Détachement des salariés : proposition de loi examinée en séance publique à l’Assemblée le 18 février

Le rapport d’information pour « observations » sur la proposition de loi destinée à limiter les abus en matière de détachement des travailleurs a fait l’objet, le 4 février, d’un examen par la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale. Des précisions y ont été apportées.

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Ouvriers sur un chantier de construction

La Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a examiné le 4 février le rapport d’information pour « observations » de la députée Chantal Guittet sur la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.

En préambule, Chantal Guittet a rappelé le contexte du dépôt de la proposition de loi par les députés socialistes en décembre dernier : la présentation le 29 mai 2013 du rapport d’information des députés Gilles Savary, Michel Piron et Chantal Guittet sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs détachés d’où émanaient 21 propositions, la saisie et la reprise à son compte de certaines propositions par la Commission des Affaires Sociales le 11 juillet et le débat en séance publique le 2 décembre. Si la députée a regretté qu’au niveau européen, la révision de la directive n’ait pas abouti, elle a quand même salué le pas important franchi le 9 décembre « puisque les ministres du travail se sont mis d’accord sur un texte qui instaure deux articles pour lesquels nous étions fortement attachés : la liste ouverte de contrôle et le mécanisme de responsabilité conjointe et solidaire du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre vis-à-vis des sous-traitants, et ce dans le secteur du bâtiment ». Mais elle estime que le compromis sera  « de l’avis de tous » difficile à atteindre et qu’il est peu probable qu’il puisse se faire « malheureusement » avant la nomination de la nouvelle commission européenne.

Une réponse nationale à un problème de dimension européenne

En attendant, il est urgent de mettre en place en France des solutions pour combattre le travail illégal et la concurrence déloyale qui se fait par l’optimisation sociale et qui met à mal des pans entiers de l’économie, dont le bâtiment, l’un des secteurs les plus touchés. « Il est donc nécessaire de légiférer », convient Chantal Guittet. C’est l’objet de la proposition de loi rédigée par Gilles Savary, examinée le 11 février 2014 à la commission des Affaires Sociales puis le 18 en séance publique, qui a pour but d’instaurer plusieurs mesures préventives, mais aussi répressives.

Pour la députée, « si certaines des dispositions sont directement inspirées des travaux menés au sein de la commission et représentent une avancée, en revanche le texte comporte certaines dispositions qui sont problématiques et qui devront être amendées ».

Les points à améliorer

Au rang des améliorations, la première d’entre elles concerne l’extension du devoir d’injonction du maître d’ouvrage en cas de travail dissimulé par le contractant pour faire cesser cette situation, mais aussi l’allongement de la liste des documents que peuvent exiger les contrôleurs du travail pour lutter contre toutes les inégalités ou encore d’ouvrir la possibilité aux organisations syndicales et associations à ester en justice au nom d’un salarié lésé au titre du droit applicable en matière de détachement. « Ce qui est très important, reconnaît Chantal Guittet, car les travailleurs détachés ne connaissent pas le droit et vont rarement devant la justice. Mais je pense que cet article est perfectible. Il est peut-être intéressant de s’interroger sur la possibilité d’introduire ce droit d’ester en justice devant les tribunaux, y compris le Tribunal des affaires sociales. Autre point intéressant, la signature des marchés publics conditionnée à la production d’une attestation d’assurance décennale qui est obligatoire pour tous les chantiers de BTP ».

A la place de l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire à la vérification du dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail (article 1), Chantal Guittet, plaide pour la réintroduction d’une des propositions contenues dans son rapport, c’est-à-dire la double déclaration : une déclaration de détachement faite par l’entreprise qui détache ses salariés et une déclaration de sous-traitance du donneur d’ordre en France (facile à contrôler car le donneur d’ordre n’est pas mobile) ; ce qui permettrait d’avoir l’assurance que les inspections du travail ont connaissance de l’existence de travailleurs détachés.

Un autre point spécifique semble appeler une modification, voire une suppression. Il s’agit de l’engagement de la responsabilité pénale du maître d’ouvrage qui crée une immunité pénale d’un mois, c’est-à-dire qu’il ne pourrait être pénalement responsable qu’au bout d’un mois si la situation illégale n’a pas cessé. « Il nous semble que cet article est contraire au droit français, qui prévoit que le recours sciemment du travail dissimulé est bien immédiatement sanctionné, à travers une amende de 45 000 euros et 3 ans d’emprisonnement », rappelle Chantal Guittet qui estime cette disposition très laxiste. Elle propose donc de la supprimer et que l’immunité soit le même que celle du droit Français.

Une autre des propositions avancées concerne la création de l’obligation pour l’entreprise sous-traitante d’un correspondant parlant le Français qui négocierait à la place de l’employeur situé à l’étranger tout ce qui concerne les travailleurs en détachement. Un système qui existe déjà Allemagne.

Liste noire d’entreprises : oui, mais….

Dans cette proposition de loi est aussi défendue l’idée de créer une liste noire publique d'entreprises ayant commis des fautes graves en matière de détachement, à l’image de la liste noire européenne sur les compagnies aériennes. Seul bémol, reconnaît Chantal Guittet, « si l’article 6 de la proposition de loi reprend cette idée, elle le reprend que si le sous-traitant a été condamné à une amende de 45 000 €, seuil maximum de l’amende. Un montant qui nous semble trop haut. Il faudrait réfléchir à un seuil plus faible pour rendre cette liste vraiment utile ». Elle estime donc que l’entreprise fraudeuse pourrait être inscrite sur cette liste à partir de la condamnation au premier euro. Cette liste, ayant un caractère informatif, n’empêche pas le donneur d’ordre de contracter avec les entreprises inscrites.

Une carte de travail

Autre idée du trio parlementaire Guittet, Savary, Piron issue de leur rapport : la création d’une carte de travailleur européen qui serait de nature à contrôler plus efficacement les salariés en détachement. En attente de cette création, à l’étude actuellement, ils aimeraient que soit introduite dans la proposition de loi la création d’une carte à puce à l’échelle française permettant une identification rapide de l’entreprise et du travailleur (NDLR : il existe déjà en France dans le bâtiment une carte qui sert au calcul des congés payés).

Renforcement des amendes et des sanctions administratives

Pour améliorer les conditions de lutte contre le travail illégal, Chantal Guittet estime qu’il est nécessaire d’augmenter les amendes « très faibles aujourd’hui ». Par exemple, le défaut de déclaration de détachement équivaut à une amende de 450 €, alors qu’en Allemagne, elle peut atteindre 7 500 €. La députée préconise des amendes de catégorie 5 qui pourraient s’élever jusqu’à  3 500 €. Des sanctions administratives pourraient être également renforcées. L’idée est de donner aux préfets davantage de pouvoirs pour qu’ils puissent fermer les chantiers sur lesquels des irrégularités auraient été constatées.

« Ce texte même imparfait et qui va faire l’objet de nombreuses modifications, a le mérite d’apporter une réponse nationale à un problème de dimension européenne», estime Chantal Guittet  qui rappelle que cette réponse est attendue par de nombreux employeurs et salariés. Et de conclure : « On espère que cette proposition de loi sera votée à l’unanimité une fois amendée dans l’Hémicycle, car c’est un texte qui fait vraiment consensus entre employeurs et salariés ; ce qui est relativement rare à notre époque ! »

Pour plus d’informations :

- Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs, présenté par Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, le 29 mai 2013

- Rapport fait au nom de la commission des Affaires Sociales sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs (26 juin 2013)

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