Vous êtes engagée dans une démarche de simplification de la commande publique, quel est l’objectif ?
Il s’agit notamment de permettre à un plus grand nombre de PME et TPE d’y accéder. C’est l’une des priorités du nouveau gouvernement. Cela passe sur le plan normatif par un projet de loi relatif à la simplification de la vie économique (PJL SVE) et par un projet de décret qui devrait être publié d’ici la fin de l’année.
La simplification passe aussi par la pédagogie. Nous souhaitons par exemple donner davantage de visibilité à la Cellule d’information juridique des acheteurs publics, abritée par la Direction générale des finances publiques à Lyon. Elle illustre ce que nous devons faire en matière d’accompagnement, notamment au niveau local, en répondant par téléphone aux questions concrètes des acheteurs. Cela passe aussi par la publication régulière de guides ou de kits pratiques à l’adresse des praticiens du droit de la commande publique.
Le projet de loi SVE sera examiné mi-décembre à l’Assemblée nationale. Quel regard portez-vous sur les apports du Sénat au volet commande publique ?
Je salue en particulier une série de dispositions qui visent à favoriser la construction de logements, comme l’extension du recours au partenariat public-privé institutionnalisé, la création d’un nouveau marché global sectoriel permettant le transfert de la maîtrise d’ouvrage à l’opérateur en cas d’opération portant sur un ensemble immobilier avec imbrication de la maîtrise d’ouvrage public et de la maîtrise d’ouvrage privée, ou encore l’assouplissement du régime des Vefa notamment sur le plan des règles d’exécution financière. Le gouvernement soutient ces mesures. En revanche, il a émis un avis défavorable sur d’autres mesures du fait de leur contrariété avec le droit de l’UE
Prévoyez-vous de rétablir la mesure visant à unifier le contentieux de la commande publique au profit du juge administratif, supprimée par les sénateurs ?
Il s’agit d’une mesure qui n’a pas fait l’unanimité. Or, ce n’est pas une réforme que nous voulons faire contre les acteurs concernés – les personnes privées soumises au Code de la commande publique – qui ne représentent qu’une petite partie des acheteurs publics. Le gouvernement ne déposera donc a priori pas d’amendement tendant à rétablir cette mesure.
Place, la plateforme de dématérialisation des procédures de marchés publics de l’Etat, pourra-t-elle accueillir davantage d’acheteurs ?
Le projet de loi SVE vise à élargir, au plus tard fin 2028, le recours obligatoire à Place à toutes les personnes publiques, hors secteur public local, et aux organismes de sécurité sociale. Il faut que la plateforme soit en mesure d’accueillir correctement et prioritairement tous ces nouveaux acteurs. Il y a en revanche un débat à poursuivre sur son extension aux collectivités qui voudraient l’utiliser de façon facultative, comme l’a souhaité le Sénat par amendement.
Il y a un débat à poursuivre sur l'extension de Place aux collectivités qui voudraient l’utiliser de façon facultative
Le plafond de 100 000 euros de dispense de formalités pour les marchés de travaux sera-t-il pérennisé ?
Les fédérations professionnelles et les acheteurs sont unanimes pour dire que ce seuil a facilité l’accès des PME aux marchés publics de travaux. C’est ce qui a conduit les parlementaires à l’introduire dans le projet de loi SVE. Toujours pour améliorer l’accès des PME, le projet de décret augmente à 20 % au lieu de 10 % la part à leur réserver dans les marchés globaux et les marchés de partenariat.
L’alignement du taux d’avances dans les marchés publics des collectivités passés avec les PME (10 % du montant total du marché aujourd'hui) sur celui applicables aux marchés de l’Etat (30%), que ne prévoit finalement pas le projet de décret, est-il abandonné ?
Nous voulons poursuivre les réflexions car c’est une mesure plus délicate à adopter dans le contexte budgétaire actuel, au regard notamment de son impact potentiel sur l’endettement des collectivités.
Quid de l’encadrement de la sous-traitance en chaîne, évoqué lors des Assises du BTP ?
Nous n’avons pas intégré de dispositions en ce sens dans les différents projets évoqués mais cette mesure reste dans le champ de nos réflexions. L’ordre du jour parlementaire est chargé et conduit à prioriser nos actions.
La candidature simplifiée avec un simple numéro de Siret est-elle toujours à l’ordre du jour ?
C’est un chantier organisationnel et de pilotage de transformation numérique sur lequel nous continuons de travailler. Nous devrons articuler cette candidature simplifiée avec le Dume, document de candidature obligatoire au niveau européen. Ce dispositif pourrait concerner prioritairement le public des TPME/PME, qui représente la majorité des contrats in fine attribués.
Le nouveau dispositif de candidature simplifiée pourrait concerner prioritairement le public des TPME/PME
L’échéance de la loi Climat et résilience, qui prévoit qu’au plus tard en août 2026 tous les marchés publics devront comporter une considération environnementale, se rapproche. Comment accompagnez-vous les acheteurs ?
Ce n’est pas totalement nouveau de faire de l’achat durable ! L’enjeu est aujourd’hui de diffuser les bonnes pratiques. Nous avons mis à disposition des ressources en ligne avec une page dédiée à l’achat durable, qui comporte notamment des précisions sur les modalités d’application de l’article 35 de cette loi et des exemples de traduction opérationnelle par secteur.
