Mayotte : ils plaident pour une reconstruction en quatre temps

De l’urgence du relogement à la livraison de bâtiments résidentiels, hôteliers ou encore industriels sur des fonciers constructibles qui se font rares, deux professionnels -l’un mahorais, l’autre réunionnais- expliquent comment l’archipel peut se relever du cyclone Chido. 

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Vincent Le Baliner, expert du marché immobilier mahorais, et Irfani Toybou, urbaniste local.
Vincent Le Baliner, expert du marché immobilier mahorais, et Irfani Toybou, urbaniste local.

Plus d’une semaine après le passage du cyclone Chido à Mayotte qui a fait au moins 35 morts, Irfani Toybou, urbaniste mahorais et gérant d’Aménagement Conseil, et Vincent Le Baliner, fondateur de la société de conseil en immobilier Inovista, basée à La Réunion et disposant d’un bureau à Mayotte, insistent sur la nécessité de reloger les habitants et abriter les secouristes avant de parler de reconstruction.

L’urgence : réparer provisoirement

Eau, nourriture, électricité… La distribution de bouteilles, l’acheminement des vivres et le rétablissement du réseau électrique, qui pourrait prendra plusieurs semaines voire mois selon Electricité de Mayotte (EDM), société d’économie mixte détenue par le Département et EDF notamment, constituent les priorités du moment.

« Une réponse à ces besoins vitaux pourrait être apportée par la mise en place de bases vie dans chaque village, voire chaque quartier dans les villes, sur une place publique ou un parking avec une ou plusieurs tentes. Celles-ci seraient gérées par les secouristes avec l’appui des agents de la commune », illustre Irfani Toybou. Des citernes d’eau, pour l’hygiène en particulier, seraient à installer. « Les habitants se lavent et cuisinent avec l’eau de la rivière voire l’eau de mer », témoigne-t-il.

L’inspiration pourrait venir de cet hôtel-restaurant du nord de l’île principale de Mayotte qui a mis à disposition des prises pour charger les téléphones, et ainsi donner des nouvelles à ses proches. « Le dispositif était alimenté par un groupe électrogène, avec les propres moyens de l’entreprise, mais cette dernière s’est retrouvée très rapidement à court de carburant. Elle a même partagé son internet satellitaire, qu’a pu utiliser la gendarmerie », confie-t-il.

En parallèle, l’urgence consiste à réparer provisoirement pour que les habitants puissent regagner leurs logements et à offrir un abri aux secouristes, qui n’en disposent pas. « Il est vital d’avoir un toit sur la tête. La saison des pluies vient de démarrer officiellement », rappelle-t-il. D’où ce premier constat post-Chido : les bidonvilles ont été les premiers à se remettre debout. « Logique : il faut à peine une journée pour construire une case en tôle, mais idéalement il faudrait ne pas permettre leur reconstruction », observe-t-il. C’est en tout cas la volonté du maire de Mamoudzou, le chef-lieu de Mayotte.

Concernant les logements en dur, qui représentent les deux autres tiers de l’habitat sur l’archipel, des bâches pourraient être utilisées en guise de toiture sur ceux partiellement endommagés, comme cela avait été le cas à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy après le passage du cyclone Irma en 2017. Les bâtiments qui ont perdu une fenêtre sont également à prioriser. « C’est le cas de notre bureau. On s’estime presque chanceux, car ce n’est quasiment rien comparé à d’autres », témoigne Vincent Le Baliner.

Les habitants des constructions gravement endommagées ou totalement effondrées doivent, eux, se contenter des bâtiments publics comme les gymnases et de structures provisoires légères comme des tentes.

En 2025, engager les réparations définitives

A partir du mois prochain et jusqu’en décembre 2025, Irfani Toybou identifie quatre priorités : « rétablir l’eau, l’électricité et la télécommunication dans les foyers, continuer la réparation provisoire et engager les réparations définitives, rétablir les infrastructures et services publics et enfin mettre en place une gouvernance pour la reconstruction ».

C’est dans ce deuxième temps que de l’habitat modulaire made in Réunion ou Hexagone pourrait être acheminé, comme envisagé par la ministre du Logement démissionnaire Valérie Létard.

Le rebond de l’archipel dépend aussi de ses opérateurs économiques. « Nous avons besoin des métiers de second œuvre pour mettre à l’abri nos machines, outils et services », illustre Vincent Le Baliner. Une armée de couvreurs, plaquistes, électriciens… locaux et en provenance de La Réunion et de métropole sera donc nécessaire.

Les assurances, qui couvrent moins de 10% de l’habitat sur l’archipel, seront mises à contribution. « La déclaration de l’état de calamité naturelle exceptionnelle devrait contribuer à faciliter les choses », anticipe Irfani Toybou. 

