Mégabassines et installations agricoles : un décret - très critiqué - pour réduire le contentieux

Après les mesures législatives insérées dans le projet de loi d'orientation agricole et malgré l'avis défavorable du Conseil d'Etat, l’exécutif persiste. Il prévoit, par décret cette fois, un régime dérogatoire – qui s’appliquera au 1er septembre – pour les litiges relatifs aux ouvrages hydrauliques agricoles, aux ICPE en matière d'élevage et aux autorisations environnementales. Le Syndicat de la juridiction administrative déplore l’adoption de ces dispositions qui tendent « à faire de la justice administrative le bouc émissaire de dysfonctionnements qui ne sont pas les siens. »

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retenue d'eau
Un décret réduit le contentieux des projets d'ouvrages hydrauliques agricoles.

Réduire les délais contentieux contre les projets agricoles liés notamment à la gestion de l’eau, le gouvernement l’avait promis en début d’année en réponse à la fronde des agriculteurs. Le projet de loi d’orientation agricole, actuellement en séance à l’Assemblée nationale, envisage plusieurs mesures sur ce point.Un décret du 10 mai 2024, publié le 11 au « Journal officiel » - jour d’une mobilisation contre un projet de construction de deux bassines de retenue d’eau dans le Puy-de-Dôme -, complète les dispositions législatives envisagées.

Cristallisation des moyens

Le texte prévoit, à l’instar des litiges contre les éoliennes terrestres, un mécanisme de cristallisation des moyens devant le juge administratif saisi d’un recours contre les décisions d’autorisation – ou de refus – de projets de prélèvements et de retenues d’eau à finalité agricole (nouvel art. R. 811-1-3 du CJA) et d’installations d’élevage (porcs, volailles, gibiers, pisciculture...) (nouvel art. R. 811-1-4 CJA). Autrement dit, les parties ne pourront plus invoquer de moyens nouveaux passés un délai de deux mois à compter de la communication à ces parties du premier mémoire en défense (art. R. 611-7-2 du CJA).

Notification des recours

Est en outre créé un nouveau chapitre au Code de justice administrative, intitulé « Le contentieux de certaines décisions en matière agricole » (art. R. 77-15-1 et R. 77-15-2). Le décret y prévoit une obligation pour l’auteur d’un recours (administratif ou contentieux) de le notifier à l’auteur de la décision et au porteur de projet. Cette notification, exigée à peine d’irrecevabilité, doit être envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception dans les 15 jours suivant le dépôt du recours (nouvel art. R. 77-15-1 du CJA).

Suppression du double degré de juridiction

Pour réduire les délais contentieux contre ces projets et obtenir une décision définitive plus rapidement, le texte supprime la voie de l’appel. Les litiges liés aux ouvrages hydrauliques agricoles (comme les projets de mégabassines) seront jugés exclusivement par le tribunal administratif (TA) de Paris statuant en premier et dernier ressort (nouvel art. R. 811-1-3 du CJA). Les recours contre les projets d’élevages, seront eux jugés en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs géographiquement compétents (nouvel art. R. 811-1-4 du CJA).

Le décret fixe la liste des décisions concernées – y compris de refus – nécessaires à la réalisation du projet contesté : autorisation environnementale, dérogation espèces protégées, autorisation d'urbanisme, absence d'opposition au titre du régime d'évaluation des incidences Natura 2000, autorisation de défrichement, prescriptions archéologiques…

Le texte instaure aussi un délai contraint : les TA devront statuer en dix mois sur ces recours (art. R. 77-15-2 du CJA).

Délai de recours réduit à deux mois pour tous les projets

Enfin, dernière mesure adoptée en vue de diminuer le nombre de requêtes déposées contre tous les projets, et pas seulement les projets agricoles : la réduction de quatre à deux mois du délai de recours des tiers contre les autorisations environnementales (art. R. 181-50 du Code de l’environnement), les ICPE et les installations, ouvrages, travaux, activités (Iota) au titre de la loi sur l’eau (art. R. 514-3-1 du Code de l’environnement).

Ces nouvelles mesures s’appliqueront aux décisions prises à compter du 1er septembre 2024.

La justice administrative, un « bouc émissaire »

Ces mesures ont suscité la colère des magistrats administratifs qui déplorent que la justice administrative soit « le bouc émissaire de dysfonctionnements qui ne sont pas les siens ». Saisi pour avis en mars 2024 tant sur ce projet de décret que sur le projet de loi agricole, le Syndicat de la juridiction administrative (SJA) estime que ces textes « participent d’un contexte général de défiance vis-à-vis de la justice administrative, qui vise à faire croire que, quand une décision administrative est annulée, c’est le juge qui est le problème, alors qu’il se borne à mettre en lumière une difficulté qu’il ne crée nullement ».

L’organisation dénonce « l’absence de réflexion globale sur la procédure contentieuse, qui conduit à porter atteinte, par petites touches et sans justification démontrée, aux principes généraux du procès administratif ». Elle milite d’ailleurs pour que la justice administrative soit présente et représentée lors des discussions sur les projets de contentieux de l’urbanisme et de l’environnement notamment. Sur la question des délais contraints en particulier, le SJA réclame davantage de moyens plutôt qu’une « multiplication anarchique » des délais « dont l’effet d’éviction sur les autres contentieux est évident et immédiat. »

Décret n° 2024-423 du 10 mai 2024 portant adaptation de la procédure contentieuse relative aux ouvrages hydrauliques agricoles, aux installations classées pour la protection de l'environnement en matière d'élevage et aux autorisations environnementales

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