Ralentissement durable du bureau neuf, réservations de logements en chute libre, arrêt des transactions entre institutionnels refroidis par le coût bancaire, portefeuille déprécié… Les éléments d’une « crise immobilière » sont réunis, concèdent les participants du Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), organisé à Cannes du 14 au 17 mars. Dans ce marasme, une certitude : l’investisseur n’est pas aussi secoué que le promoteur.
Le logement et la logistique restent attractifs
L’investisseur profite d’une forte demande des locataires dans les catégories suivantes : logement, bureau de centre-ville, hôtellerie de loisirs et logistique. Pour cette classe d’actifs moins plébiscitée qu’en 2021 et 2022, « l’investisseur est certes perdu à cause de la remontée des taux, mais du côté de l’exploitant, c’est encore chaud bouillant », note Jérôme Delaunay, responsable de la gestion des actifs français de Patrizia, investisseur paneuropéen spécialisé dans l’immobilier logistique. Et d’ajouter : « Les loyers continuent d’augmenter car il n’y a pas assez d’offres. Le seul problème, c’est l’inflation qui peut fragiliser le bilan des constructeurs. »
« Le développement de nouveaux entrepôts est freiné notamment par le ZAN, mais la hausse des loyers est garantie avec une rentabilité autour de 4%, contre 3% en 2022 », confirme Fabrice Lombardo, directeur des activités immobilières françaises de Swiss Life Asset Managers, filiale de l’assureur éponyme suisse. « Contracter un emprunt bancaire à un taux de 4,5% pour une rentabilité de 4,5% ? L’investisseur qui n’a pas assez de fonds propres pour acheter ne se lancera pas tout de suite », complète Silvio Estienne, cofondateur du gestionnaire Alpha Logistics Real Estate pour le compte d’investisseurs institutionnels, en majorité étrangers.
Avantage, fonds de pension
Bernard d’Arche, directeur du développement de la société de conseil Longevity Partners, est le plus optimiste : « Nous sommes revenus en France à une normalité des taux, donc pas d’affolement. Surtout qu’il y a toujours du cash ! Il faut juste un peu de patience. Sauf événement majeur, la baisse des prix devrait intervenir d’ici fin 2023, car les vendeurs seront dans l’obligation de céder les actifs. Ensuite, le marché reprendra. »
En attendant la fin du pic inflationniste (d’ici juin selon la Banque de France) qui devrait précéder a minima une stabilisation des taux directeurs, les assureurs français, fonds de pension étrangers et autres investisseurs institutionnels n’ayant pas besoin d’emprunter sont donc les seuls en capacité d’animer le marché des transactions ces prochains mois. A la clé, d’éventuels travaux d’aménagement et/ou d’adaptation selon les besoins des locataires.
« Il y a trop de promoteurs actuellement »
Le promoteur, lui, doit rogner ses marges sur fond, entre autres, de baisses des autorisations et des ventes. « Dans le logement, les trois indicateurs – permis de construire, accès au crédit et confiance des acquéreurs – sont dans le rouge », déplore Thibault Vidal, directeur général de Coverso, la filiale de transformation de bureaux en logements de Bouygues Immobilier, déstabilisé par une vague de désistements des clients particuliers depuis novembre 2022. A l’échelle nationale, le taux de ces renoncements atteint 50%, alerte la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).
En visite au Mipim, Olivier Klein a demandé aux promoteurs de patienter. D’ici fin avril, le ministre du Logement compte présenter, non pas « une mesure phare », mais plusieurs solutions issues du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement. Outre « l’industrialisation du modèle du bail réel solidaire (BRS) », des leviers réglementaires et fiscaux pourront être actionnés, notamment pour faciliter « la surélévation » de logements ou « la transformation de bureaux », illustre Olivier Klein.
« Les avantages fiscaux ont le mérite de favoriser les ventes mais ce n’est qu’un pansement. Dans deux ans, il faudra trouver une nouvelle ristourne. Or, la filière a besoin de se restructurer de l’intérieur. Il y a trop de promoteurs actuellement, faute de barrières de compétences et d’argent », observe Sophie Meynet, directrice générale de l’immobilier résidentiel chez GA Smart Building.
