Des mesures législatives dérogatoires pour faciliter la reconstruction de Mayotte

Promis par Emmanuel Macron lors de son déplacement sur l’archipel touché le 14 décembre 2024 par le cyclone Chido, le projet de loi d’urgence pour Mayotte a franchi l’étape du Conseil d’État, le 22 décembre, et pourrait être présenté en Conseil des ministres vendredi 3 janvier. Les principaux leviers envisagés sont le droit de l'urbanisme et de la commande publique.

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Mayotte Cyclone Chido
Le projet de loi d'urgence pour Mayotte prévoit des mesures dérogatoires au droit de l'urbanisme et de la commande publique pour faciliter les reconstructions.

Doté de 22 articles répartis en sept chapitres, dont cinq intéressant directement l’aménagement et la commande publique, le projet de loi d’urgence pour Mayotte, dans sa version issue du Conseil d’État, qu’AEF info s’est procuré, prévoit les modalités d’intervention et la répartition des compétences pour accélérer et faciliter la reconstruction de l’archipel touché mi-décembre par le cyclone Chido.

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Au cœur du dispositif, le texte place l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam) qui doit être chargé, par une ordonnance prise dans les trois mois, « de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte, en lien avec les ministères et leurs opérateurs et de veiller à la livraison de l’ensemble des ouvrages et à la réalisation de l’ensemble des opérations d’aménagement conduites par des acteurs publics et privés nécessaires à la reconstruction » (article 1er). Jusque-là, l’exécutif avançait l’idée de créer « un établissement public chargé d’orchestrer la reconstruction de Mayotte, sur le modèle de ce qui a été fait pour Notre-Dame de Paris, un outil pérenne avec des moyens financiers à sa main », comme l’expliquait François-Noël Buffet, ex-ministre de l’Outre-mer, le 22 décembre.

Ecoles publiques

Créé en 2017 en application de la loi d’actualisation du droit des outre-mer de 2015, l’Epfam voit ainsi ses missions d’aménagement renforcées : sur désignation du ministre de l’Éducation nationale, il peut notamment « assurer la construction, la reconstruction, la rénovation, la réhabilitation, l’extension, les grosses réparations et l’équipement des écoles publiques » jusqu’au 31 décembre 2027 ou au-delà après avenant (article 2 du projet de loi). L’ordonnance prévue à l’article 1er devra notamment préciser « l’organisation et l’administration de l’établissement de façon à y associer les collectivités territoriales de Mayotte et les représentants des acteurs économiques mahorais » et les « conditions dans lesquelles l’établissement peut assurer la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’ouvrage déléguée de certains ouvrages ou opérations d’aménagement, coordonner l’action de différents maîtres d’ouvrage et se substituer à un maître d’ouvrage en cas de défaillance grave de celui-ci ».

L’Epfam se voit également identifié comme destinataire de financements versés, entre le 14 décembre 2024 et le 14 mars 2025, par les collectivités territoriales et leurs groupements au même titre que les associations œuvrant « pour financer les secours d’urgence au profit des victimes du cyclone Chido » (article 15).

Grand Paris aménagement crée une cellule « Mayotte »

L’EPA Grand Paris aménagement a lancé, dans la foulée du passage du cyclone Chido, la constitution d’une cellule spéciale « Mayotte » en appui de l’Epfam et recrute pour celle-ci. « Il s’agit, de prime abord, d’identifier et de traiter les besoins de l’Epfam pouvant trouver une réponse à distance (ingénierie foncière, commande publique, expertise technique et montage…), de mobiliser des collaborateurs susceptibles de venir les appuyer sur place (mise à disposition, recrutement…), de contribuer à coordonner l’industrie du BTP (architectes, ingénieries, entreprises, industriels…) », précise François Connilleau, directeur de projets « renforts » à la direction de l’aménagement au sein de GPA, dans une annonce publiée sur LinkedIn. L’action de cette cellule « évoluera dans le temps pour s’adapter aux multiples situations et besoins sans se départir d’une nécessaire préoccupation d’efficacité », précise-t-il encore.

Dérogations aux règles d’urbanisme

Le chapitre II du texte prévoit un certain nombre de dérogations aux règles d’urbanisme et de construction pour faire « face à l’urgence ». Ainsi, les constructions édifiées pour l’hébergement d’urgence après le 14 décembre 2024 et pour deux ans maximum, ainsi que les travaux et aménagements liés à ces constructions « sont dispensés de toute formalité au titre du Code de l’urbanisme » (article 3).

Plus globalement, l’article 4 prévoit la publication d’une ordonnance autorisant le gouvernement « à prendre toute mesure relative aux constructions relevant du domaine de la loi visant à mieux tenir compte des caractéristiques et des contraintes propres au territoire mahorais afin de faciliter et d’accélérer la reconstruction ». Et notamment à « modifier les adaptations applicables à Mayotte en ce qui concerne les règles techniques auxquelles sont soumis les constructions et les travaux qui y sont assimilés ainsi que les aménagements » et à « prévoir de nouvelles adaptations de ces règles, à l’exclusion de celles relatives aux exigences de sécurité des constructions » pour tout chantier lancé après le passage du cyclone Chido.

