Pour relancer l'attractivité et la compétitivité économique de la France il faut, selon Matignon, simplifier et accélérer les procédures administratives préalables à une implantation industrielle. Une mission a donc été confiée en ce sens par Edouard Philippe le 3 juin 2019 au député d'Eure-et-Loir, Guillaume Kasbarian (LREM). Ce dernier a remis son rapport au Premier ministre le 23 septembre 2019 (1). Parmi les mesures envisagées : mettre à disposition des entreprises des « sites industriels clés en main ».
Il s'agit de terrains dont le foncier est d'ores et déjà maîtrisé par une collectivité ou un aménageur, viabilisé (gaz, électricité, assainissement, numérique, etc. ) et disposant d'infrastructures. Mais il s'agit surtout de sites pour lesquels certaines procédures ont été anticipées. L'objectif est d'offrir aux investisseurs une disponibilité, sinon immédiate, du moins à très court terme. Le facteur temps étant de plus en plus prégnant dans les attentes des entrepreneurs, être en mesure de proposer de telles solutions clés en main « constituera un vrai atout pour accueillir dans des délais rapides et maîtrisés de nouvelles implantations industrielles », indique Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances.
A cet effet, un appel à candidatures a été lancé par l'Etat en novembre dernier. Parmi les quelque 300 propositions remontées, 12 sites, d'une superficie minimum de 50 ha (lire encadré ci-contre) ont d'ores et déjà été sélectionnés et ont été présentés aux dirigeants de grands groupes internationaux le 20 janvier lors du troisième sommet « Choose France ». Plusieurs dizaines d'autres, de tailles variables, devraient être annoncées courant 2020.
Raccourcissement des délais. Qu'il s'agisse d'anciennes terres agricoles, d'espaces naturels ou encore de friches industrielles, ces sites, outre leur viabilisation et leur accessibilité, ont donc un point commun : les procédures d'urbanisme, d'archéologie préventive et d'environnement, qui entraînent des délais conséquents pour un porteur de projet, y ont été purgées. Ainsi, concernant l'urbanisme, pas question de retenir des terrains pour lesquels les documents ne permettraient pas d'accueillir des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) par exemple. Même chose pour l'archéologie préventive, ont été sélectionnés les sites pour lesquels le diagnostic préventif et le cas échéant les fouilles, ont déjà été réalisés.
L'objectif est d'offrir aux investisseurs une disponibilité, sinon immédiate, du moins à très court terme
Quant aux procédures environnementales, la Direction générale des entreprises (DGE) de Bercy explique que si, par essence, l'impact environnemental du projet industriel lui-même (prélèvements, rejets, nuisances, etc. ) ne peut pas s'anticiper, en revanche les études relatives à la connaissance de l'environnement du site, comme les études faune/flore, dites « 4 saisons », celles liées aux espèces protégées ou encore les mesures compensatoires à mettre en œuvre peuvent être faites en amont du dépôt des dossiers. Ce sont donc ces études-là que le propriétaire du site est encouragé à mener. A charge ensuite pour l'industriel de réaliser l'étude d'impact de son projet.
Pour Louis-Narito Harada, avocat spécialiste en droit de l'environnement, associé du cabinet Eversheds Sutherland, cette dichotomie entre l'étude de l'état initial du site et celle de l'impact du projet peut poser, en pratique, un souci de cohérence : « En général, un seul et même bureau d'études est mandaté pour mener les deux. Il y a peu de chances pour que ce soit le cas ici. Il faudra donc que les ingénieurs qui réalisent l'étude d'impact s'approprient complètement l'étude de l'état initial pour pouvoir apprécier les impacts prévisibles du projet, ce qui ne paraît pas évident. Et si l'autorisation environnementale délivrée in fine tombe à cause d'une insuffisance de l'étude anticipée, qui sera responsable ? » Se pose aussi la question de la durée de validité de ces études. Rien n'est prévu aujourd'hui, mais les praticiens considèrent qu'un diagnostic environnemental est valable trois ans. Pour Yvon Martinet, avocat associé en droit de l'environnement au sein du cabinet DS Avocats, « au-delà de ces trois années, il ne sera pas exigé de refaire l'intégralité d'une étude. Le passage d'un écologue sur le site pourra suffire ». Mais la pratique étant différente d'une région à l'autre, le ministère souhaite clarifier ce point et sécuriser la démarche. Des instructions devraient donc être adressées en cours d'année aux services concernés.
Répercussion du coût des études. Quant au financement, ces études sont logiquement supportées par le propriétaire du site qui les réalise. Mais rien ne lui interdit d'en répercuter le coût sur la location ou la vente du terrain, comme l'ont fait le Grand port maritime de Marseille (GPMM) et l'entreprise de dépollution Valgo pour le pôle d'innovation des Couronnes (Normandie), un site qui abritait une raffinerie et a vocation à accueillir, entre autres, de la logistique industrielle. Sans réellement l'imposer, la DGE encourage cette démarche : « L'idée est de pouvoir commercialiser le terrain et d'y apporter de l'activité économique. Le fait d'avoir pris en charge une partie de ces études doit aussi se refléter dans le prix de vente ou de location des terrains. Les porteurs de projet doivent en assumer indirectement le coût. Cela ne doit pas être une surcharge de service public. »
Répercussion du prix ou pas, une chose est sûre : ces sites sont appréciés de leurs propriétaires. Jean-François Royer, directeur général de l'agence de développement économique régionale RisingSud, qui a accompagné le GPMM, voit dans le dispositif un « atout différenciant permettant de décrocher des projets industriels ». Même enthousiasme pour Driss Azouguach, directeur du service économique de la communauté de communes Val d'Amboise pour le parc d'activités de La Boitardière : « Ces procédures permettent de lever les blocages administratifs et peuvent faire facilement gagner entre douze et dix-huit mois à un industriel. » Autre atout : l'acceptabilité sociale. Pour François Bouché, président de Valgo, « lorsque l'on propose de valoriser un ancien site pollué, le projet est mieux accepté et le risque de contentieux est moins élevé ».
Outre la mise à disposition de ces sites industriels clés en main, l'Etat compte aller plus loin encore pour attirer davantage les investisseurs : le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), déposé au Sénat le 5 février, devrait en effet simplifier l'implantation de projets industriels.