A Mayotte, deux bailleurs sociaux au défi de la reconstruction

Le gouvernement compte sur les filiales mahoraises de CDC Habitat et Action Logement pour répondre aux besoins résidentiels, augmentés par Chido. Leurs objectifs de production annoncés avant la catastrophe restent d’actualité, malgré les freins structurels et conjoncturels.

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Ce bâtiment géré par la SIM, filiale de CDC Habitat à Mayotte, a résisté au cyclone Chido.
Ce bâtiment géré par la Société immobilière de Mayotte (Sim), filiale de CDC Habitat, a résisté aux cyclones Chido et Dikeledi, respectivement en décembre 2024 et janvier 2025.

La France compte 5,4 millions de logements sociaux pour 68,6 millions d’habitants, soit 1 HLM pour 13 personnes. A Mayotte, département le plus pauvre où les besoins sont supérieurs à ceux de la métropole, en raison principalement d’une vigoureuse croissance démographique, il y en a près de 1600 pour 320 000 habitants, soit 1 HLM pour 200 personnes.

La marche est immense pour les deux bailleurs sociaux de l’archipel ravagé par les cyclones Chido (en décembre) puis Dikeledi (en janvier). Deux mois après la première catastrophe qui a fait 39 morts selon le dernier bilan officiel, la Société immobilière de Mayotte (Sim), entité du groupe CDC Habitat, lui-même filiale de la Caisse des dépôts, et Alma, de la galaxie Action Logement, se trouvent aux avant-postes de la reconstruction.

« Plutôt solides et complémentaires »

« En matière de logement abordable, Mayotte peut compter sur deux opérateurs plutôt solides et complémentaires », note Bruno Arcadipane, président d’Action Logement.

« Une première réunion s’est tenue en janvier avec eux et la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement, du Logement et de la Mer de Mayotte (DEALM), la Dreal mahoraise, explique le cabinet du ministère du Logement. Nous avons notamment parlé de la façon dont nous pourrions augmenter l’offre de logements, d’un point de vue financier et technique. »

Les freins propres à Mayotte sont connus. « Un chantier dure six mois de plus par rapport à la métropole car nous manquons d’entreprises structurées, sans compter les problèmes de circulation faute d’un réseau routier adapté, de sécurité liés à l’immigration massive et d’approvisionnement de matériaux, tous importés à l’exception du sable concassé issu de deux carrières locales, qui coûte toutefois 30% plus cher que celui de La Réunion », liste Ahmed Ali Mondroha, directeur général de la Sim depuis 2015.

Delphine Sangodeyi, DG d’Alma, complète : « Le coût de construction est 25% plus élevé qu’à La Réunion, donc 50% plus élevé qu’en métropole, selon les observations de CDC Habitat et Action Logement. Les normes anticycloniques de demain risquent encore de renchérir ce coût. »

Les deux dirigeants n’ont pas tout à fait la même analyse sur la délivrance de permis de construire. Celui de CDC Habitat note que « l’avantage d’être sur un petit territoire, c’est qu’il n’y a pas de retard sur les autorisations » quand son homologue chez Action Logement pointe « les lourdeurs administratives ».

Delphine Sangodeyi cite « les plans d’urbanisme des années 2010 qui se faisaient une idée bucolique de Mayotte, limités en R+3, entraînant une perte de deux étages sur l’un de nos programmes que nous avons quand même lancé ».

Elle critique également « les nouveaux plans d’urbanisme mal étudiés : des terrains constructibles sont devenus agricoles au nom du ZAN alors que Mayotte se trouve dans un contexte de développement, de lutte contre l’habitat précaire. Limiter le logement abordable, c’est favoriser les bidonvilles où les deux-tiers des habitants sont des salariés français et étrangers en situation régulière ».

Le logement neuf n’est pas la priorité du moment

En attendant l’adoption définitive du projet de loi d’urgence qui prévoit notamment des assouplissements aux règles d’urbanisme, la mobilisation des entreprises pour la réparation des dégâts repousse les livraisons de la Sim.

« Si les terrassements ont repris dans le nord, la majorité de nos partenaires sont mobilisés par la reconstruction de leurs propres bâtiments et des autres pour reloger la population, observe Ahmed Ali Mondroha, DG de la filiale de CDC Habitat. Les chantiers neufs redémarreront dans un deuxième temps, au cours du premier semestre. Nous mettrons alors l’accent sur les opérations presque terminées pour donner une première réponse aux besoins, démultipliés par Chido. »

Cinq grues sur onze sont tombées à Mayotte mais aucune sur un bâtiment. « Sous réserve que les entreprises se réorganisent rapidement, nous serons en mesure de mettre en chantier 600 logements cette année, dont les 200 logements qui devaient être lancés en décembre dernier », assure le dirigeant.