Les articles 5 et 6, placés au chapitre III dédié à la reconstruction de long terme, autorisent, pour deux ans, les travaux de reconstruction ou de réfection des constructions, aménagements et installations dégradés ou détruits dans la nuit du 13 au 14 décembre à déroger à l’article L. 111-15 du Code de l’urbanisme, qui prévoit une reconstruction à l’identique des biens détruits. Celle-ci peut, à Mayotte, intervenir « avec des adaptations ou améliorations » si les bâtiments ont été « régulièrement édifiés » à l’origine et « nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, y compris lorsqu’un plan local d’urbanisme, tout document en tenant lieu ou la carte communale en dispose autrement ».

Limites temporelles et urbanistiques

Le projet de loi pose un certain nombre de limites à ces dérogations. D’abord temporelles : celles-ci ne peuvent intervenir que dans une durée de deux ans. Puis urbanistiques : les adaptations ne peuvent faire varier le gabarit initial de la construction que dans la limite de 5 % - au-delà, ces modifications doivent être « justifiées par un objectif d’intérêt général ». Mais elles ne peuvent « modifier la destination ou la sous-destination initiale de la construction » et ne peuvent s’extraire « des règles applicables en matière de risques naturels, technologiques ou miniers » ou des prescriptions de sécurité ou de salubrité publique.

Autorisations d’urbanisme

L’article 7 précise la procédure de dépôt et d’examen de l’autorisation d’urbanisme spécifiquement mise en place pour raccourcir les délais (à quinze jours), y compris en cas de procédure de participation du public (limitée à 45 jours). Certains travaux comme les opérations de démolition, de terrassement et de fondation peuvent être engagés dès le dépôt, selon le cas, de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable pour accélérer encore le temps de la reconstruction (article 9).

Expropriation

Problème majeur à Mayotte, la question du foncier est abordée au chapitre IV du projet de loi, qui prévoit notamment une nouvelle ordonnance, dans les six mois, « relative à l’occupation temporaire ou l’expropriation définitive d’emprises foncières » « dans l’objectif d’y faciliter la réalisation, dans les meilleurs délais, des ouvrages publics, des opérations d’aménagement, d’équipement, de démolition, de construction et de relogement, et des travaux nécessaires à l’extraction des matériaux de construction indispensables à la réalisation de ces opérations » (article 10).

Cette ordonnance prévoit, « de façon temporaire » et « dans la mesure strictement nécessaire à l’atteinte de cet objectif » : « des adaptations ou dérogations aux règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique, notamment en matière d’identification et d’indemnisation préalable des propriétaires des emprises devant faire l’objet d’une expropriation » ainsi qu' « une occupation provisoire et réversible, moyennant indemnisation, d’emprises appartenant à des propriétaires privés, nécessaires à la réalisation des ouvrages, opérations et travaux ».

Procédures de commande publique simplifiées

Enfin, dernier axe abordé par le projet de loi pour faciliter la reconstruction : la commande publique. Le texte prévoit plusieurs adaptations et dérogations (à l’article 11), selon deux cas de figure : les marchés de travaux, fournitures et de services soumis au Code de la commande publique nécessaires pour remédier aux conséquences de la calamité naturelle et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes sont exemptés de publicité et de mise en concurrence préalable. Cette disposition s’étend également aux lots dont le montant est inférieur à 80 000 euros hors taxes pour les marchés de services et de fournitures et à 100 000 euros hors taxes pour les marchés de travaux, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots, précise le projet de loi.

En ce qui concerne les marchés de travaux soumis au Code de la commande publique nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par la calamité naturelle exceptionnelle survenue à Mayotte les 13 et 14 décembre 2024 et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 2 000 000 d’euros hors taxes, ceux-ci peuvent être négociés sans publicité mais avec mise en concurrence préalable. Une disposition qui s’étend, là aussi, aux lots dont le montant est inférieur à 1 000 000 d’euros hors taxes, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.

Les marchés publics nécessaires pour remédier aux conséquences de la calamité naturelle peuvent également faire l’objet d’un marché unique ainsi qu’un contrat de conception-réalisation, par dérogation à l’article L. 2171-2 du Code de la commande publique.

Un examen à l’Assemblée « dès la première semaine de janvier » ?

Le texte pourrait être présenté en Conseil des ministres vendredi 3 janvier pour une « inscription à l’Assemblée nationale » rapide, comme l’indiquait François-Noël Buffet, le 22 décembre, lançant l’hypothèse d’une suspension plus courte que prévu des travaux parlementaires – les députés doivent en principe reprendre le 13 janvier – « si le gouvernement et les présidents de groupes convoquent une conférence des présidents » et s’entendent en ce sens. Ainsi, la lecture du texte pourrait débuter « dès la première semaine de janvier ».

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