« La transition énergétique ne peut réussir sans assurer intégralement le maintien des éléments fondamentaux qui ont construit pendant quarante ans, le droit de l’environnement ». C’est en ces termes que de grandes figures de cette matière juridique mettent en garde l’ensemble des parlementaires des risques encourus, s’ils approuvent, en l’état, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, plus communément appelé « Asap ». Une tribune, à l’initiative de Christian Huglo, avocat et docteur en droit de l’environnement, leur a été envoyée en ce sens il y a quelques jours.
A l’origine de ce cri d’alarme, les articles 21 à 28 du projet de loi. Sous couvert de simplification et d’accélération des procédures environnementales - l’objectif étant de faciliter les implantations industrielles - ces dispositions « affaiblissent si ce n’est détruisent dans sa lettre comme dans son esprit le droit de l’environnement », alertent les experts (voir ci-dessous la liste des signataires).
Droit acquis pour les projets en cours d’instruction
L’article 21, tout d’abord, qui permettrait de considérer les projets d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en cours d’instruction comme des installations existantes (donc déjà autorisées). Pour les juristes, « le but de cette disposition est que les nouvelles normes susceptibles d’être édictées au moment de la délivrance de l’autorisation ne devraient pas s’appliquer, ce qui est contraire au principe fondamental de légalité ». Lequel impose que la légalité d’une décision soit appréciée à la date de signature de la décision d’autorisation. « Grâce à ce subterfuge, [ces installations] pourraient alors bénéficier d’une sorte de droit acquis », ce qui d’évidence ne peut être le cas au moment du dépôt du dossier.
Dans le même esprit, l’article 26 offre la possibilité au préfet d’autoriser la réalisation de travaux par anticipation à la délivrance de l’autorisation environnementale, à la double condition toutefois que le permis de construire soit octroyé et que l’enquête publique ait été réalisée. Ici encore, pour les juristes, c’est « la consécration du fait accompli, et de plus la consécration de l’inefficience du recours au juge ».
Pas d'avis de l’Autorité environnementale en cas d'actualisation de l'étude d'impact
Dans le viseur des experts également, l’article 23 concernant l’actualisation des études d’impact. Cette disposition prévoit que « l’avis donné par l’Autorité environnementale ne pourra être donné qu’une seule fois et ne saurait donc être réactualisé suivant l’évolution du dossier ». Pour Christian Huglo, interrogé par "Le Moniteur", cette disposition est « une bêtise absolue » car le projet pourrait être significativement modifié après le premier avis de l’Autorité environnementale ou si de nouvelles études mettent en évidence des impacts mal appréhendés initialement.
La participation du public laissée au bon vouloir du préfet
Autre mesure qui inquiète : l’article 25 qui permet au préfet d’adapter la procédure de participation du public pour les projets non soumis à évaluation environnementale et d’opter pour une enquête publique réduite à 15 jours ou une consultation par voie électronique, en lieu et place de la participation du public réalisée sous le contrôle des commissaires-enquêteurs. Sur ce point, Christian Huglo considère que si cette disposition est adoptée, le législateur « se tire une balle dans le pied » puisque les contentieux vont inévitablement augmenter.
Simplification réduite à néant
Même risque de développement des recours concernant les projets de carrières et les parcs éoliens (article 24). La Commission départementale de la nature des paysages et sites (CDNPS) ne serait plus consultée qu’en fonction des enjeux et de la sensibilité du milieu, une telle opportunité étant ici encore laissée à la seule appréciation du préfet. Les contentieux qui ne manqueront pas de fleurir réduiront à néant la « simplification » voulue par le gouvernement, mettent en garde les juristes.
Les députés, auxquels le projet de loi a été transmis le 6 mars, entendront-ils la sonnette d’alarme des experts ? L’on ne saurait le prédire. Mais en tout état de cause, si ce texte est adopté en l’état, il ira « à l’encontre des orientations prises par nos juridictions suprêmes [cf. décision QPC du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020 reconnaissant que la protection de l’environnement constitue un objectif de valeur constitutionnelle, NDLR] et également à l’encontre de la jurisprudence tant de la Cour de justice de l’Union européenne que de celle de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne les principes de prévention et de participation », prévient encore Christian Huglo.