L’urbaniste espère en complément « 1,5Md€ de l’Etat avec un abondement de l’Union européenne de 500M€ ». « Le fonds européen Feder sera insuffisant, nous aurons besoin de capitaux privés, des institutionnels et des particuliers. Pour les attirer, une exonération de taxe foncière pourrait être envisagée », suggère Vincent Le Baliner.

Après le passage d’Irma sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l’engagement des pouvoirs publics s’était élevé à près de 500M€. Les deux territoires antillais totalisent 84km². Mayotte s’étend sur 374m².

A partir de 2026, reconstruire durablement

De 2026 à 2027, une période de « reconstruction durable et concertée » devra s’ouvrir, soutient Irfani Toybou. Au programme : « réparation définitive des constructions modérément endommagées et reconstruction des constructions gravement endommagées ou totalement détruites », de préférence hors des zones inondables ou exposées à des risques moyens et forts de submersions marines et de mouvements de terrains, majoritaire sur l’archipel volcanique cernée par des mangroves.

Reste à trouver les fonciers... « Le ZAN est une contrainte pour Mayotte qui est loin d’avoir fini de se développer, contrairement aux autres départements de métropole ou d’outre-mer, rappelle l’urbaniste. Trouver des endroits facilement aménageables sur un territoire qui en manque et en même temps réduire l’artificialisation des sols, c’est impossible si l’on veut reconstruire durablement. »

Il sera également temps de « reprendre et accélérer l’instruction des permis de construire » pour la création de nouveaux logements. Côté infrastructures, les transports, réseaux électriques… seront à consolider.

Il faudra enfin « accélérer le développement des nouveaux quartiers en s’appuyant sur les travaux en cours et ceux en phase études », souligne Irfani Toybou, avant de proposer un allègement des procédures environnementales : « Pour une étude d’impact de six mois, l’instruction prend entre neuf et douze mois en métropole, contre entre deux à trois ans à Mayotte. »

« Une grande partie de la propriété foncière commence à être identifiée, complète Vincent le Baliner. Ces terrains sont détenus par le Département et des familles mahoraises. Il faut les libérer car sans terrains, pas de reconstruction. Et sans reconstruction, Mayotte va se vider de ses habitants et de ses opérateurs économiques. La France a été capable de reconstruire Notre-Dame en cinq ans, avec un établissement public (Rebâtir Notre-Dame, NDLR). Pourquoi ne pas en créer un et l’appeler Mayotte 2030 ? »

A partir de 2028, changer de dimension

La finalisation du Schéma d’aménagement régional (Sar), document dédié aux territoires ultra-marins, constitue une priorité pour la dernière période de la reconstruction, qui s’ouvrirait trois ans après la catastrophe. Mayotte est le seul département à ne pas disposer de Sar.

Il en va de la stabilité du département le plus pauvre de France, caractérisé par une forte croissance démographique, elle-même dopée par l’immigration irrégulière, en provenance des Comores voisines principalement. Autre donnée importante : en 2023, les femmes mahoraires avaient en moyenne 4,5 enfants, selon l’Insee.

« Il n’y a pas suffisamment de logements, il faut créer de nouveaux quartiers. Entre les deux projets en cours de l’Etablissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Efpam) et les autres qu’il faut sortir des cartons, on peut y arriver », positive Irfani Toybou.

La mise en œuvre des orientations stratégiques du Sar, qui fait l’objet depuis sa genèse en 2019 d’un « consensus large », permettra de « développer durablement le territoire », selon lui. La création d’un deuxième pôle urbain dans le centre de l’île principale doit permettre de désengorger Mamoudzou, où se concentre actuellement l’activité économique.

Au rayon infrastructures, l’enjeu sera d’assurer un approvisionnement en eau ininterrompu, contrairement à ces dernières années. En cause : « des précipitations très insuffisantes lors de la saison des pluies 2022-2023, mais aussi (du) retard pris dans les investissements sur les moyens de production et le réseau », lit-on sur le site du gouvernement.

Outre les projets de routes de contournement de Mamoudzou et de Combani, deuxième ville de Mayotte, la construction d’un nouvel axe routier entre cette dernière et le port de Longoni, permettrait en outre de réduire par trois le temps de trajet actuel, de 30 minutes selon Irfani Toybou.

Pour Vincent Le Baliner, la reconstruction doit rimer à long terme avec développement touristique et agricole. « Avec Maoré, Mayotte a peut-être le plus beau lagon du monde, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Les ingrédients du développement d’un tourisme durable sont là », croit l’entrepreneur réunionnais.

L’autre enjeu relève du pouvoir d’achat des Mahorais. « Il faut limiter les importations et favoriser la consommation locale en consacrant des terrains à l’élevage avicole et à des usines de produits transformés, par exemple laitiers », propose-t-il. Autant de projets qui offriront « des perspectives de construction de vie personnelles et de création de richesses », souligne-t-il.

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