« 2023, année de la reconfiguration du marché résidentiel »
Olivier Klein s’attend à une auto-régulation du marché de la promotion immobilière : « Tout le monde s’est déclaré promoteur quand les taux étaient très bas et qu’il fallait construire. Des entreprises du BTP qui se sont diversifiées d’un seul coup dans la promotion vont peut-être se replier sur leur métier de base. »
Et d’ajouter : « La crise de production aura des effets sur les entreprises du BTP. Or, la volonté du président de la République est d’aller vers le plein-emploi. Et la filière du BTP est très importante. » Mais le « quoi qu’il en coûte » est derrière nous, pour le bien « des finances de notre pays », insiste-t-il. Donc pas question que l’Etat intervienne directement pour voler au secours des promoteurs à la trésorerie fragile, qui pourraient licencier voire mettre la clé sous la porte en 2023 ou 2024.
Une situation anticipée par plusieurs acteurs nationaux rencontrés au Mipim. Pour Sophie Meynet, « 2023 sera l’année de la reconfiguration du marché résidentiel, en particulier dans l’individuel fragilisé par la hausse des coûts travaux ».
« Grande forme financière »
Silvio Estienne, d’Alpha Logistics Real Estate, est moins alarmiste : « Les promoteurs gagnent moins qu’avant, voire pas du tout sur certaines opérations. Mais ils ont profité depuis les années 2000 d’un climat extrêmement favorable : taux bas, prix immobiliers en hausse, marges grandes… Cette longue période prospère leur permet d’être en grande forme financière. »
La crise est donc surmontable : « Les prix baissent donc c’est une forme de crise, mais ce n’est pas la pire, car les bouleversements importants comme la guerre en Ukraine qui s’éternise, la hausse brutale des taux… ne mettent pas à plat les grandes économies mondiales au prix d’un surendettement des Etats », analyse-t-il. En témoigne le taux de chômage français de 7,2%, au plus bas depuis 2008.
Le défi climatique, accentué par la flambée des prix énergétiques qui a nourri l’inflation en 2022, et la taxinomie européenne, conjugués à la remontée des taux, de la zone euro au Royaume-Uni, bousculent aussi nos voisins. « Il y a beaucoup plus de challenges à relever par rapport aux dernières années. Avant (NDLR : à l’époque des taux historiquement bas et de la hausse soutenue des prix immobiliers), c’était trop facile », ironise le Suisse Stefan Mächler, membre du comité de direction de Swiss Life Asset Managers, dont le patrimoine immobilier européen sous gestion s’élève à 90Mds€.
L’immobilier imperméable aux crises bancaires ?
Quid du risque de contagion de la faillite de Silicon Valley Bank (SVB) aux établissements européens ? « Circonscrit » ou « zéro impact », répondent la plupart des professionnels interrogés au Mipim. L’agence de notation américaine Moody’s estime qu’il est « limité ». Et les déboires de Crédit Suisse ? « Nous connaissons ses difficultés depuis plusieurs années, de gouvernance notamment. Les clients cherchent à récupérer leurs capitaux. Cela suscite la nervosité des marchés financiers », relève Silvio Estienne.
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Pas de quoi faire trembler les grands de ce monde. Favorisée par le prix élevé des hydrocarbures, l’Arabie Saoudite s’est payée cette année l’immense emplacement publicitaire au-dessus du tapis rouge du Palais des Festivals. A côté, une énorme affiche en anglais sur l’Egypte, organisatrice de soirées « networking » dans un hôtel de luxe sur la Croisette, alors que le Fonds monétaire international (FMI) réclame une cure d’austérité en raison, notamment, du creusement de la dette publique. Les immenses projets immobiliers du président Abdel Fattah Al-Sissi, comme sa « Sissi city » qui sort du sable en plein désert, ont du plomb dans l’aile...

La Pologne, elle, a vanté sur un bloc publicitaire et un écran géant sa « stabilité » économique. Mais la réalité est tout autre pour le voisin de l’Ukraine. « Entre l’afflux de réfugiés ukrainiens qui fait pression sur la disponibilité locative des logements, proche de 0% dans l’est de la Pologne, et les taux bancaires qui ont grimpé à 9% pour contrer une inflation annuelle de 17%, les investissements, à plus de 80% étrangers, sont au point mort sur toutes les classes d’actifs », témoigne anonymement un investisseur polonais qui travaille pour un fonds paneuropéen. Finalement, la France n’est pas si mal lotie.