La conciliation entre sobriété foncière et développement local est possible et est en marche. C’est ce qui ressort d’une note et d'un document de travail que vient de publier le Haut-commissariat à la stratégie et au plan. Pour parvenir à cette conclusion, l’organisme s’est appuyé sur le retour terrain de six territoires aux caractéristiques complémentaires et dont les enjeux sont différents : Nantes Métropole, les communes de Ris-Orangis (Essonne), Pornic (Loire-atlantique), Dreux (Eure-et-Loir), Besançon (Doubs) et le Scot de Gascogne (Gers)*.
(*) Les bonnes pratiques et recommandations sont issues d’entretiens avec des représentants de ces six territoires et des réflexions d’un groupe de travail composé d’experts de la planification territoriale, de l’aménagement, de la biodiversité et des territoires (ANCT, FNAU, DGAL, Fédéscot…).
Arbitrages complexes
La sobriété foncière, en particulier l’objectif d’atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 instauré par la loi Climat et résilience de 2021 – modifié depuis –, oblige à arbitrer entre des objectifs « en tension » qui peuvent parfois paraître contradictoires, pose Clément Beaune, le Haut-commissaire, lors d’une conférence de présentation du document : loger décemment, accueillir de l’activité économique, préserver la biodiversité et de manière plus globale l’environnement, maintenir la cohésion sociale, etc., « ces arbitrages sont complexes » car ils obligent à concilier des priorités différentes et diverses, toutes aussi légitimes les unes que les autres.
Connaissance des sols
Pour autant, les démarches innovantes et efficaces qu’ont mis en place et expérimenté ces collectivités montrent qu’il est possible de « résoudre ces conflits d’objectifs » et qu’il faut « inverser le regard sur la valeur des sols, les dépendances entre territoires urbains et ruraux, et sur l’aménagement du territoire ».
Réussir la stratégie de sobriété passe en premier lieu par une bonne connaissance des sols, « souvent négligée dans la décision publique », souligne la note. Sur ce point, la commune de Ris-Orangis a lancé « une étude pédologique poussée [200 sondages] qui a conduit à préserver certains espaces végétalisés et à revoir un projet de zone d’aménagement concerté (ZAC) ». En clair, « avoir une connaissance très fine des sols permet de faire des choix plus intelligents en amont du projet urbain : on préserve les sols de bonne qualité et on concentre les constructions sur les zones de moins bonne qualité », illustre Sarah Tessé, cheffe de projet Territoires et société au sein du Département Société et politiques sociales du Haut-commissariat. Ce type de diagnostic mérite d’être généralisé, estime-t-elle.
De son côté, Nantes Métropole s’est appuyé sur le Cerema et a mis en place un outil de pré-diagnostic des sols de l’ensemble des zones 2AU (**), réservées à l’urbanisation future. Quatre grands indicateurs de qualité des sols ont été considérés pour qualifier les sols de ces zones : potentiel agronomique ; d’infiltration de l’eau ; stockage potentiel de carbone et biodiversité du sol. « L’outil permet aux élus de déterminer quelles sont les zones à maintenir dans les zones 2AU, et celles qui devront être préservées de l’urbanisation ».
(**) Les zones 2AU sont celles dont l’ouverture à l’urbanisation est en principe soumise à une évolution du document d’urbanisme. Elles ne disposent pas des voies publiques ni des réseaux de capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter.
Déployer un processus consultatif aussi large et approfondi que possible
Autre outil mis en avant, le processus consultatif qui permet « un débat de fond sur les priorités et leurs traductions concrètes ». La ville de Besançon, dans le cadre d’un projet de nouveau quartier urbain a organisé un long processus (trois ans) de démocratie participative en sollicitant la Commission nationale du débat public (CNDP). L’objectif était d’éviter de construire du logement pavillonnaire mais d'avoir un quartier plus dense avec du logement collectif désirable et souhaitable. La participation citoyenne a permis de prendre en compte les attentes des habitants en matière de qualité de logement et de cadre de vie et a débouché sur un cahier des charges pour les promoteurs.
Les paysages, un média puissant
Le succès d’une stratégie de sobriété foncière repose aussi sur la capacité à construire un récit d’un futur souhaitable pour emporter l’adhésion des habitants. En d’autres termes, « faire en sorte que le ZAN ne soit pas perçu comme une privation mais qu’il fasse rêver », explique Sarah Tessé. Pour le Haut-Commissariat, l’approche par le paysage peut être un point d’entrée intéressant car « elle est globale, concrète et accessible aux habitants, qui ont tous une expertise d’usage ». L’équipe communale de Ris-Orangis s’est par exemple appuyée sur son expérience en matière de jardins partagés pour produire un discours positif sur la sobriété foncière en défendant l’idée qu’en préservant les sols, on préserve aussi l’alimentation, un sujet qui fait consensus. Pour le groupe de travail, l’entrée paysagère est un outil de médiation puissant pour redonner de la valeur et de l’attractivité aux territoires et aux espaces préservés et permettre un dialogue entre les élus et les habitants.
Reconnaître les aménités rurales
Parmi les autres leçons à tirer de ces initiatives, la reconnaissance des aménités rurales et leur contribution au développement des métropoles. On le sait, les territoires ruraux qui ont de vastes espaces naturels contribuent à la préservation de la biodiversité, la lutte contre les inondations, etc., mais ils participent aussi au développement récréatif ou touristique des métropoles. Or, les communes rurales supportent les coûts liés à l’entretien ou protection de ces espaces et leurs capacités financières ne sont pas toujours suffisantes. L’idée serait donc de changer de regard sur ces espaces et ne plus les considérer comme des stocks d’espaces à consommer mais comme des aménités qui profitent à tous. Plusieurs pistes d’action sont possibles, dont « le principe d’une dotation aux communes pourvoyeuses d’aménités […] étendu à celles qui disposent de vastes espaces non artificialisés et qui les valorisent ou les préservent ».
Solidarité écologique territoriale
Enfin, pour le Haut-commissariat, le succès d’une stratégie de sobriété foncière repose aussi sur une coopération entre territoires, dans une logique de solidarité écologique territoriale. Cela pourrait se traduire par « une coopération entre les territoires co-dépendants du fait des interactions de leurs écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ». Un dispositif contractuel qui relierait les métropoles et les territoires ruraux environnants permettrait ainsi à ces derniers de valoriser les espaces non bâtis. Et de mettre « en évidence la dépendance des métropoles aux ressources naturelles voisines et donc leur intérêt à accompagner leur préservation et à calibrer leur développement en tenant compte de ces ressources. ». A cet égard, « le contrat de relance et de transition écologique (CRTE) entre l’État et les intercommunalités pourrait être un bon cadre », s’il intégrait davantage les politiques liées à la conservation et à la valorisation du patrimoine naturel.
Stabilité et visibilité
Au-delà de ces recommandations, Clément Beaune insiste : pour réussir la sobriété foncière, il faut un « cadre juridique stable », les élus ont besoin de « visibilité » pour avancer, non de nouvelles lois qui modifient les règles à peine celles-ci en vigueur. A bon entendeur...