Soutenir les technologies industrielles en Europe pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et sécuriser l’approvisionnement de l’Union européenne, voici résumé le « Net Zero Industry Act » (NZIA) publié le 28 juin dernier au « Journal officiel de l’UE ». Le texte, dont le nom complet est règlement 2024/1735 relatif à l’établissement d’un cadre de mesures en vue de renforcer l’écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net », se présente comme le volet industriel du Pacte vert pour l’Europe.
Durabilité
Il impose notamment aux acheteurs d’appliquer des « exigences minimales obligatoires en matière de durabilité environnementale » dans les marchés et les concessions relatifs aux technologies visées par le règlement, comme les panneaux photovoltaïques, les éoliennes ou encore les pompes à chaleur.
Un acte d’exécution sera publié au plus tard le 30 mars 2025 pour préciser la teneur de ces exigences minimales. Par ailleurs, jusqu’au 30 juin 2026, cette disposition ne s’applique qu’aux seuls contrats d’un montant supérieur à 25 millions d’euros, ainsi qu’à ceux passés par les centrales d’achat telles que définies par les directives « marchés » et « concessions » de 2014.
Résilience
Les nouvelles obligations en matière de prise en compte de la résilience des offres remises dans les marchés publics et les concessions concernant une technologie « net zéro » sont quant à elles entrées en vigueur le 29 juin. Pour les produits et composants pour lesquels la Commission a établi que l’approvisionnement provient à plus de 50 % d’un Etats tiers, ou pour lesquels la part d’approvisionnement en provenance d’un tel Etat a augmenté de 10 % sur deux ans consécutifs pour atteindre au moins 40 %, les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices devront intégrer des conditions d’exécution spécifiques. Celles-ci interdiront au titulaire de se fournir ou de produire plus de 50 % de la valeur de la technologie dans un pays tiers. En cas de manquement, l’entreprise sera sanctionnée financièrement, à hauteur de 10 % minimum du montant du produit ou du composant considéré.
Plusieurs dérogations sont prévues, notamment si aucune offre appropriée ne peut être présentée en raison du critère de résilience, ou si ce dernier génère des surcoûts disproportionnés.
Achat responsable
A noter que le règlement impose également aux acheteurs de prévoir, dans les marchés et concessions de technologies « net zéro », soit une condition d’exécution particulière liée aux considérations relatives au domaine social ou l’emploi, soit une exigence de démonstration de la conformité de l’offre avec les exigences en matière de cybersécurité, soit une obligation contractuelle spécifique de livrer dans les délais la composante du marché relative aux technologies « zéro net ». Une autre disposition du texte vise à encourager l’achat avant commercialisation et les marchés publics de solution innovante.
La Chine en ligne de mire
Si certains voient dans le NZIA un premier pas de l’Union vers une préférence européenne dans la commande publique, il faut préciser que les dispositions relatives au critère de résilience ne s’appliquent pas aux produits provenant d’un Etat signataire de l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC ou d’un autre acte international pertinent. Le règlement cible donc en premier lieu la Chine, qui n'a pas signé l'AMP.
Le NZIA complète ainsi l’arsenal européen mis en place ces dernières années en faveur de la réciprocité dans l’accès aux marchés publics, avec le règlement sur l'instrument relatif aux marchés publics internationaux (2022/1031 - IMPI) et le règlement sur les subventions étrangères (2022/2560). Deux textes dont les premières applications ont visés directement la Chine.
Autonomie stratégique
« L’enjeu du texte est l’équilibre entre l’absence de discrimination en Europe et l’achat responsable », a synthétisé Emmanuelle Maire, cheffe d'unité production, produits et consommation durable à la DG Environnement de la Commission, lors du colloque BEE qui s’est tenu à Bordeaux le 27 juin. Durabilité et résilience constituent ainsi les deux faces d’une même pièce, celle de l’autonomie stratégique de l’Union. Et cet alliage reste réservé aux marchés présentant un intérêt particulier pour l'UE.
