À défaut de déplacer des montagnes, certains déplacent des villages. Dans l’Atlantique nord, à 20 kilomètres au sud de Terre-Neuve (Canada) et sur la même latitude que Nantes (Loire-Atlantique), un maire, la collectivité ultramarine de Saint-Pierre-et-Miquelon, les services de l’État et la population s’activent pour relocaliser un village d’environ 600 habitants. Plus précisément, il s’agit de la partie habitée de la commune de Miquelon-Langlade, située au nord de l’île de Miquelon. Au cours du mois de janvier, quatorze ménages volontaires doivent déposer auprès de la municipalité une demande de rachat de leur maison au titre du Fonds de prévention des risques naturels majeurs dit « Fonds Barnier » dans le cadre de l’obtention d’une parcelle dans le futur village sur laquelle sera construit leur nouveau foyer.
Plan de prévention des risques littoraux
Une relocalisation motivée par le fait que le village actuel est « très vulnérable aux aléas climatiques », rappelle auprès d’AEF info Franck Detcheverry, le maire (Cap sur l’avenir, proche du Parti Radical et d’Annick Girardin). « Le village est condamné à moyen et long termes », poursuit l’édile, « selon le plan de prévention des risques littoraux [PPRL] en vigueur depuis 2018 ». L’adoption de ce document - premier du genre sur l’archipel, annoncé par François Hollande en 2014 lors d’un déplacement en tant que président de la République - a classé « énormément de zones habitées en rouge à cause d’un aléa fort de submersion marine », souligne-t-il, rappelant que la plupart des constructions existantes tiennent « sur un banc de sable, deux mètres au-dessus du niveau de la mer, qui mesure deux kilomètres de long et 800 mètres de large ».
Inconstructibilité
Ce nouveau document a « contraint l’urbanisme du village », puisque « des endroits sont devenus inconstructibles », tandis que « d’autres sont désormais soumis à des prescriptions très fortes », expose Patricia Bourgeois, directrice des territoires, de l’alimentation et de la mer (DTAM) de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ainsi, le PPRL a « matérialisé » une première « prise de conscience », continue l’ancienne directrice départementale des territoires des Vosges. Mais a aussi « choqué » parmi la population, se remémore Franck Detcheverry. Inquiets, les habitants ont effectivement regretté que l’ « urbanisation contrainte » s’ajoute aux « conditions de vie difficile » causées par la « double insularité » de Miquelon, par rapport à Saint-Pierre – où vit et travaille la majorité de l’archipel, à 1h30 de bateau – et au continent.
Recherche d’alternatives
Face à cette difficulté, la recherche d’alternatives pour poursuivre le développement de la commune a émergé, retrace Patricia Bourgeois. Mais ce n’est qu’après son élection comme maire, en 2020, que Franch Detcheverry a « pris le taureau par les cornes ». Peu de temps après, le ministère de la Transition écologique suggère l’implication de la commune dans le cadre d’un « Atelier des territoires », un dispositif d’ingénierie collective porté par la direction générale du logement, de l’aménagement et de la nature.
Puis, un bureau d’études (« Métamorphoses urbaines ») est sélectionné en 2021, avant le lancement, l’année suivante, d’une concertation via des ateliers participatifs et des réunions publiques. En 2022, l’idée de la relocalisation se fait plus insistante. Et alors que les échanges avec la population battent leur plein, le cyclone Fiona se dirige au mois de septembre droit vers l’archipel, après s’être abattu sur la Guadeloupe. Mais finalement, il évite Saint-Pierre-et-Miquelon, « au dernier moment », précise Patricia Bourgeois. « Habituellement, les tempêtes tropicales perdent largement de leur puissance avant d’arriver sur l’archipel », expose Franck Detcheverry. « Mais cela pourrait changer à cause du changement climatique », alerte l’élu - et donc accroître les risques de submersion marine.
