La décision rendue par le Conseil d’Etat le 19 juillet 2023 (CE, 7ème - 2ème chambres réunies, 19 juillet 2023, n°465308, mentionné aux Tables) était attendue. Nombreux étaient les praticiens à se demander quand et si les juges du Palais-Royal allaient étendre leur désormais célèbre jurisprudence « Czabaj » (CE, Ass., 13 juillet 2016, n°387763, publié au Recueil) aux recours en contestation de validité d’un contrat administratif.
Restriction progressive des délais de recours
Pour mémoire, la juridiction administrative avait, au nom du principe de sécurité juridique, considéré, que malgré l’absence d’information à l'intéressé sur les voies et les délais de recours, un recours contre une décision administrative individuelle ne peut s’exercer que dans un délai raisonnable (et non de manière illimitée dans le temps).
Le champ de cette nouvelle règle jurisprudentielle s’est étendu progressivement : notamment aux recours indemnitaires préalables obligatoires (CE, section, 31 mars 2017, n° 389842, publié), aux recours contre des décisions ayant un objet purement pécuniaire (CE, 3e et 8e chambres réunies, 9 mars 2018, n° 01386, mentionné), aux recours contre des autorisations d’urbanisme (CE, 5e et 6e chambres réunies, 9 novembre 2018, n° 409872, mentionné) ou encore aux recours contre des décisions implicites de rejet (CE, 5e et 6e chambres réunies, 18 mars 2018, n° 417270, publié).
Pas de "Czabaj" pour les recours indemnitaires
Cette décision étant motivée par un impératif de sécurité juridique, la jurisprudence ne l'applique pas aux recours pour lesquelles des règles de prescription existent. C'est notamment le cas des recours indemnitaires, prescrits à l'issue d'un délai de quatre ans (CE, 5ème et 6ème chambres réunies, 17 juin 2019, n°413097, publié).
Recours «Tarn-et-Garonne »
Dans l’affaire jugée le 19 juillet, les faits remontent à 2010 lorsque le ministère de la Défense lance une procédure de passation d’un marché public à bons de commande. Le marché est attribué en août 2010 et l’avis d’attribution est publié le 9 octobre 2010 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP). Un candidat évincé conteste la validité de ce marché devant le tribunal administratif en juin 2012. Elle exercera par la suite un second recours, rejeté en 2019 par le tribunal administratif puis en 2022 par la cour administratif d’appel (CAA).
Le Conseil d’Etat débute en rappelant que le dernier recours exercé par la société est un recours « Tarn-et-Garonne ». Il s’agit du recours, issu de la jurisprudence de la Haute juridiction administrative, par lequel « tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires » (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié).
Ce recours s’exerce, « y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées ». Il est précisé, comme déjà jugé en 2020 (CE, 7e et 2e chambres réunies, 3 juin 2020, n°428845) que constituent de telles mesures celles qui « indiquent au moins l'objet du contrat et l'identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté ». A défaut, avant la décision du 19 juillet, le recours pouvait être exercé indéfiniment.
Le délai de recours doit être raisonnable ...
Le Conseil d’Etat remet en cause cette possibilité. Reprenant le considérant de principe de la décision « Czabaj », il indique que « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que la validité d'un contrat administratif puisse être contestée indéfiniment par les tiers au contrat. »
Il est ajouté que faute de mesure appropriée faisant courir le délai de recours de deux mois mentionnés précédemment, un recours « Tarn-et-Garonne » ne « peut être présenté au-delà d'un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c'est-à-dire de son objet et des parties contractantes. »
... et ne peut excéder en principe un an
En l'espèce, les juges relèvent que le candidat est réputé avoir pris connaissance de la conclusion du contrat à compter de la publication de l’avis d’attribution du marché au BOAMP « qui indiquait sa conclusion, c’est-à-dire son objet et l’identité des parties contractantes ».
Enfin, comme dans les autres applications de la solution dégagée dans la décision « Czabaj », « un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable » sauf « circonstance particulière ».
CE, 7e - 2e chambres réunies, 19 juillet 2023, n° 465308, mentionné aux Tables