Production, réhabilitation : les bailleurs sociaux au pied du mur

Fragilisés par la remontée du taux du Livret A, une des mesures anti-inflation du gouvernement à destination des particuliers, les 581 organismes HLM réunis au sein de l’Union sociale pour l’habitat (USH) ne pourront pas tenir les objectifs de production neuve et de décarbonation, alerte sa présidente Emmanuelle Cosse.

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Immobilière 3F, filiale d’Action Logement, a achevé en janvier 2022 les travaux de réhabilitation de 129 logements et de restructuration de 17 habitations de la résidence du Square Louis Pergaud à Trappes (Yvelines), datant des années 70.
Le financement de la réhabilitation du parc existant, comme ici à Trappes (Yvelines) par Immobilière 3F, filiale d’Action Logement, est menacé, alerte l’USH.

« Les indicateurs sont très mal orientés et nous ne voyons pas de décisions venir », introduit Emmanuelle Cosse le 18 avril, en conférence de presse de l’Union sociale pour l’habitat (USH).

Alors que l’inflation annuelle de près de 6% ne recule toujours pas, « l’absence de logements abordables est un frein au plein emploi », alerte la présidente de l’USH. Or, il s’agit d’un objectif du gouvernement, qu’elle invite à « agir ». Maintenant. Pas dans 100 jours, période jugée nécessaire par Emmanuel Macron pour relancer son deuxième quinquennat miné par l’impopulaire réforme des retraites et peaufiner les contours de la planification écologique, comme précisé la veille lors de son allocution, « sans faire mention de la priorité des Français : le logement », regrette Emmanuelle Cosse.

Le coût de la remontée du taux du Livret A

Car sur le terrain, l’inquiétude grandit. Les bailleurs sociaux font face depuis février 2022 à « plus de dépenses sur le remboursement des emprunts en raison de la remontée du taux du Livret A » dont les fonds financent le logement social. Emmanuelle Cosse estime ce coût à « 6 Mds€ qu’on ne met pas dans des opérations nouvelles et de réhabilitation ». D’où cette demande : « a minima » une stabilisation du taux du Livret A, voire une baisse si l’inflation recule enfin.

Autre problème : l’augmentation des loyers dans le parc social ne permet pas d’encaisser le choc inflationniste. « Nous avons "capé" cette hausse à 3,5% en 2023 et 2024, rappelle-t-elle. C’est plus bas que l’inflation, alors que nos locataires sont impactés sur l’ensemble de leurs charges : alimentation, transports… » Avec ce "cap", la trésorerie des bailleurs est pénalisée. Leurs fonds propres aussi.

Production, réhabilitation : le compte n’y est pas

Que dire de la production ? En 2022, près de 95 000 agréments HLM ont été obtenus en métropole, alors que l’idéal « théorique » serait de 150 000 par an, selon Emmanuelle Cosse, et de 120 000 selon le gouvernement. En cause, toujours : le manque de « soutien des élus locaux et l’Etat », pointe l’ex-ministre écologiste du Logement.

Concernant la réhabilitation du parc HLM, les bailleurs sociaux doivent rénover plus de 150 00 unités par an, contre 93 000 en moyenne ces quatre dernières années. Ces derniers dépensent autour de 4 Mds€ par an alors que le besoin annuel, pour faire passer en priorité les logements étiquetés G, F ou E menacés par une interdiction de mise en location en D, C, B voire A, est estimé à 8,6Mds€ par l’USH.

L’objectif est double : respecter la loi Climat et résilience française, qui instaure une chasse aux passoires thermiques, et s’aligner avec la feuille de route européenne « Fit for 55 », qui vise une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 61% d’ici 2030 par rapport à 2019.

L’autofinancement va continuer de fondre

La solution ? Augmenter les subventions car les fonds propres des bailleurs sociaux ne cessent de baisser, selon l’USH. En cause : les effets de la réduction du loyer de solidarité (RLS) entrée en vigueur en 2018 ou encore de la remontée des taux depuis plus d’un an. Prenons un exemple : chez Antin Résidences, filiale francilienne d’Arcade-Vyv, l’autofinancement pesait plus de 9% de son budget annuel en 2021. Aujourd’hui, celui-ci représente moins de 5%.

Selon les prévisions de l’USH, les capacités d’autofinancement des 581 organismes HLM qu’elle représente pourraient chuter cette année de 50% par rapport à 2022

Conséquence : les bailleurs sociaux se reportent sur la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) HLM, sauf que les promoteurs sollicités, comme Kaufman & Broad, lèvent le pied sur les mises en chantier afin de protéger leur marge… « Ce n’est pas aux bailleurs sociaux et aux locataires de sauver la marge des promoteurs », insiste Marianne Louis, la directrice générale de l’USH.

Endettement historique, manque de visibilité

Même un petit effort ? Impossible : la dette globale des bailleurs sociaux n’a jamais été aussi élevée, à près de 170Mds€ à fin 2021, en raison notamment des investissements liés au Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) dans les années 2000 et 2010, rappelle Emmanuelle Cosse. « Un organisme HLM peut arrêter d’investir pendant trois ans pour mieux se porter financièrement, suggère la présidente de l’USH. Mais il a des obligations morales et de valeurs. »

D’un côté, la file d’attente devant la porte des bailleurs sociaux s’allonge, avec un total de 2,3 millions de demandeurs en 2022 contre 2,2 millions en 2021. De l’autre, la décarbonation est un impératif auquel le monde HLM ne peut échapper. « Le gouvernement nous demande de programmer une trajectoire carbone à 2050, mais chaque année, le bailleur social doit attendre le 31 décembre pour savoir de combien sera l’aide l’année qui vient, et ne sait pas si elle existera l’année suivante », complète Marianne Louis, qui croit au levier fiscal pour stimuler le secteur.

Actuellement, la TVA s’élève à 5,5% pour des travaux de rénovation thermique. « Cela donne une TVA à 5,5% pour financer le changement de fenêtre, explique-t-elle, et une TVA à 10% pour le coup de peinture autour de la fenêtre changée. » Selon elle, une TVA abaissée à 2%, le temps de décarboner le parc existant, permettrait de faire baisser le coût travaux, qui peut supposer un investissement jusqu’à 120 000€ par passoire éradiquée dans le cadre d’une réhabilitation globale d’après l’USH, et ainsi réaffecter des fonds propres pour intensifier la chasse aux logements énergivores et relancer la production neuve.

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