Une commission d’enquête du Sénat demande à « mieux exploiter le potentiel de la commande publique »

Souveraineté, achat durable et simplification sont au menu des 67 recommandations formulées par la commission d'enquête consacrée à la commande publique qui a remis ses conclusions ce mercredi 9 juillet. « L’achat public doit devenir une véritable politique publique », explique au Moniteur son président, le sénateur Simon Uzenat.

Réservé aux abonnés
Commission d'enquête Commande publique
La commission d'enquête s'est rendue sur le chantier du pôle d'échanges multimodal de la gare de Vannes (Morbihan).

Ouverte en février dernier, la commission d’enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d’entraînement sur l’économie française a rendu ses conclusions ce 9 juillet 2025. Dans son rapport intitulé « L’urgence d’agir pour éviter la sortie de route : piloter la commande publique au service de la souveraineté économique », elle formule 67 recommandations pour « mieux exploiter le potentiel de la commande publique ».

« Notre conviction est que la commande publique est une politique publique à part entière, indique au Moniteur le président de la commission d’enquête Simon Uzenat, sénateur socialiste du Morbihan. Elle doit donc être appréhendée comme telle, et non uniquement comme un acte juridique et administratif », soutient-il. Le rapport rédigé par le sénateur du Nord Dany Wattebled (Les Indépendants) déplore à cet égard l’absence de pilotage de l’achat public à l’échelle nationale.

Revoir la gouvernance

Surtout il souligne que « l’Etat n’avait pas su se montrer à la hauteur des enjeux ces dernières années lorsque la commande publique avait dû être mobilisée pour répondre à l’urgence ou garantir la souveraineté nationale ou européenne, prenant en exemple les achats de masques durant la crise sanitaire ou les marchés conclus avec des géants américains du numérique ». Pour la commission, cette défaillance résulte d’un défaut de gouvernance de la commande publique.

Elle recommande alors de « confier au Premier ministre la responsabilité du pilotage, de la cohérence et de l’efficience de la politique nationale de commande publique » et « d’associer le Parlement à son suivi à l’occasion d’un débat annuel consacré à la politique d’achat de l’Etat ». Elle préconise également la création d’un comité interministériel réunissant l’ensemble des acteurs soumis au droit de la commande publique.

« La mise à disposition de données exhaustives, centralisées et exploitables relatives aux achats publics apparaît comme un nouvel impératif pour améliorer son pilotage et sa performance économique, environnementale et sociale », estime la commission d’enquête dans son rapport.

Qualifiant de « lacunaire » la remontée d’informations assurée par l’Etat, elle préconise notamment d’organiser « le recensement des données dès le premier euro dépensé » et de « rendre publiques et facilement accessibles les données » détenues par l’Observatoire économique de la commande publique.

Préférence européenne

La commande publique doit devenir un instrument de souveraineté économique, estime la commission d’enquête. « Elle représente 400 milliards d’euros par en France, selon l’Union européenne. C’est donc un levier considérable pour renforcer notre économie et soutenir les entreprises européennes », assure Simon Uzenat. Ce qui passe par un changement de paradigme au niveau européen. « Nous prônons, à l’occasion de la révision des directives Marchés publics et Concessions actuellement en cours, l’instauration d’un principe général de préférence européenne dans les achats publics », indique le sénateur.

Pas question pour autant d’opposer achat souverain et achat durable. « La souveraineté et la transition écologique et sociale marchent d’un même pas, ce sont les deux faces d’une même pièce. Les acheteurs publics ont d’ailleurs conscience que les considérations environnementales et sociales peuvent être utilisées pour favoriser les entreprises locales », explique Simon Uzenat.

Renforcer l'accompagnement des acheteurs

L’Etat doit tout de même prendre garde à ne pas trop en demander aux collectivités ou hôpitaux. « Ils doivent en faire toujours plus en matière d’achat durable mais sans que leur soit donnés les moyens, notamment financiers, de le faire », alerte le président de la commission d’enquête. Le rapport relève « une application lacunaire » des obligations environnementales entrées en vigueur ces dernières années. « Une minorité de pouvoirs adjudicateurs se conforme aux objectifs de réemploi, réutilisation ou recourt aux biens issus du recyclage fixés par la loi Agec », est-il ainsi noté. La faute à l’Etat qui aurait défini des normes sans prendre en compte les pratiques initiales des acheteurs et qui aurait insuffisamment accompagné les plus petits d'entre eux.

La commission d’enquête invite l’Etat à se montrer exemplaire en matière d’achat durable. Elle lui demande notamment de se conformer au plus vite à son obligation de se doter d’un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser), dont la publication était prévue fin 2024 par la Direction des achats de l’Etat.

