Le projet de loi de simplification de la vie économique (SVE) arrive en séance publique au Sénat à partir de ce lundi 3 juin. Un texte jugé « décevant » par la commission spéciale sénatoriale chargée de l’examiner et qui en a profité pour le retoucher. Ses trois mesures portant sur la commande publique sont concernées par cette refonte.
L'unification du contentieux déjà enterrée ?
A commencer par la disposition (article 5 du projet de loi) visant à unifier le contentieux de la commande publique. Le gouvernement entend étendre la qualification de contrat administratif aux marchés publics et aux concessions passés par des personnes de droit privé. De sorte qu’ils seraient désormais du ressort du juge administratif, comme ceux conclus par des personnes publiques. Une proposition qui ne passe pas du côté des entreprises publiques locales et des bailleurs sociaux, directement touchés par la réforme.
Leurs arguments ont été entendus par la commission spéciale, qui a adopté neuf amendements identiques pour supprimer l’article 5, en raison « de l’insécurité juridique et de l’alourdissement des charges administratives qu’engendrerait [son] adoption pour les entreprises cocontractantes et les acheteurs de droit privé ». Les sénateurs mettent l’accent sur les répercussions de la mesure sur l’exécution des contrats concernés. En particulier la perte de liberté et de souplesse qui en découlerait, en raison notamment des prérogatives de puissance publique dont se verraient doter les acheteurs privés. Ces pouvoirs spéciaux, exclusivement réservés aux contrats administratifs, permettent par exemple de résilier ou de modifier unilatéralement le contrat pour un motif d’intérêt général.
Limiter les effets de la mesure
Un changement de paradigme qui entraînerait aussi l’application des CCAG aux contrats de la commande publique conclus par des personnes privées. Aujourd’hui « ces documents ne sont pas adaptés aux marchés publics de droit privé », peut-on lire dans leurs préambules, en raison justement de leurs clauses relatives aux prérogatives de puissance publique. La commission spéciale s’interroge ainsi sur la compatibilité des CCAG « avec certains types de contrats, tels que le bail réel solidaire opérateur, conclus par les sociétés d’économie mixte HLM. » Pour mémoire, ce contrat consiste à confier à un opérateur, comme un promoteur, la construction ou la réhabilitation de logements puis la vente des droits réels immobiliers qui y sont attachés.
A l’occasion de l’examen en séance publique, Bercy entend jouer les équilibristes. Il souhaite rétablir l’article 5, tout en restant ouvert aux ajustements qui pourraient satisfaire et rassurer les entreprises publiques locales et les bailleurs sociaux. « La mesure ne modifie en rien leur nature de personnes morales de droit privé. L’objet est avant tout de faire en sorte qu’il n’y ait qu’un seul juge pour la même matière », indique le ministère, qui se dit également prêt à tenir compte des inquiétudes émises concernant un potentiel allongement des délais de recours induit par le basculement des contrats conclus par les personnes privées dans le giron du juge administratif.
Des normes adaptées pour l'éolien en mer
Autre sujet matière à débat, l’article 16 du projet de loi crée de nouvelles dérogations aux règles de la commande publique pour les marchés concernant les projets d’installation de production d’énergie renouvelable en mer. Une disposition que les sénateurs ont souhaité borner en précisant qu’elle cible exclusivement les projets éoliens en mer. La possibilité offerte sans condition de ne pas allotir les marchés nécessaires à ces projets est maintenue, mais circonscrite aux marchés d’un montant supérieur à 10 millions d’euros H.T. Ces derniers mois, plusieurs dérogations à l'allotissement ont été introduites. Ainsi par la loi Industrie verte du 23 octobre 2023 pour les entités adjudicatrices en cas de risque de procédure infructueuse ou pour les marchés nécessaires à la construction des futurs réacteurs nucléaires par la loi du 21 mai 2024 relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire
Est inédite en revanche la proposition du gouvernement de prévoir une possibilité de déroger au paiement direct du sous-traitant. Une mesure qui a reçu l’assentiment de RTE, actuellement mobilisé sur plusieurs gros marchés relatif aux nouveaux projets éoliens en mer. La commission sénatoriale s’est toutefois montrée plus sensible à l’opposition de la FNTP en supprimant cette disposition qui aurait pour effet de « réduire la protection des sous-traitants en matière de garantie de paiement ». Elle note en outre que « la simplification ne doit pas être permise du seul point de vue de l’Etat et des grandes entreprises, mais aussi du point de vue des TPE et des PME. »
Pas de plateforme unique pour les collectivités
A noter enfin que l’article 4 ayant pour objet d’étendre le périmètre de Place, la plate-forme de dématérialisation des marchés publics de l’Etat, en la rendant obligatoire aux opérateurs de l’Etat, aux hôpitaux et aux organismes de sécurité sociale d’ici 2028 a reçu l’approbation de la commission spéciale. Seul ajout : un amendement pour « rendre systématique l’autorisation aux acheteurs non soumis à l’obligation mais qui en feraient la demande de recourir gratuitement à Place ». Une proposition de compromis qui vise les collectivités territoriales, représentant près de 80 % des marchés publics et des concessions publiés. Le rapport souligne que « Bercy a indiqué que l’extension de l’obligation prévue aux collectivités territoriales n’apparaît pas opportune », notamment car elle conduirait à une refonte complète de Place et à une perte financière importante pour les éditeurs de logiciels et les services privés de profils d’acheteurs, notamment la presse quotidienne régionale.