Quasi un mois pile après le passage du cyclone Chido qui a dévasté Mayotte le 14 décembre dernier, les députés examinent en commission spéciale à partir de ce lundi 13 janvier le projet de loi d’urgence visant à « rétablir les conditions de vie des habitants » tout « en préparant la reconstruction ». Le texte, pour lequel le gouvernement a engagé une procédure accélérée, sera ensuite débattu en séance publique dès le 20 janvier.
Des assouplissements temporaires et circonstanciés
Le projet de loi comporte un chapitre (le cinquième) consacré à la commande publique. Il prévoit une série de dérogations ayant pour objectif d’accélérer la passation des marchés publics. Elles ne sont applicables qu’aux marchés « nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par la calamité naturelle exceptionnelle survenue à Mayotte les 13 et 14 décembre 2024 », est-il précisé. Elles ne pourront en outre être mises en œuvre que pendant deux ans à partir de l’entrée en vigueur de la loi (art. 14).
Un dispositif connu mais peu éprouvé
A l’exception d’une seule, il s’agit des mêmes mesures que celles adoptées par ordonnance à la suite des émeutes ayant eu lieu dans plusieurs villes françaises au début de l’été 2023. « Or elles n’ont été que très peu mises en œuvre et il n’y a pas eu de retour d’expérience sur leur application », relève Jean-Marc Peyrical, avocat et président de l’Association pour l’achat dans les services publics (Apasp). Un constat formulé également par le Sénat et l’Assemblée nationale dans deux rapports d’avril 2024.
Pas de publicité jusqu’à 2 M€…
La première mesure (art. 11) autorise les acheteurs publics à se dispenser de publicité préalable pour les marchés de travaux d’un montant allant jusqu'à 2 M€ H.T. On se souvient que dans le dispositif post-émeutes, le seuil avait été positionné à 1,5 M€ H.T. Ce qui avait été à l’époque jugé trop bas par certains élus. « C’est bien d’avoir relevé le plafond, salue Jean-Marc Peyrical. Mais je doute que ce soit tout de même suffisant vu l’ampleur des travaux à réaliser ».
… mais une mise en concurrence obligatoire
Les acheteurs auront également la possibilité de négocier ces marchés de travaux d'une valeur inférieure à 2 M€, qui devront donner lieu en tout état de cause à mise en concurrence. « On ne sait pas vraiment ce que signifie mettre en concurrence dans ce cadre, souligne l’avocat. On peut imaginer qu’il faut a minima faire des demandes de devis ». Il indique qu’hormis le gain de temps qu’il est censé permettre, cet assouplissement pourrait aussi être utilisé par les acheteurs mahorais pour favoriser les entreprises locales, « à condition qu'elles soient en mesure de répondre à la demande ».
A signaler que dans une fiche relative à l’ordonnance adoptée suite aux émeutes, la Direction des affaires juridiques de Bercy explicitait davantage cette disposition. Elle invitait notamment les acheteurs « à se rapprocher d’au minimum deux opérateurs économiques » et à organiser la mise en concurrence « de manière à garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique », notamment l’égalité de traitement des candidats et le bon usage des deniers publics.
Relèvement du seuil de dispense de formalités préalables
L’article 11 relève également le seuil de dispense de formalités préalables pour les marchés publics de services et de fournitures. Il passe ainsi de 40 000 € HT à 100 000 € HT. C'est l'unique nouveauté en matière de commande publique par rapport à l'ordonnance prise après les violences urbaines de juin et juillet 2023.
Ce plafond est déjà celui à l’œuvre depuis 2020 pour les marchés de travaux. Un décret du 28 décembre 2024 dispose qu’il doit prendre fin le 31 décembre 2025. En cas d'adoption de la loi d'urgence pour Mayotte, il pourra toutefois continuer à s’appliquer au-delà de cette date pour les marchés de travaux nécessaires pour remédier aux conséquences du cyclone Chido, et ce durant les vingt-quatre mois suivant l'entrée en vigueur du texte.
Des marchés uniques et globaux
Les acheteurs pourront également déroger sans condition de montant à l’obligation d’allotissement qui s’applique en principe aux marchés publics (art. 12). Ils ne seront ainsi pas tenus de démontrer se trouver dans l’un des cas visés à l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique (CCP), les seuls autorisant habituellement à ne pas allotir.
De la même façon, l’article 13 du projet de loi offre la possibilité de conclure des marchés globaux de conception-réalisation sans avoir à justifier que les conditions normalement obligatoires (art. L. 2171-2 du CCP) pour y recourir sont remplies.
Sécurité juridique
Outre l'accélération des procédures, les mesures prévues ont aussi pour objectif de donner de la sécurité juridique aux acheteurs publics. Ainsi dans son avis sur le projet de loi, rendu le 9 janvier, le Conseil d’Etat relève que le CCP comporte déjà « plusieurs dispositifs juridiques permettant de déroger à certaines règles », citant notamment l’urgence impérieuse de l’article R. 2122-1 qui autorise à passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalable. L’urgence étant toutefois d’interprétation stricte, ces dispositifs « ne permettraient sans doute pas de passer tous les marchés nécessaires à la reconstruction, ce qui justifie l’insertion de dispositions spécifiques dans le projet de loi », note le Conseil d’Etat.
Un droit commun inadapté
Jean-Marc Peyrical considère pour sa part que les dérogations révèlent « les limites de la réglementation et l’inadaptation des procédures de droit commun qui sont trop lourdes ». Il en veut pour preuve le fait que « l’on cherche à les assouplir dès que possible ». Surtout, pour le président de l’Apasp, les assouplissements prévus par le projet de loi « ne règlent pas la question du financement des travaux de reconstruction ». A noter toutefois sur ce point que le texte comporte des mesures visant à faciliter les dons à destination de l’archipel, sur le modèle des dispositions adoptées pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame.