Interview

Action gouvernementale : « Il faut imaginer l'inimaginable », Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de l'Energie, du Climat et de la Prévention des risques

Face à la multiplication des crues, la ministre de la Transition écologique plaide pour une coopération renforcée et agile entre préfets et élus locaux.

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« On ne laissera pas les collectivités sans assurances, et on ne se contentera pas du recours à l'auto-assurance, qui n'a pas de sens pour les plus petites d'entre elles. »

Le suivi des crues du Pas-de-Calais a occasionné l'une de vos premières visites de terrain dans vos nouvelles fonctions ministérielles. Qu'y avez-vous observé ?

Je ne pouvais pas prévoir à quel point l'actualité des inondations allait malheureusement s'imposer dans les semaines suivantes ! Mais en tant qu'élue et habitante du Pas-de-Calais, j'ai évidemment toujours suivi de près les solutions proposées à ce territoire et à ses habitants. La méthodologie mise en place au cours des douze derniers mois y a fait ses preuves.

Autour du préfet, la mobilisation des collectivités, des opérateurs et des élus a permis d'identifier près de 800 chantiers et de les mettre en œuvre pour rehausser le niveau de protection des habitants. J'ai pu vérifier que les outils mis en place fonctionnent, que chacun sait ce qu'il doit faire.

Le Pas-de-Calais a connu des niveaux de crue d'une ampleur inédite, parfois équivalents à jusqu'à une fois et demie la crue centennale. Cela illustre bien la nécessité de se préparer à des situations totalement inédites.

Quelles leçons tirez-vous de ce que vous désignez comme un territoire laboratoire ?

D'abord, arrêtons de regarder en arrière ! D'une crise à l'autre, nous observons des référentiels inédits, nous battons record sur record. Pour modéliser les situations à venir, il faut s'extraire des références historiques, et imaginer l'inimaginable.

Ensuite, prenons la mesure de l'impact de l'artificialisation des sols sur le ruissellement, un phénomène très frappant dans ce département de plaine, où l'eau stagne. De ce point de vue, le Pas-de-Calais présente un profil fort différent des territoires soumis aux épisodes cévenols ou méditerranéens, beaucoup plus violents et rapides. Pour prévenir les aléas, il convient aussi de s'interroger sur ce qu'on peut mieux faire. Le dispositif d'alerte de Météo France fonctionne très bien par département.

Le système d'avertissement pluies intenses à l'échelle des communes (Apic) est une référence. Mais face à des phénomènes rapides et brutaux, doit-on mieux micro-localiser les alertes - sur tel quartier, telle rue ? Nous avons l'ambition d'étendre le dispositif Vigicrues à tous les cours d'eau d'ici 2030. Faut-il aller plus vite ? Dans des territoires hyperdenses et artificialisés, une alerte donnée une demi-heure plus tôt peut faire toute la différence.

Si l'artificialisation accentue les dégâts, pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de revoir les modalités du ZAN ?

La transition écologique suit un chemin étroit. D'un côté, elle fixe des objectifs exigeants de renaturation et de réduction de l'artificialisation. De l'autre, elle doit rester au plus près des territoires, pour une mise en œuvre adaptée. Ne confondons pas protection et complexité, standardisation et ambition. Il faut agir avec bon sens, en tenant compte des spécificités de chaque territoire, et sortir des recettes toutes faites !

Le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), présenté fin octobre, reflète-t-il cette approche transversale ?

Son portage par le Premier ministre est essentiel. J'ai souhaité que ce plan soit également présenté à plusieurs voix car tous les membres du gouvernement sont concernés. Il couvre des enjeux très concrets : adapter le bâti, prendre en charge les personnes âgées, organiser les examens en période de canicule, anticiper les nouvelles maladies liées au réchauffement… Ce plan réunit 51 mesures très concrètes. Les risques climatiques, en particulier le risque inondation, y trouvent leur place, tout autant que les sécheresses et les canicules.

Seconde mesure du plan, l'assurabilité des territoires les plus exposés vise-t-elle aussi la couverture des collectivités locales ?

