Reconstruire après les émeutes : un cadre dérogatoire peu utilisé, confirme le Sénat

La commission des lois du Sénat se montre plus sévère que l’Assemblée nationale sur la réponse apportée par le gouvernement pour faciliter la reconstruction des bâtiments publics dégradés ou détruits lors des émeutes de l’été dernier. La totalité du cadre dérogatoire aurait trop tardé à se formaliser, expliquant sa faible utilisation par les collectivités. Les deux chambres se retrouvent toutefois sur la nécessité de rapprocher le régime des émeutes de celui des catastrophes naturelles.

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Les émeutes ont causé la dégradation ou la destruction de plus de 700 bâtiments publics.

Quelques jours après l’Assemblée nationale, c’est au tour du Sénat de dresser le bilan de la loi du 25 juillet 2023 portant sur l’accélération de la reconstruction et de la réfaction des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, dans un rapport déposé mardi 9 avril 2024. Comme les députés, les sénateurs saluent la mobilisation dont a fait preuve le Parlement pour adopter ce texte dans « des délais particulièrement restreints ». Il a en effet été promulgué vingt jours après la fin des émeutes et douze jours suivant son dépôt par le gouvernement.

Légiférer par ordonnance : un choix discutable

Pour mémoire, cette loi habilitait le gouvernement à prendre des ordonnances en matière de commande publique, d’urbanisme et de financement des investissements par les collectivités territoriales pour déroger au droit commun en vue d’accélérer la reconstruction des bâtiments publics touchés pendant les émeutes. Un dispositif de législation déléguée qui interroge la commission des lois du Sénat. Elle note que « la publication, dès le lendemain de la promulgation de la loi, de l’ordonnance relative aux dérogations au Code de la commande publique démontre que le recours à une ordonnance, et donc le dessaisissement du Parlement, n’était pas nécessaire ». Selon les sénateurs, cette ordonnance ne « comportait pas de difficulté technique particulière et a pu être rédigée rapidement ». Ils rappellent d’ailleurs que la Direction des affaires juridiques de Bercy avait indiqué que le texte était prêt avant même le dépôt du projet de loi.

S’agissant des deux autres ordonnances, c’est la tardiveté de leur publication qui pose question. Le rapporteur François-Noël Buffet (Rhône – Les Républicains) regrette qu’elles soient intervenues mi-septembre, après la rentrée scolaire, « alors même que l’un des objectifs principaux du texte d’urgence était de permettre l’initiation rapide des travaux de reconstruction, en particulier de ceux des 168 écoles endommagées ». Ce délai de publication « que la mission d’information peine à comprendre » expliquerait partiellement « le faible usage qui a été fait des dérogations permises par la loi ».

Trois ordonnances pour trois séries de dérogations

L’ordonnance du 26 juillet 2023 simplifie les procédures de la commande publique en dispensant de publication les marchés de travaux d’un montant inférieur à 1,5 million d’euros, en créant une nouvelle dérogation au principe de l’allotissement, et en facilitant le recours aux marchés de conception-réalisation.

L’ordonnance du 14 septembre 2023 relative à l’urbanisme prévoit la possibilité sous conditions de déroger à la règle de la reconstruction à l’identique, de débuter les travaux sans attendre l’autorisation, une réduction des délais d’instruction et une dispense d’enquête publique.

L’ordonnance du 14 septembre 2023 relative au financement permet le versement du fonds de compensation de la TVA dès l’année de réalisation de la dépense, de subventionner en totalité les travaux de reconstruction et prévoit le déplafonnement des fonds de concours.

Toutes ces mesures ne sont applicables qu’aux travaux spécifiquement liés à la reconstruction des bâtiments publics détruits ou dégradés pendant les émeutes de l’été 2023, et leur durée est limitée dans le temps : les dérogations « commande publique » ne sont applicables que jusqu'au 28 avril 2024, celles en matière d'urbanisme jusqu'au 14 mars 2025.

Des mesures peu utilisées

Car le Sénat fait le même constat que l’Assemblée nationale : les mesures dérogatoires n’ont pas suscité l’engouement des collectivités territoriales. Seul un cinquième des communes interrogées (une cinquantaine au total) par la mission d’information en aurait fait usage. Plusieurs maires ont préféré ne pas attendre la publication de la loi et des ordonnances pour débuter les travaux. D’autres ont indiqué ne pas avoir eu besoin de recourir à des mesures dérogatoires pour reconstruire rapidement.

Le rapport cite l’exemple de la Ville de Strasbourg pour laquelle les dérogations « ne sont pas apparues utiles, notamment au regard du gain de temps somme toute limité qu’elles permettaient, en comparaison de la mise en place de procédures nouvelles et temporaires, notamment en matière de commande publique, qu’elles nécessitaient ». Interrogé par Le Moniteur en août 2023, Bruno Koebel, directeur général des services à la Ville et à la métropole de Strasbourg, expliquait que plusieurs travaux de réparation avaient pu être lancés sur le fondement d’un accord-cadre conclu avant les émeutes.

S’inspirer du régime « Cat/nat »

Dans la lignée de la mission d’information sénatoriale consacrée aux problèmes assurantiels des collectivités territoriales, le rapport note que les émeutes ont joué le rôle de révélateur d’une situation déjà tendue. De nombreuses communes ont subi des modifications substantielles de leurs contrats d’assurance, comme la Ville d’Arcueil (Val-de-Marne) qui a reçu un avenant faisant passer la franchise en cas d’émeutes de 1500 euros à 2 millions d’euros, quand d’autres ont vu leur contrat résilié à l’initiative de leur assureur. Les violences urbaines ont ainsi accéléré le phénomène de désengagement des assureurs sur le marché des collectivités territoriales.

Le régime d’indemnisation en cas d’émeutes ne serait pas adapté, estime les sénateurs. La SMACL, principal assureur des collectivités, a dû prendre en charge environ 65 millions d’euros de dégâts, beaucoup plus qu’après les violences urbaines de 2005 (22 millions d’euros). Les parlementaires proposent dès lors de « renforcer la couverture assurantielle des dommages résultant d’émeutes d’ampleur nationale, notamment en s’inspirant du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ». Une proposition qui fait écho à celle formulée par les députés. Ces derniers préconisent de formaliser un cadre juridique adapté aux troubles publics d’une particulière intensité pour faciliter la reconstruction des bâtiments qui serait activable comme le régime « Cat/nat ».

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