Fonds Barnier
« À la suite de cet événement, le directeur général de la prévention des risques de l’époque nous a conseillé de vraiment réfléchir à la relocalisation du village », se souvient Franck Detcheverry. « Il nous annonce aussi que le Fonds Barnier pourra être mobilisé en raison d’un risque grave et imminent de submersion marine. » Un emplacement surélevé, en dehors des zones à risque, est identifié à quelques kilomètres. Par la suite, en 2023, « le projet prend forme », d’après Franck Detcheverry. Et en novembre, l’Élysée confirme un soutien financier d’1,5 million d’euros à l’opération lors d’une réunion entre des élus de l’archipel – dont le maire de Miquelon-Langlade – et des conseillers d’Emmanuel Macron. À l’époque, la présidence de la République « valide aussi un montant global de 4,5 millions d’euros pour étendre le réseau d’eau, d’électricité et de télécommunications » au site du futur village d’une surface de 140 hectares, complète Franck Detcheverry. D’ailleurs, le foncier, qui appartient à la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, a été cédé pour un euro symbolique à la commune de Miquelon-Langlade.
2024, début de la phase opérationnelle
La phase opérationnelle commence en 2024, avec le dépôt du dossier d’autorisation environnementale. Et le 16 septembre, la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) rend un avis sur la révision du schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme (STAU) de Saint-Pierre Miquelon – qui tient lieu de document d’urbanisme pour les communes de l’archipel – et l’opération de « re-territorialisation » du village de Miquelon. Il reconnaît notamment des mesures « complètes » et « détaillées ».
Fin 2024, les pouvoirs publics parviennent à identifier quatorze « ménages pionniers » sur une « vingtaine » de candidats, explique Patricia Bourgeois. Parmi ces quatorze foyers, neuf sont déjà propriétaires et cinq sont primo-accédants. Après le dépôt de leur dossier en janvier, leur maison sera visitée au cours du mois de février par les services de l’État afin d’être évaluée, complète la haute fonctionnaire. « Même après le rachat de leur maison par le Fonds Barnier, les habitants pourront y rester environ deux ans, le temps que les travaux de leur futur foyer soient terminés », précise Franck Detcheverry. « On décaissera l’argent du fonds au fur et à mesure. »
« Démarche incitative »
Concernant l’ensemble du futur village, « pour l’heure, on reste sur de l’habitat individuel », signale Patricia Bourgeois. « À Miquelon, il existe une tradition très forte d’auto-construction. Mais la question du collectif se posera sûrement un jour », observe-t-elle. À cette heure, le plan guide du futur village n’est pas encore arrêté. La haute fonctionnaire rappelle aussi que les pouvoirs publics s’inscrivent « dans une démarche incitative », et qu’aucune expropriation n’est prévue à ce stade. Les autorités fixent néanmoins un délai prévisionnel : « le temps d’une génération, environ 50 à 75 ans, pour déménager », selon Patricia Bourgeois. Mais elle prévient que les pouvoirs publics ne peuvent pas « garantir les outils de demain, qui dépendront en particulier des futures décisions politiques, par définition inconnues ».
Au demeurant, si Franck Detcheverry est le premier élu local à passer le cap de la relocalisation, ce n’est pas le seul à s’intéresser à ce sujet. « Au congrès de l’Association nationale des élus des littoraux [Anel], en novembre dernier, beaucoup d’élus m’ont dit qu’ils savent qu’il faudrait y arriver, mais que la population ne veut pas en entendre parler. » Mais le financement, la mobilisation des pouvoirs publics et des élus locaux ainsi que l’acceptabilité du projet ne sont pas les seuls facteurs qui facilitent la relocalisation du village de Miquelon. « Il faut aussi un site disponible qui, de surcroît, permet aux gens de ne pas partir trop loin de chez eux et d’étendre les réseaux sans trop de difficultés », concède Franck Detcheverry, reconnaissant « la chance » qu’a sa commune de réunir toutes ces conditions.