On ne laissera pas les collectivités sans assurances, et on ne se contentera pas du recours à l'auto-assurance, qui n'a pas de sens pour les plus petites d'entre elles. Avec le ministre de l'Economie, nous devons travailler sur la façon dont le métier d'assureur se transforme face à un niveau de risques qui explose. La place de la prévention notamment est à discuter.

Un euro investi dans la prévention évite aujourd'hui 8 euros d'indemnisation.

Demain, ce sera davantage ! C'est tout le modèle assurantiel qu'il faut refonder.

Alors que les assureurs gardent le réflexe de la reconstruction à l'identique, l'Etat a initié en 2021 l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation ». Seriez-vous encline à la généraliser ?

J'en tire un bilan très positif. Mais avant de me prononcer sur sa pérennité et sa généralisation, je souhaite m'enquérir des pratiques qui existent à l'étranger.

Concernant l'assurabilité et la reconstruction en lien avec les catastrophes naturelles, la proposition de loi portée par la sénatrice Christine Lavarde pour garantir l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles présente des pistes fort intéressantes. Poursuivre le travail à l'Assemblée nationale aurait tout son sens.

Comment votre ambition écologique s'articule-t-elle avec la réduction drastique du soutien de l'Etat au Cerema, porteur de l'ingénierie publique de l'adaptation au changement climatique ?

Je ne peux m'abstraire de la réalité des finances publiques. Les budgets doivent se concentrer sur les projets les plus impactants. Il faut aussi privilégier les initiatives qui ont fait leurs preuves sur le terrain - c'est le cas du fonds chaleur. Je me réjouis aussi que le Premier ministre ait augmenté le fonds Barnier, lequel atteindra 300 M€ en 2025 au lieu des 225 M€ prévus. Une autre partie de la réponse consiste à aller chercher l'argent là où il se trouve : par exemple, les certificats d'économie d'énergie, le tiers-financement, les crédits biodiversité, le label bas carbone, ou les programmes européens, comme Life ou Horizon… Nous devons faire feu de tout bois.

Dans son rapport du 25 septembre sur « le défi de l'adaptation des territoires face aux inondations », le Sénat invite à un effort de solidarité de l'aval des bassins versants vers l'amont. Partagez-vous ce point de vue ?

De toute évidence, il faut penser notre réponse aux inondations et notre stratégie d'adaptation à l'échelle des bassins. Le principe de solidarité doit aussi prendre en compte les services rendus par les zones d'expansion des crues et les investissements dans les freins aux ruissellements comme les haies. La mise à plat de ces sujets doit aboutir à des partenariats gagnant-gagnant avec les agriculteurs, plutôt que d'appliquer des normes nationales mal adaptées à la réalité du terrain. Je suis persuadée que la dépénalisation de l'arrachage des haies favoriserait leur replantation. Il nous faut passer des interdictions sans discernement à la contractualisation assortie de résultats.

La planification de l'eau semble évoluer dans un monde parallèle à l'urbanisme réglementaire. Ne faudrait-il pas organiser leur convergence ?

C'est une excellente idée sur le plan intellectuel, mais vouloir faire des jardins à la française n'est pas si simple face à la réalité complexe de la planification territoriale. Souvent, une bonne concertation informelle vaut mieux qu'un nouveau document d'urbanisme qui prend des années.

La notion de prévention des risques apparaît pour la première fois dans l'intitulé de votre portefeuille ministériel. Etes-vous à l'origine de cette évolution ?

Le Premier ministre est très attaché à cette notion de prévention des risques.

On peut y voir, il me semble, une conviction de longue date, comme en attestent la publication de son « Atlas des risques majeurs » dès 1992 et la création du fonds Barnier trois ans après. Cet état d'esprit se reflète aussi dans l'expression qu'il affectionne : le « ménagement du territoire ». J'y vois un encouragement à promouvoir les solutions fondées sur la nature. L'humanité est en train de réaliser qu'on ne maîtrise pas la nature, mais qu'on doit agir à ses côtés pour préserver notre propre espèce. C'est ma mission.

La notion de « risques » est aussi de plus en plus présente dans les intitulés de mes collègues ministres à l'international. C'est le signe d'un monde qui change.

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