Le 28 août dernier, François Bayrou dévoilait l’accord de principe trouvé pour résoudre le litige opposant depuis plusieurs décennies la France et la Commission européenne à propos de la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Dans un communiqué, le Premier ministre indiquait avoir notamment obtenu « la possibilité de maintenir les exploitants en place ». La gestion des installations hydroélectriques sera à cet effet réformée pour mettre en place un régime d’autorisation qui supplantera le régime concessif actuel.
En contrepartie, EDF devra céder environ 6 gigawatts de sa capacité hydroélectrique aux autres opérateurs, via des enchères. « Il s’agit de montrer que le marché s’ouvre même en l’absence de mise en concurrence portant sur l’exploitation des ouvrages », analyse Jean-Luc Champy, avocat associé chez White & Case.
Des prescriptions renforcées
Si cet accord constitue une avancée majeure dans ce dossier, il soulève tout de même de nombreuses interrogations. A commencer par savoir à quoi ressemblera le régime d’autorisation. « L’idée est d’étendre le cadre applicable aux ouvrages d’une puissance inférieure à 4500 kW, qui font déjà l’objet d’autorisations, à tous les barrages aujourd’hui concédés, à l’exception de ceux de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) », explique Jean-Luc Champy.
Des prescriptions renforcées pour les plus grands ouvrages devraient tout de même être mises en place, si l’on se réfère au rapport de la mission d’information consacrée à l’hydroélectricité publié en mai dernier. Il préconise de reprendre le contenu des cahiers des charges des concessions sous forme de prescriptions dans l’acte d’autorisation. « Les plus importantes, notamment celles relatives à la sûreté, à la sécurité d’approvisionnement ou encore au partage de la ressource en eau, pourraient également être fixées dans la loi », complètent les auteurs du rapport, les députés Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) et Philippe Bolo (Les Démocrates), à la manœuvre pour rédiger la proposition de loi qui doit permettre de mettre en musique l’accord entre la France et la Commission européenne.
Risque de requalification
Les deux parlementaires auront un écueil à éviter : que le nouveau régime s’apparente trop au régime concessif. Surtout si, comme ils le souhaitent, l’autorisation ne s’accompagne pas de la vente des barrages à leurs exploitants. « Sans propriété de l’ouvrage et avec une autorisation prescrivant des obligations importantes pour son bénéficiaire, très proches des actuels cahiers de charges, on pourrait se rapprocher de la définition d’un contrat de la commande publique, voire plus spécifiquement d’un contrat de concession », pointaient-ils ainsi dans leur rapport.
Vendre ou ne pas vendre, telle est la question
Difficile dans ces conditions d’imaginer une solution qui ne prévoirait pas de transfert de propriété. « La logique voudrait que les opérateurs rachètent les barrages, ou au moins les biens de retour des concessions, c’est-à-dire les installations qui appartiennent actuellement à l’Etat », estime Jean-Luc Champy. L’avocat précise d’ailleurs que tous les actifs composant les barrages hydroélectriques ne sont pas nécessairement propriété de l’Etat. « Par exemple dans les concessions les plus anciennes, qui étaient régies par le cahier des charges de 1920, les équipements hydrauliques relèvent de la catégorie des biens de retour mais pas les installations de production d’électricité. La question de la valorisation et du rachat par l’Etat de ces dernières s’était d’ailleurs posée au début des années 2010, lorsqu’il était envisagé de procéder aux remises en concurrence des concessions échues », illustre-t-il.
Quasi-domanialité
Faute de pouvoir éviter la vente des barrages, la mission d’information recommandait alors de mettre en place des mécanismes de contrôle pour « protéger les ouvrages hydroélectriques des velléités de cessions ultérieures par leurs exploitants ». Ce qui pourrait se traduire dans la future proposition de loi par l’application d’un régime de quasi-domanialité publique, permettant d’appliquer à des biens privés des sujétions particulières en raison de leur rôle pour la continuité et l’exécution d’un service public, à l’instar de ce qui existe déjà pour les biens d’Aéroports de Paris par exemple.
A quel prix ?
Le transfert des barrages dans le patrimoine des exploitants nécessite aussi de fixer leur prix. Un exercice délicat tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Parmi lesquels l’indemnité de résiliation que devrait verser l’Etat aux exploitants, dans la mesure où il mettrait fin de manière anticipée à certaines concessions, et qui pourrait venir minorer le prix de cession. Si c’est effectivement ce que prévoit le droit, il pourrait tout de même être considéré que l’obtention d’une autorisation constitue une contrepartie suffisante pour compenser la fin précoce des contrats de concession. Par ailleurs, « le montant de cette indemnité pourrait être nul si la bascule en régime d’autorisation était effectuée au fil de l’échéance des concessions », était-il noté dans le rapport parlementaire.
Relance des investissements
La fin du contentieux avec la Commission européenne doit permettre de relancer les investissements dans l’hydroélectricité, bloqués par le manque de visibilité des opérateurs sur leur situation. « Se posera alors la question du régime de propriété des investissements qui seront à réaliser sur des barrages déjà existants, en particulier si l’autorisation ne s’accompagne pas d’un transfert de propriété des ouvrages à leur exploitant actuel », soulève Jean-Luc Champy.
Des procédures à définir
Quant à la création et l’exploitation de nouveaux ouvrages, elles pourraient faire l’objet de mise en concurrence. En tout cas, dans son rapport, la mission d’information ne s’y oppose pas. « Il pourrait s’agir d’appels d’offre passés sur le fondement des dispositions du Code de l’énergie, c’est-à-dire une mise en concurrence pour le droit d’exploiter des installations de production d’électricité accompagné d’un complément de rémunération sur le modèle de ce qui est pratiqué pour d’autres énergies renouvelables », précise Jean-Luc Champy.
L’autre option serait que ces nouvelles installations fassent l’objet de concessions, mais les annonces de François Bayrou laissent penser que le régime concessif ne perdurera que pour les barrages de la CNR, qui font l’objet d’un statut particulier.
Autant de questions dont les réponses devront être apportées dans la proposition de loi que déposeront prochainement Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo. Le texte devra ensuite se frayer un chemin au sein d’un calendrier législatif chargé. Au risque que la fin du contentieux autour des ouvrages hydroélectriques ne soit repoussée aux calendes grecques.
Des objectifs renforcés dans la PPE ?
« Le fait que le dossier des concessions hydroélectriques se débloque pourrait amener l’Etat à revoir à la hausse ses ambitions dans la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) », imagine Jean-Luc Champy. Initialement annoncée en août dernier, la publication du décret fixant la feuille de route énergétique de la France pour les dix prochaines années a été repoussée par François Bayrou. L’occasion peut être d’y intégrer des objectifs plus ambitieux en matière de production d’hydroélectricité et de développement des STEP. Le projet de texte mis en consultation au printemps prévoyait le développement de 2,8 GW supplémentaires d’ici 2035.