« Si vous commencez à systématiser l’achat local, vous ne donnez pas l’opportunité aux entreprises de se développer », estime Emmanuelle Maire qui invite toutefois les acheteurs à recourir aux considérations environnementales et sociales pour favoriser les offres locales.
Une commande publique à deux vitesses...
Christophe Amoretti-Hannequin, conseiller finance responsable et achats à France Urbaine, confirme : « Ces clauses sont souvent utilisées à des fins de relocalisation. Cela fonctionne parfois mais pas sur tous les marchés. Par exemple pour les panneaux photovoltaïques, l’analyse en cycle de vie ne permet pas d’acheter en Europe car il y a forcément des composants produits en Chine ».
Le NZIA apporte donc une réponse sur ce point. Et France Urbaine voudrait dupliquer la solution à d'autres marchés. « Il faut déterminer les bonnes échelles. Sur le photovoltaïque, l’enjeu est européen. Mais sur l’alimentaire par exemple il se situe au niveau local. » L'association représentative des grandes collectivités plaide pour un règlement sur les systèmes alimentaires durables en Europe permettant notamment de déroger aux procédures de la commande publique pour 50 % du volume annuel de ses achats de denrées.
Une autre règlementation sectorielle donc, pour ne pas attendre une éventuelle révision des directives de 2014. « Il faut reconnaître la nécessité de changer le cadre de la commande publique pour favoriser l’achat européen », selon Christophe Amoretti-Hannequin qui cite comme piste de réflexion la proposition de « Buy European and Sustainable Act » formulée par Carbone 4.
… et à la croisée des chemins
Emmanuelle Maire ne ferme pas la porte à une réécriture des directives. « Nous sommes dans un phase de changement politique mais nous avons beaucoup d’éléments qui pourront être mis à la disposition de la future Commission », observe-t-elle, en référence au rapport de la Cour des comptes de l’Union remis en décembre 2023 et à la réponse du Conseil de l’UE publiée en juin 2024. Laquelle notait « la nécessité pour le cadre juridique des marchés publics de veiller à ce que les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices puissent tenir dûment compte de la résilience, de la sécurité d’approvisionnement et de la concurrence équitable pour répondre au besoin essentiel d’autonomie stratégique de l’Union ».
Quoiqu'il en soit, une révision des directives pour favoriser les filières européennes devrait donner lieu à d’intenses débats entre Etats membres. « Les dispositions commande publique du NZIA proviennent de Bercy », indique Emmanuelle Maire qui rappelle que d’autres Etats étaient plus réticents. A l’instar de l’Allemagne, qui craint le risque de rétorsion sur ses propres produits.
Bienfaits et méfaits de l’achat local
Dans un rapport publié en juin, trois universitaires s’intéressent aux effets potentiels d’un « Buy European Tech Act » visant à privilégier les entreprises européennes dans les marchés publics portant sur les technologies numériques.
L’économiste Sarah Guillou, la professeure de droit Florence G’sell et le doctorant en droit Fabien Lechevalier reviennent notamment sur les « motifs économiques en faveur d’un biais domestique dans les marchés publics ». Sont ainsi mis en avant l’impact de la stimulation économique par la commande publique sur la croissance, l’effet de levier pour les entreprises qui augmentent leur visibilité et leur réputation, ou encore la protection offerte aux jeunes entreprises pour favoriser les effets d’apprentissage et les économies d’échelles. Dernier argument, plus politique : l’achat local peut renforcer la souveraineté et la cohérence des politiques publiques, en maîtrisant la production de biens ou services stratégiques.
Mais « le biais domestique ne va pas sans coût », notent les auteurs. Il peut conduire à se priver d’offres moins chères. La diminution de la concurrence peut aussi avoir un effet néfaste pour les entreprises locales, moins incitées à investir dans la qualité. Enfin, la discrimination peut entraîner des représailles de la part des Etats étrangers exclus, menant à une diminution des transferts de technologie.