Reconstruire après les émeutes : un premier bilan des dérogations

La réactivité et la clarté des mesures dérogatoires prises face à l’urgence de reconstruire les bâtiments publics après les émeutes de l’été dernier n’ont pas suffi à convaincre les collectivités de s’en emparer. Pour autant, dans un rapport d’information déposé le 3 avril, les députés souhaitent pérenniser ce cadre d'exception en matière de commande publique, d'urbanisme et de financement. 

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Plus de 750 bâtiments publics ont été endommagés ou détruits lors des émeutes survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.

Un satisfecit pour un coup d’épée dans l’eau. C’est le sentiment qui se dégage à la lecture du rapport d’information relatif à l’application de la loi du 25 juillet 2023 portant sur l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, déposé mercredi 3 avril 2024 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Les rapporteurs, Jean-Paul Mattei (Pyrénées-Atlantique – Démocrate) et Jean-Pierre Vigier (Haute-Loire – Les Républicains), se félicitent d’abord de la réactivité dont a fait preuve le Parlement pour adopter ce texte autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de prendre des mesures pour faciliter la reconstruction des plus de 750 bâtiments publics touchés par les émeutes.

Des mesures claires

Ils saluent également la rapidité à laquelle les trois ordonnances ont été publiées, dans des délais qui ont à chaque fois anticipé l’échéance fixée par la loi. La première (ordonnance du 26 juillet 2023), intervenue dès le lendemain de la promulgation de la loi, simplifie les procédures de la commande publique en dispensant de publicité les marchés de travaux en-dessous d’1,5 million d’euros, en facilitant le recours au marché de conception-réalisation et en créant une nouvelle dérogation à l’allotissement. Les deux autres textes ont davantage tardé, avec une publication au "Journal officiel" du 14 septembre 2023. L’ordonnance sur l’urbanisme prévoit la possibilité sous conditions de reconstruire différemment et de débuter les travaux sans attendre l’autorisation, une réduction des délais d’instruction et une dispense d’enquête publique. Celle sur le financement permet le versement anticipé du fonds de compensation de la TVA, un subventionnement pouvant aller jusqu’à 100 % et le déplafonnement des fonds de concours.

Le rapport souligne la lisibilité de ces différents textes, qui ne semblent pas poser de difficultés d’interprétation ou de compréhension. Leur champ d’application est clairement délimité, circonscrit aux seuls travaux nécessaires aux réparations des bâtiments publics détruits ou endommagés pendant les émeutes du 27 juin au 5 juillet 2023. L'ordonnance "commande publique" était même accompagnée d'une fiche technique de la Direction des affaires juridique de Bercy, quand celle sur l'urbanisme a fait l’objet d’une note et d’un guide pratique de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, adressés aux services instructeurs le 16 octobre 2023.

Une utilisation limitée

Les auteurs observent toutefois qu’il "existe une relative incertitude quant à la propension des collectivités territoriales à invoquer les dérogations que les textes formalisent". Pourtant ces mesures leur sont avant tout destinées, la plupart des dégâts ayant touché les communes ou les EPCI. Quant à l’Etat, "les travaux de la mission portent à conclure qu’en général, les services déconcentrés et les établissements publics s’appuient assez peu sur les dispositions issues de la loi".

Deux explications à ce manque d’engouement sont avancées. D’abord, tous les projets de réparation ou de reconstruction n’ont pas encore pu être lancés, faute de visibilité sur leur prise en charge financière. Certains dossiers d’assurance ne sont pas clôturés, en particulier ceux qui concernent les dégradations les plus importantes. Deuxième piste : des arbitrages majoritairement en faveur d’un recours aux procédures de droit commun plutôt qu’aux dispositifs exceptionnels des ordonnances. "Le bilan des opérations […] réalisées pour les services de l’Etat met ainsi en lumière un recours privilégié aux marchés de travaux et aux marchés d’entretien passés sur le fondement des dispositions ordinaires du Code de la commande publique", note le rapport, exemples à l’appui. La police nationale s’est ainsi majoritairement appuyée sur des accords-cadres pour les travaux de faible envergure, voire sur des prestations sur devis en dessous de 100 000 euros, comme le permet le décret du 28 décembre 2022.

La police nationale a su tirer parti des ordonnances 

Les rapporteurs n’ont pas pu collecter beaucoup d’exemples d’utilisation des ordonnances. La plupart proviennent des services de police, particulièrement touchés par les émeutes avec 273 bâtiments dégradés ou détruits. Pour les réparations, la Direction générale de la police nationale (DGPN) a notamment fait usage des dispositions permettant de recourir au marché de conception-réalisation sans remplir les conditions normalement exigées. Un quart des opérations (soit cinq marchés) de reconstruction les plus importantes ont été menées via de tels marchés, qui "permettraient une réduction de l’ordre de 6 à 8 mois [pour la] rénovation complète d’un commissariat".
A noter que la mesure de l’ordonnance "urbanisme" du 13 septembre dérogeant à la règle de la reconstruction à l’identique a également été plébiscitée par la police nationale, leur procurant "une certaine souplesse et une capacité d’adaptation dans la réhabilitation des locaux détruits ou endommagés". S’appuyant sur une interprétation large, la DGPN a utilisé cette ordonnance "urbanisme" y compris "pour des opérations de construction ou de restructuration lourde ayant donné lieu à la passation de marchés avant la survenue des émeutes".

Pérennisation 

Malgré le peu de retours d’expérience, les rapporteurs plaident pour une pérennisation de ces mécanismes d’exception. Ils estiment "qu’il conviendrait de formaliser, pour des bâtiments détruits ou endommagés à raison de troubles publics d’une particulière intensité, un cadre de droit commun autorisant le recours à des règles et procédures dérogatoires de nature à en faciliter la reconstruction". Ils invitent le législateur à s’inspirer du régime "catastrophe naturelle", notamment quant à son activation. Il s’agit, dans une logique de simplification, de s’assurer qu’en cas d’événements exceptionnels une réponse juridique puisse être apportée "indépendamment des aléas qui peuvent entourer le fonctionnement des pouvoirs publics et le vote par le Parlement de mesures exorbitantes du droit commun dans des délais utiles". A signaler qu’un tel dispositif existe déjà dans le Code de la commande publique (Livre VII : dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles). Créé après la crise sanitaire, il est activable par décret.

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