Les modalités d’indemnisation d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un marché public sont établies depuis longtemps (Conseil d'Etat, 18 juin 2003, n° 249630, mentionné au recueil Lebon). La variété des situations a conduit la jurisprudence ultérieure à préciser l’application de la solution dégagée en 2003. C’est ce qu’a encore fait récemment la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille dans un arrêt du 11 septembre (CAA de MARSEILLE, 6e chambre, 11 septembre 2023, n° 19MA05388), signalé par la Direction des affaires juridiques de Bercy dans sa "Lettre" du 12 octobre.
L'indemnisation est un droit en cas de préjudice lié à l'éviction irrégulière
Une entreprise avait été évincée d’une procédure portant sur l’attribution d’un marché de public à bons de commande, passé selon la procédure négociée. Contestant cette éviction, elle demande à la juridiction administrative l’annulation de la procédure ainsi que son indemnisation en raison du préjudice qu’elle aurait subi.
L’affaire est portée jusque devant la CAA. Dans un arrêt avant dire droit, celle-ci juge que l’éviction du candidat était bien irrégulière et qu’il a droit en principe à être indemnisé, dès lors qu’il existe un lien de causalité entre la faute de l’acheteur public (irrégularité de l’éviction) et le préjudice invoqué. Ne disposant pas de tous les éléments permettant de fixer le montant de l’indemnité, elle ordonne une expertise.
L'étendue de l'indemnité dépend de la chance du candidat de remporter le marché
Se prononçant par la suite définitivement sur la base des conclusions de l’expert, la CAA met en œuvre la solution de principe de 2003. L’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé varie en fonction de sa chance de remporter le marché.
Trois situations sont à distinguer :
- Première situation : si le candidat n’avait aucune chance, alors il n’a droit à aucune indemnité ;
- Deuxième situation : si le candidat avait une chance de remporter le marché, il a droit au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre ;
- Troisième situation : si cette chance était sérieuse, il a en outre droit à être indemnisé de son manque à gagner. Dans ce dernier cas, les frais d’offre sont réputés inclus dans le manque à gagner (dans les charges du candidat).
L'indemnisation est limitée en cas de marché public à bons de commande
La CAA rappelle ensuite que lorsqu’un marché est conclu à bons de commande, avec des quantités et montants minimum et maximum, l’indemnité ne couvre que le manque à gagner présentant un caractère certain, c’est-à-dire dans la limite du montant minimum fixé dans le marché. Cette solution est la même que s’agissant d’un marché prévoyant des reconductions (CE, 29 mars 2019, "Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine", n° 423936).
Les frais d'offre doivent être indemnisés
La particularité de l’affaire jugée par la CAA réside dans le fait que le candidat avait bien une chance sérieuse de remporter le contrat (troisième situation), mais n’est pas en mesure de justifier un manque à gagner indemnisable. La Cour estime alors qu’il faut revenir à la deuxième situation : le candidat a tout de même le droit à être indemnisé de ses frais d’offre.
Il est ajouté qu’il en irait de même si le manque à gagner indemnisable était inférieur au montant des frais d’offre. Ce cas de figure peut survenir plus fréquemment en présence d'un marché à bons de commande ou à reconductions multiples, dans la mesure où le préjudice indemnisable est limité au manque à gagner présentant un caractère certain (montant ou quantité minimum). Ce dernier correspond aux prestations minimales qui seront réalisées par le titulaire du marché, les commandes supplémentaires ou la reconduction du marché restant une option à la main de l'acheteur public.
CAA de Marseille, 6e chambre, 11 septembre 2023, n° 19MA05388