Craignez-vous un retour du moins-disant du fait des restrictions budgétaires qui se dessinent pour les collectivités ?
Le souci du bon emploi des deniers publics est inhérent au droit de la commande publique et ça n’est pas une donnée nouvelle. L’achat public doit se concevoir au niveau des collectivités comme une politique de moyen et de long terme pour éviter que les secousses budgétaires ponctuelles ne soient le premier prisme des acheteurs. Le prix est une donnée essentielle mais un bon achat public intègre une dimension qualitative qui va bien au-delà. C’est le sens, notamment, des schémas de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser).
Si certains acheteurs ne jouent pas le jeu en 2026, quelle pourrait être la sanction ?
Avant de parler de censure, il y a tout un travail central de pédagogie et d’accompagnement des acteurs à réaliser, ce sera plus efficace pour faciliter l’acceptabilité et la mise en œuvre des obligations. Après, en cas de manquement, il pourra toujours effectivement y avoir des contentieux qui se nouent, des recours de concurrents évincés. Notre rôle à ce stade est d’apporter de la sécurité juridique dans cette évolution des pratiques d’achat.
Que pensez-vous de l’idée proposée par le cabinet Carbone 4 d’imposer un critère carbone ou d'atténuation du changement climatique ?
Cela rejoint les objectifs qui sont déjà inscrits dans la loi Climat et résilience. Mais, si les critères environnementaux peuvent inclure la prise en compte de l’impact carbone, ils vont au-delà. Il est préférable de laisser de la souplesse sur la définition des critères pour favoriser la transition des politiques d'achat.
Quel bilan faites-vous des règlements européens sur les subventions étrangères et sur la réciprocité dans l'accès aux marchés publics internationaux (IMPI) ?
Ce sont deux textes que la France a fortement soutenus. Pour le premier, il a déclenché à ce stade trois enquêtes de la Commission européenne [sur des candidatures à des marchés publics d’entreprises ayant bénéficié de subventions étrangères susceptibles de fausser la concurrence, NDLR]. Elles ne sont pas allées jusqu'à leur terme tout simplement parce que les trois acteurs concernés ont retiré leurs offres. Concernant le règlement IMPI, une enquête est en cours. Nous sommes très satisfaits que Bruxelles se soit effectivement saisie de ces dispositifs. Il faut aussi, pour pousser l’application de ces textes, que les acteurs économiques portent à la connaissance de la Commission les situations de distorsion de concurrence auxquelles ils seraient exposés.
Les difficultés remontées par les utilisateurs sur les nouveaux formulaires européens d’avis de publicité des marchés publics (e-forms) entrés en vigueur début 2024 sont-elles réglées ?
De façon générale, les éditeurs français [de plateformes marchés publics, NDLR] ont plutôt été au rendez-vous des e-forms, il faut le saluer. Aujourd'hui, ce sont environ 80 000 nouveaux avis publiés par an. Ces outils de dématérialisation de la commande publique sont indispensables. Néanmoins, nous devons veiller à ce qu’ils soient véritablement des instruments de simplification. Nous avons échangé récemment avec Bruxelles pour demander que ces formulaires restent stables dans le temps. Et qu’ils ne soient pas excessivement alourdis de nouveaux champs, pour faciliter leur bonne appropriation par les acteurs.
Il est préférable de laisser de la souplesse sur la définition des critères pour favoriser la transition des politiques d'achat
Quel est l'enjeu du règlement Net Zero Industry Act (NZIA), entré en vigueur le 29 juin, pour la commande publique ?
Il vise à promouvoir le développement des technologies propres en Europe. Certains secteurs à forte valeur ajoutée, comme celui des pompes à chaleur, des batteries, des dispositifs de production d’énergie éolienne ou solaire, vont faire l’objet de façon systématique de critères liés à la durabilité, dans les contrats d’un montant supérieur aux seuils européens. Il y a également des obligations en termes de résilience. Ce sont des dispositions novatrices en matière de sécurisation des approvisionnements. Lorsque la Commission constatera qu’il existe une dépendance de l’Europe à certains pays tiers, alors les acheteurs devront imposer que 50 % au moins des produits achetés dans la filière concernée soient fabriqués en Europe. Ces dispositions vont nous inspirer pour les travaux qui s'engagent sur la révision des directives marchés publics.
Que faut-il attendre de ce chantier de révision des directives de 2014 ?
Bruxelles va mener une phase de consultation qui occupera l’année 2025. Nous allons y participer très activement. Trois enjeux nous animeront. Un, la simplification. Deux, l'intégration de toutes les nouvelles priorités en matière de verdissement d'achat durable, dont on s'est déjà bien saisi au niveau national. Et trois, la souveraineté économique, au sens de la sécurité des approvisionnements en Europe, mais aussi de l'utilisation de la commande publique comme un outil de développement des filières économiques et industrielles en Europe. En bref, c’est le sujet de l'achat local, qui n'est plus un tabou au niveau européen.
Il faudra plusieurs années avant que ce chantier n’aboutisse ?
Ce sont en effet des négociations qui prennent du temps. Mais la France sera attentive à ce que ce texte n'arrive pas trop tard sur la table du Conseil et du Parlement. Nous devons répondre aux enjeux de souveraineté, et ne disposons pas d’une décennie pour le faire…