« Notre guide préconise la signature d'une charte de facturation entre cocontractants », Virginie Beaumeunier, présidente de l’Observatoire des délais de paiement

L'observatoire rattaché à Bercy a publié fin novembre un « Guide des bonnes pratiques pour limiter les retards de paiement dans les relations interentreprises ». Les recommandations, fruit d'un groupe de travail visant le consensus, s'attachent à toutes les étapes de la relation commerciale, de l’entrée en relation au règlement de la prestation effectuée. Virginie Beaumeunier, présidente de cette institution, invite l'ensemble des entreprises à les mettre en œuvre, dans une période où la recrudescence des retards inquiète.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Virginie Beaumeunier, présidente de l'Observatoire des délais de paiement

Pourquoi ce « Guide des bonnes pratiques pour limiter les retards de paiement dans les relations interentreprises » ?

L'idée était d'associer un document pédagogique aux autres mesures, notamment répressives, qui existent pour lutter contre les retards de paiement. Il faut jouer sur tous les leviers, dans un contexte qui s’est un peu tendu en raison de l'inflation. Je voulais aussi relancer la dynamique de l'Observatoire, dont j’ai pris la présidence en juin 2023. La baisse des délais de règlement moyens plafonnait ces dernières années : on est toujours sur ces 15 milliards d’euros de trésorerie qui échappent aux PME. Nous avons constitué un groupe de travail avec les volontaires, afin de réunir autour de la table des représentants des grandes entreprises et des PME et TPE et de travailler sur des mesures concrètes qui feraient consensus. Par ailleurs, le choix a été fait de nous focaliser sur les délais de paiement inter-entreprises, pour ne pas doublonner avec les travaux de l'Observatoire économique de la commande publique.

Les délais de paiement du BTP (rapport 2023 de l’Observatoire pour 2022)

Secteur des travaux publics

- délais de paiement clients :
82,5 jours en 2022 contre 85,7 jours en 2021 (et 86,5 jours en 2019)
- délais de paiement fournisseurs :
72,1 jours en 2022 contre 77,4 jours en 2021

Secteur du bâtiment

- délais de paiement clients :
74 jours en 2022 contre 75 jours en 2021 (et 77 en 2019)
- délais de paiement fournisseurs :
61 jours en 2022 contre 60 jours en 2021 (et 63 en 2019)

Quelles sont les préconisations qui ont suscité le plus de débats ?

Nous avons notamment beaucoup échangé sur la phase préalable, autrement dit l'entrée en relation contractuelle. Le guide recommande la signature d’une « charte de facturation » entre les parties, afin de bien formaliser la relation contractuelle et que chacun ait conscience des exigences et contraintes de l'autre en la matière. Il s’agit de mettre noir sur blanc l'organisation du système de paiement, comment la facturation va s'opérer et comment elle va être reçue, de manière à s'assurer qu'elle arrive au bon endroit, et avec les bonnes mentions. Cela nous a paru très important.

Comment se positionne le guide concernant la facturation électronique – qui va devenir obligatoire entre entreprises à partir de septembre 2026 ?

Ce sujet aussi a été longuement débattu ! Le document adopte une vision plutôt positive – même s’il est vrai qu’il a été finalisé avant l'annonce de l'arrêt de la plateforme gratuite publique pour la facturation BtoB. Le guide rappelle que pour toute la phase « impliquant la reconnaissance et la validation des montants facturés, la facturation électronique peut constituer un accélérateur du paiement des fournisseurs ». L’horodatage de la réception de la facture permettra d’éviter les débats et de mieux contrôler le respect des délais.

Les PME ne doivent pas attendre le dernier moment pour se préparer à cette dématérialisation, c'est aussi le message qu'on a voulu passer. Et elle peut être l'occasion, parfois, de mettre en place un nouveau système comptable ou logiciel, avec à la clé des gains de temps dans les entreprises. Evidemment, cela ne suffit pas, il faut aussi une prise de conscience, notamment dans les grandes entreprises au plus haut niveau, que régler ses fournisseurs dans les délais est essentiel.

Dans les marchés de travaux, l’intervention du maître d’œuvre complique le processus…

Le guide rappelle à cet égard que « le maître d’ouvrage doit prévoir, sur la plateforme de dématérialisation de facturation, que l'intervention du maître d'œuvre est incluse dans le délai de paiement de l'entreprise ». C'est une règle légale, mais disons qu'en paramétrant correctement le logiciel cela garantira une meilleure application.

D’autre part, des bonnes pratiques sont mises en avant sur ce sujet de la validation des prestations. Le guide constate que dans le secteur de la construction fleurissent des dispositions contractuelles « susceptibles de complexifier la relation et de retarder le paiement complet de la prestation », notamment pour le règlement du solde. Des entreprises attendent parfois pendant une année le paiement du décompte général et définitif, ce qui constitue une retenue complémentaire à celle déjà prévue. Nous soulignons donc que le règlement du solde doit lui aussi respecter les délais légaux et qu’à défaut, les pénalités de retard et l’indemnité forfaitaire sont dues. Ce qui est un rappel pour les clients, mais aussi pour les fournisseurs, qui ne doivent pas hésiter à les réclamer. Cela illustre l’objectif de ce guide, qui n’est pas révolutionnaire en soi, mais dégage à toutes les étapes de la relation contractuelles des pratiques recommandées, en se plaçant du point de vue des clients comme des prestataires.

Projet de règlement européen sur les délais de paiement : où en est-on ?

Le big bang annoncé sur la réglementation des délais de paiement n’aura – probablement – pas lieu. Le projet de règlement européen concernant la lutte contre les retards de paiement, proposé par la Commission européenne en septembre 2023, qui viendrait remplacer la directive existante de 2011, a été largement remanié par le Parlement européen en avril dernier« Sur le délai de paiement légal, le texte européen est désormais très proche de notre droit national », résume Virginie Beaumeunier.

Si la mouture initiale prévoyait un délai maximal de 30 jours uniforme pour les marchés publics comme privés, suscitant l’inquiétude des entreprises mais aussi des pouvoirs publics hexagonaux, le passage devant le Parlement européen a permis aux Etats membres d’étendre ce délai à 60 jours (voire à 120 jours pour les produits à forte saisonnalité par exemple). Parmi les autres nouveautés apportées par les eurodéputés, détaille la présidente de l’Observatoire des délais de paiement : l’impossibilité de refuser de bénéficier des pénalités compensatoires (qui varient entre 50 et 150 euros) et des intérêts de retard quand le débiteur est une entité publique ou une « large undertaking » (a priori, cela vise les grandes PME/ETI et grandes entreprises) ; l’encouragement à la résolution amiable ; et la mise en place d’un Observatoire européen des délais de paiement, sous présidence de la Commission, sur le modèle de l’observatoire français.

« Le projet de règlement devait être examiné par le Conseil, mais le processus a été interrompu par les élections européennes et la mise en place de la nouvelle Commission, rapporte Virginie Beaumeunier. Sa nouvelle version pose beaucoup moins de problèmes pour la France. Reste à savoir quand le texte sera rediscuté ».

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !