, plutôt qu’un objectif chiffré à la fois contraignant et illusoire, réaffirmer un objectif général de sobriété foncière ambitieux mais moins coercitif, et orienter en ce sens les choix d’aménagement du territoire et d’urbanisme, grâce à des outils financiers, fiscaux et juridiques ? » Le Premier ministre, qui s’est dit prêt lors de son discours de politique générale à faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ZAN, est vivement encouragé à s’appuyer sur les travaux du Sénat « qui reposent sur des solutions construites avec les territoires », conclut Guislain Cambier.

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