Réclamé par le président François Hollande (voir notre article), le plan de lutte contre les « abus » auxquels peut donner lieu la directive européenne sur les travailleurs détachés a été dévoilé par Michel Sapin à la sortie du Conseil des ministres, le 27 novembre.
« Depuis quelques années, le système de détachement des salariés, c’est-à-dire la possibilité pour des travailleurs étrangers de venir travailler en France et pour des travailleurs français de travailler en Europe a été détourné massivement, a indiqué le ministre du Travail. Il y a aujourd’hui des situations scandaleuses, d’abord pour les salariés eux-mêmes humainement avec des gens exploités dans des conditions non seulement contraires au droit du travail français mais aussi contraires au respect même de la personne humaine ». Mais le contournement de ces règles qui s'accroît en France, notamment via "des montages frauduleux de plus en plus sophistiqués", conduit aussi à une forme de dumping social. « Les conséquences sont tout à fait dommageables du point de vue économique, car c’est une concurrence déloyale qui, par exemple dans le bâtiment, peut avoir des conséquences extrêmement graves sur tout le tissu national constitué aussi bien de petites entreprises que de grandes », a expliqué Michel Sapin.
Contrôles dès ces prochains jours
S’il ne s’agit pas de remettre en cause la liberté de circulation et de prestation, au coeur du projet européen, et qui bénéficie aussi aux entreprises françaises qui détachent légalement en Europe, la France entend lutter de façon énergique contre les fraudes et les abus et a décidé d’agir à tous les niveaux.
Tout d’abord sur le territoire national, en contrôlant les abus pour les sanctionner. Le programme de contrôles de l’inspection du travail et des autres services compétents de l’État sera intensifié et ciblera les principaux secteurs où les dérives sont constatées (ndlr : le bâtiment est le secteur le plus touché par l’émergence des salariés low cost). « Il y aura dans les jours qui viennent des opérations de contrôles extrêmement pointues qui permettront de déjouer un certain nombre de situations », a indiqué Michel Sapin.
Puis, la législation française sera modifiée pour rendre plus responsables les maîtres d’ouvrage et les donneurs d’ordre quand ils recourent à des sous-traitants multiples. L’arsenal législatif permettra aux organisations professionnelles et syndicales de se constituer parties civiles en cas de travail illégal.
Par ailleurs, si tous les services de l’Etat et ministères sont mobilisés pour lutter contre les dérives et les prévenir, le gouvernement entend y associer les partenaires sociaux. Ainsi, des conventions de partenariat seront signées entre les partenaires sociaux des principales branches concernées et les administrations de contrôle. Ce travail est déjà en discussion dans le bâtiment.
« Le troisième niveau de bataille, c’est celui européen, car au niveau européen, nous devons avoir des règles qui permettent de contrôler l’utilisation de ces détachements et de lutter contre les fraudes. Et pour être efficace, il faut que ce soit pareil dans tous les pays d’Europe. Pour cela, il faut adopter une directive d’application de la directive détachement qui donne les moyens dans tous les pays d’Europe de lutter contre ces fraudes. C’est une bataille que nous avons engagée », a expliqué Michel Sapin. La France a défendu en octobre à Bruxelles lors de la réunion des ministres de l’emploi de l’Union européenne, consacrée à la discussion d’un projet de directive, une position ferme pour responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre en cas de contournement des règles de détachement par un de ses sous-traitants, et pour le maintien d’une capacité des États de fixer la liste des documents qu’ils peuvent exiger des entreprises en cas de contrôle. Mais aucun accord n’a pu être trouvé.
Le dossier sera évoqué lors de la prochaine réunion des ministres européens du Travail le 9 décembre. Le gouvernement entend aboutir à un texte d’application qui permettra de lutter plus efficacement contre le « dumping social ». Une coopération accrue entre les inspections du travail des États membres est également nécessaire et à construire. Par ailleurs, l’instauration, dans chaque État membre, d’un salaire minimum est également un moyen pour lutter contre la concurrence sociale déloyale.
A l’issue du Conseil des ministres, Najat Vallaud-Belkacem a souligné que la France avait défendu en octobre "une position ferme" à Bruxelles et n'accepterait pas "de compromis au rabais" et que le président Hollande avait insisté lors du Conseil sur "la nécessité au niveau européen de rechercher une majorité la plus large possible mais aussi de mettre chacun face à ses responsabilités". Michel Sapin a toutefois souligné que la France n’était pas « isolée », rappelant que l’Espagne, l’Italie, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Bulgarie, la Roumanie « partageaient très largement cette volonté. « Il faut que cette volonté soit encore plus largement partagée ».
Le sujet doit faire l'objet d'un débat sans vote à l'Assemblée nationale le 2 décembre. Par ailleurs, les députés socialistes ont aussi annoncé, mercredi 27 novembre, avoir préparé une proposition de loi, qui sera affinée et publiée après la réunion du 9 décembre. Ils proposeront la création "d'une liste noire des entreprises frauduleuses qui seraient écartées des appels d'offres".