Le rapport préconise une meilleure coordination des actions de la Direction des affaires juridiques de Bercy, de la Direction des achats de l’Etat, du Commissariat général au développement durable, de l’Ademe et des réseaux locaux « dans l’élaboration d’outils et de formation d’aide à la transition des politiques d’achat public locales vers des achats durables ». Elle demande aussi à l’Etat de mettre à disposition des acheteurs les outils d’analyse du coût du cycle de vie des biens, attendus depuis le 1er janvier 2025 en vertu de la loi Climat et résilience de 2021.

Professionnalisation et montée en compétences

Il recommande également de « renforcer la formation initiale des acheteurs publics en accompagnant plus fortement le développement des programmes universitaires consacrés à la commande publique, incluant les aspects de souveraineté et de durabilité ». « La prise en compte de ces enjeux compliquent le travail des acheteurs et nécessitent une expertise dont toutes les personnes publiques ne disposent pas », constate Simon Uzenat. C’est la raison pour laquelle la commission encourage la mutualisation des fonctions achat à l’échelle des intercommunalités et plaide pour un assouplissement des conditions de recours aux groupements de commandes pour les communes et les EPCI.

Pour simplifier le travail des acheteurs, la commission d’enquête souhaite aussi l’élaboration d’un « clausier général de la commande publique » rédigé sur la base d’un recensement des bonnes pratiques, ainsi que la mise en place d’une plateforme publique de veille jurisprudentielle.

Négociation

« Nous souhaitons aussi leur offrir davantage de sécurité, de liberté et de flexibilité », ajoute Simon Uzenat. Ce qui passe notamment par un plus grand recours à la négociation. Le rapport recommande ainsi de supprimer la procédure adaptée et de permettre le recours à la procédure négociée en dessous des seuils européens, ainsi que d’autoriser les pouvoirs adjudicateurs à recourir librement et sans justification à la procédure formalisée avec négociation.

Dans la lignée des réflexions récentes sur le délit de favoritisme, qui constituerait un frein à l’efficacité de la commande publique, la commission d’enquête recommande d’exclure de son champ « toute méconnaissance, même délibérée, du droit de la commande publique, lorsqu’elle visait à permettre d’atteindre un objectif d’intérêt général impérieux et lorsque l’acheteur, en le méconnaissant, même délibérément, n’avait pas l’intention d’octroyer un avantage injustifié ».

A signaler aussi la recommandation visant à autoriser le remplacement sans publicité ni mise en concurrence du titulaire d’un marché ou d’un lot placée en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire. Ou encore celle appelant à la création d’un « passeport commande publique » attestant pour les candidats à un marché du respect de leurs obligations. Une autre recommandation a pour objet « d’exiger la mention, dans le dossier de candidature, de la rémunération demandée au titre de la maîtrise d’œuvre dans le cadre d’un concours ».

Attirer davantage les entreprises

« Les lourdeurs et les contraintes pèsent également sur les entreprises », peut-on également lire dans le rapport. Pour faciliter leur accès à la commande publique, la commission d’enquête souhaite tout d’abord favoriser le recours aux variantes, dans la mesure où celles-ci permettent « de valoriser les entreprises innovantes et d’élargir le champ de la concurrence ».

Elle entend également agir sur les délais de paiement, notamment en garantissant le versement automatique des intérêts moratoires en cas de retard et en incitant les acheteurs à porter à 30 % le taux d’avance dans les marchés conclus avec les TPE-PME.

Plusieurs recommandations concernent aussi l’accès des start-up et des entreprises innovantes aux marchés publics. La commission d’enquête demande notamment de relever le seuil applicable aux marchés innovants passés sans formalités préalables à 143 000 € pour les pouvoirs adjudicateurs centraux, 221 000 € pour les autres pouvoirs adjudicateurs, et 443 000 € pour les entités adjudicatrices. Actuellement le seuil est fixé à 100 000 €.

Un « Small Business Act »

En faveur des PME toujours, la commission d’enquête appelle à la mise en place d’un Small Business Act européen. Lequel réserverait aux petites entreprises une part d’au moins 30 %, en valeur, des marchés publics passés par l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs. Il prévoirait aussi que les marchés inférieurs au seuil de procédures formalisées pour les fournitures et les services et à 100 000 € H.T. pour les travaux soient réservés aux TPE. « Nous ne pouvons plus nous cacher derrière notre petit doigt, il est temps de faire comme les américains et d’utiliser la commande publique pour soutenir nos entreprises », exhorte Simon Uzenat. Souveraineté quand tu nous tiens.

Renforcer la lutte contre les pratiques anti-concurrentielles

Le rapport formule plusieurs recommandations en ce sens. La première pour sensibiliser les élus locaux sur la possibilité d’associer un représentant de la DGCCRF aux réunions des commissions d’appel d’offres.

La seconde pour supprimer le plafond de 150 000 € applicable aux transactions pouvant être proposées par la DGCCRF aux entreprises coupables d’atteinte à la concurrence.

Enfin, la troisième pour inviter le législateur à examiner l’opportunité de permettre au procureur de la République de diligenter des interceptions téléphoniques dans le cadre d’une enquête sur des pratiques anticoncurrentielles.

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires