Les projets de production d’énergies renouvelables (EnR) comportant un risque suffisamment caractérisé de destruction d’espèces de faune ou de flore protégées (voir CE, 9 décembre 2022, n° 463563, publié au recueil Lebon) doivent donner lieu à l’obtention d’une dérogation prévue par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, en principe délivrée par le préfet du département. Rappelons que la dérogation ne peut être accordée que si trois conditions sont réunies : absence d'autre solution satisfaisante ; maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et démonstration que le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).
Mise en balance du projet avec d’autres intérêts
Lorsqu’il est saisi d’un recours contre une telle dérogation, le juge administratif vérifie, dans un premier temps, si le projet répond, en fonction de ses caractéristiques propres et du besoin essentiel et indispensable qu’il permet de satisfaire, à un intérêt public majeur susceptible d’être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore.
Dans un second temps, en présence d’un tel intérêt, il prend alors en considération les atteintes portées par le projet aux espèces protégées, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues par le pétitionnaire (CE, 3 juin 2020, n° 425395, 425399, 425425, mentionné aux Tables).
La première condition a parfois fait obstacle à la réalisation de projets de production d’énergies renouvelables, notamment lorsque la puissance totale de ces installations ne permettait pas de couvrir des besoins importants en matière de consommation électrique ou de contribuer de façon déterminante aux objectifs nationaux de développement des EnR. En effet, le Conseil d’État a ainsi rappelé, à l’occasion de recours contre des projets d’éoliennes en mer, que l’intérêt public majeur d’un projet s’appréciait notamment au regard de la puissance des installations et de leur contribution aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) (CE, 29 juillet 2022, n° 443420, mentionné aux Tables).
Présomption d’intérêt public majeur
La loi EnR, définitivement adoptée par le Sénat le 7 février 2023 – l’Assemblée nationale avait voté le texte le 31 janvier –, entend assouplir la condition tenant à l’existence d’une RIIPM, en posant le principe selon lequel les projets d’installation de production d’EnR au sens de l’article L. 211-2 du Code de l’énergie ou de stockage d’énergie dans le système électrique, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie « sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411 2 du Code de l’environnement, dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’État » (nouvel article L. 211-2-1 du Code de l’énergie*).
NDLR : Le Conseil constitutionnel a été saisi ce 9 février de deux recours (l'un émanant des députés Les Républicains, le second provenant des députés du Rassemblement national) portant entre autres sur la conformité à la Constitution de cette nouvelle mesure. Réponse attendue d'ici un mois.
Intérêt limité
L’instauration de cette présomption n’aura a priori qu’un intérêt limité pour les projets d’énergies renouvelables soumis à l’obligation d’obtenir une dérogation au titre des espèces protégées. En effet, d’une part, la présomption instaurée ne constitue qu’une présomption simple, susceptible d’être renversée en présence de forts enjeux de conservation de ces espèces sur un secteur donnéou lorsque les dommages ne pourront pas être prévenus, réduits ou compensés de manière satisfaisante par le pétitionnaire.
D’autre part, et surtout, cette présomption ne s’appliquera pas à tous les projets de production d’énergies renouvelables mais seulement à ceux qui répondront à des « conditions définies par décret en Conseil d’État ». Alors que l’Assemblée nationale avait supprimé la référence « aux conditions définies par décret » afin que tous les projets d'EnR, quelle que soit leur puissance, puissent bénéficier de cette présomption, le projet définitif revient à une version très proche de celle votée en première lecture par le Sénat.
Exit les « petits » projets ?
Les conditions prévues par le décret devront tenir compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation de certains objectifs fixés par la PPE.
Sous réserve des seuils de puissance qui seront retenus par le pouvoir réglementaire, cette présomption (simple) d’intérêt public majeur pourrait ne pas jouer pour les « petits » projets, alors que c’est précisément pour ces derniers que l’existence d’une RIIPM pourrait poser une difficulté en cas de contentieux.
Quant à l’intérêt de cette présomption pour les projets supérieurs aux seuils, il est aussi à relativiser dans la mesure où la jurisprudence reconnaissait déjà que l’intérêt public majeur de ces projets s’apprécie au regard de la puissance des installations et de leur contribution aux objectifs de la PPE (CE, 29 juillet 2022, n° 443420, précité).
Autres conditions
En tout état de cause, les projets d’EnR continueront à devoir réunir les deux autres conditions d’octroi de la dérogation au titre des espèces protégées, à savoir l’absence de solution alternative satisfaisante et le maintien dans un état de conservation favorable des populations d’espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle. Ces dernières ne sont en effet pas modifiées par la loi.
En ce qui concerne l’absence de solution alternative satisfaisante, le texte définitivement adopté précise que « l’existence d’une zone d’accélération définie à l’article L. 141 5 3 du [Code de l’énergie] ne constitue pas en tant que telle une autre solution satisfaisante ».
En outre, le respect de cette condition peut être problématique en particulier lorsque des études ont pu conclure au caractère satisfaisant d’une solution alternative qui n’a finalement pas été retenue par le maître d’ouvrage. Dans ce cas, la dérogation ne peut pas légalement être délivrée.
Quant aux modalités de contrôle par l’autorité administrative de la condition tenant au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations d’espèces protégées concernées dans leur aire de répartition naturelle, elles ont été récemment précisées par le Conseil d’État. Selon la Haute juridiction, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, « de déterminer, dans un premier temps, l’état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celles-ci » (CE, 28 décembre 2022, n°449658, mentionné aux Tables).
Cette condition ne peut pas être remplie lorsque le dossier de demande de dérogation est lacunaire à cet égard. L’insuffisance du dossier peut être liée à des modifications, par le porteur de projet, des mesures compensatoires effectuées postérieurement à l’avis émis par le Conseil national de la protection de la nature, sans nouvelle consultation de cette autorité. Dans ce cas de figure assez fréquent, le préfet peut considérer qu’il n’a pas été en mesure d’apprécier les impacts du projet sur les espèces pour lesquels la dérogation a été sollicitée.