L’année 2024 a été particulièrement difficile pour les acteurs de la construction à Mayotte. « Des mouvements sociaux ont bloqué l’activité économique en janvier et février, provoquant une inflation inédite dans le secteur de la construction. Puis Chido a anéanti le peu que nous allions développer », regrette-t-il.

« Nous serons sans doute un peu plus ambitieux »

Le bailleur social historique de l’archipel, créé en 1977, a commencé 291 logements en 2023, dernière année de référence. Il revendique 35 chantiers en cours pour un total de 1500 lots. Son objectif de production de 5000 logements d’ici 2033, soit 500 par an, reste d’actualité.

« Nous serons sans doute un peu plus ambitieux. Encore faut-il disposer de moyens financiers, de fonciers disponibles et trouver des entreprises. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes outillés pour monter à 600 mises en chantier voire plus par an », affirme Ahmed Ali Mondroha, qui prévoit d’actionner le levier de la densification : « Sur des terrains qui nous appartiennent, nous pouvons passer de cinq maisons à du petit collectif de 20 ou 30 logements. »

Un tiers de la production de la Sim est acquise en vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) auprès de Colas Bâtiment, qui crée une société civile de construction vente (SCCV) à chaque opération, Ocidim, filiale de Vinci Construction, ou des promoteurs réunionnais.

Le premier bailleur social de Mayotte gère 3211 logements (1595 sociaux, 107 intermédiaires et 1509 libres) et 79 locaux d’activité commerciaux. « 20% de notre patrimoine a été sérieusement touché, c’est-à-dire que le locataire ne peut plus occuper le logement », confie son dirigeant. La filiale de CDC Habitat compte par ailleurs 125 salariés, dont 85% ont fait grève au début du mois pour demander une prime Chido exceptionnelle de 2000€, une prime mensuelle de 150€ contre la vie chère ou encore un soutien matériel.

Au regard de son patrimoine, la filiale d’Action Logement par de plus loin. Créée il y a seulement trois ans par le collecteur de la Participation de l’employeur à l’effort de construction (Peec), Alma détient pour l’instant 17 logements dont 8 HLM acquis dans des bâtiments existants. « Notre mission première, c’est de construire du neuf pour les salariés, rappelle Delphine Sangodeyi, la DG. Notre stratégie repose aussi sur l’acquisition-amélioration d’immeubles de plus de vingt ans, dans des quartiers déjà constitués, par exemple à Mamoudzou (le chef-lieu, NDLR). »

« Entre les études et les travaux, il faut compter au moins deux ans et demi, estime-t-elle. Or, nous devons aller vite pour produire 5000 logements en dix ans, entre notre création et 2032. » Un objectif inchangé malgré le contexte : « Nous visons toujours 500 mises en chantier par an, à partir de 2026 », précise la dirigeante, basée temporairement à La Réunion, son logement et son bureau étant détruits.

Une résidence pour jeunes actifs en maîtrise d’ouvrage directe

Alma compte quatre chantiers en cours, dont une résidence de 33 logements intermédiaires pour jeunes actifs, censée diversifier l’offre dans le cadre du renouvellement urbain. « Nous faisons un focus sur les jeunes car beaucoup d’entre eux sont obligés de quitter Mayotte pour étudier. Autant de talents formés qui ne reviennent pas au pays faute de logements adaptés à leur mode de vie », souligne Delphine Sangodeyi.

Sur ce chantier en maîtrise d’ouvrage directe, la grue a tenue. Alma s’appuie sur la Société Mahoraise de Travaux Publics et de Construction (SMTPC), filiale de Vinci Construction. La livraison prévisionnelle est maintenue pour cette année.

Il y aura en revanche quelques mois de retard sur l’opération de 52 logements en Vefa avec Eden Austral, du groupe Eden, un promoteur rochelais présent à Mayotte depuis 2008. « Sur ce site, Chido a fait tomber la grue, témoigne Delphine Sangodeyi. Les entreprises de second œuvre ont perdu tout leur matériel. Or, les commandes mettent plusieurs mois à arriver de métropole. »

L’Union européenne doit adopter un règlement d’ici la fin d’année exemptant les territoires ultra-marins du marquage CE, pour que les professionnels antillais, guyanais ou encore mahorais ne soient plus obligés de se fournir en Europe continentale. Il produira ses effets dans le droit français un an après son entrée en vigueur.

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