Logement évolutif : ce rapport d’évaluation qui ne dit rien (ou presque)

Attendu depuis des mois, le rapport du gouvernement sur l’application de l’article 64 de la loi Elan - qui impose de construire dans un programme au moins 20 % de logements accessibles, les autres pouvant être simplement évolutifs - a enfin été remis au Parlement. Mais dans une version drastiquement allégée par rapport à celle, jamais publiée, qui avait été élaborée par l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable dans un premier temps.

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handicapés logement évolutif
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Parfois, cela vaut le coup d’attendre. Mais la remise en mai aux parlementaires, sans tambours ni trompettes, du rapport d’évaluation à cinq ans de l’article 64 de la loi Elan de 2018, soit avec un an et demi de retard, a plutôt le goût de la déception.Révélée par le site Yanous.com, la mouture finale, signée de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), s’avère très succincte. Pas vraiment de bilan, pas de perspectives. Au fil de treize pages (hors annexes), le rapport rappelle les règles adoptées par la loi Elan et ses prolongements réglementaires, et les actions en cours de l’exécutif.

La loi Elan et ses développements réglementaires

- Article 64 de la loi Elan du 23 novembre 2018 : pour les permis de construire déposés à compter du 1er novembre 2019, 20 % des logements situés au rez-de-chaussée ou en étages desservis par un ascenseur, et au moins un logement, sont accessibles et les autres logements sont évolutifs. 
- Arrêté du 11 octobre 2019 : définition des travaux simples permettant de transformer un logement évolutif en logement accessible.
- Décret du 11 avril 2019 : obligation d’installer un ascenseur dans les bâtiments d’habitation dès le R+3 au lieu du R+4.
- Arrêté du 11 septembre 2020 : une douche zéro ressaut doit être intégrée dans les logements en rez-de-chaussée ou desservis par un ascenseur, et dans les maisons individuelles.

Trop tôt pour un bilan

Les auteurs du rapport indiquent que les délais de livraison des logements soumis aux nouvelles obligations, impactés par la crise du Covid, ne permettent pas de disposer de suffisamment de données pour établir une analyse quantitative.

Le document se contente de livrer quelques éléments concernant les travaux modificatifs de l’acquéreur (TMA), c’est-à-dire ceux qu’un acheteur en Vefa peut demander au promoteur à condition qu’ils soient réversibles sur le plan de l’accessibilité et que le logement demeure visitable par une personne handicapée. Les conditions posées par la réglementation sont en effet les mêmes pour les travaux simples au sens des logements évolutifs et les TMA (art. 11 à 17 de l’arrêté du 24 décembre 2015 modifié relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments d'habitation collectifs et des maisons individuelles lors de leur construction). La Fédération des promoteurs immobiliers, citée par la DHUP, évalue le taux de recours aux TMA entre 50 et 70 %.

Dans une enquête publiée par « Le Moniteur » en avril dernier, ladite fédération estimait, par la voix de son délégué général, Didier Bellier-Ganière, que « sur la base des déclarations de promoteurs, la réglementation [relative au logement évolutif] est respectée » et qu’elle engendrerait « quelques surcoûts, mais compliqués à déterminer ».

Autre élément de bilan relevé par la FPI mais aussi par l'Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs (ANPIHM), la répartition des 20 % de logements accessibles dans les programmes n’est pas toujours en cohérence avec les attentes des personnes en situation de handicap, et ces habitats adaptés ne leur échoient pas forcément, des acquéreurs valides pouvant se positionner avant… Enfin, pour Vincent Assante, président de l’ANPIHM, la transformation des logements évolutifs en logements accessibles serait en pratique « très complexe, parfois irréalisable et chère », dès lors qu’il s’agit de « casser des cloisons, faire appel à plusieurs corps de métier, piloter le chantier »…

Au chapitre de « l’évaluation de la douche sans ressaut », mesure prise en 2020 dans la lignée de l’article 64 de la loi Elan, le rapport de la DHUP évoque simplement l’augmentation des risques d’inondation de la salle d’eau en cas de problème d’évacuation, et renvoie aux guides de mise en œuvre publiés par le CSTB, la Solideo et la FFB. Il rappelle aussi que l’installation d’une baignoire demeure permise dans un logement accessible, « à condition que l’aménagement ultérieur d’une douche sans ressaut soit possible sans intervention sur le gros œuvre et sans modification du volume de la salle d’eau ».

Un label, des aides et des contrôles

Quant aux actions en cours, rien de neuf dans le rapport, qui cite la création d’un label sur l’accessibilité des logements qui devrait aboutir cette année, le recensement d’ici 2026 des logements accessibles du parc social, l’aide financière aux travaux via MaPrimeAdapt’, le dispositif de soutien au déploiement de l’habitat inclusif et le renforcement des contrôles de l’Etat et des sanctions en cas de manquements aux obligations d’accessibilité.

D’autres voies auraient pourtant pu être explorées. En effet, la première mouture du rapport (68 pages hors annexes), commandée par le gouvernement à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, livrée fin 2023 mais restée confidentielle, formulait un certain nombre de recommandations. Ses auteurs reconnaissaient même être « conscient[s] de dépasser les contours de l’exercice de bilan d’application imposé par la loi [Elan] et s’autorise[r] l’élaboration d’un scenario disruptif ». Lequel est donc resté, pour l’heure, dans les tiroirs de l’exécutif.

Un « scénario disruptif » resté lettre morte

Divulgué lui aussi par le site Yanous.com, ce pré-rapport partait du constat que l’article 64 de la loi Elan avait finalement eu, de l’avis des professionnels, peu d’impact sur leurs pratiques. La tendance observée par l’IGEDD, comme le confirme au « Moniteur » Christian François, ancien représentant associatif au Conseil national consultatif des personnes handicapées, serait de continuer à concevoir des programmes 100 % accessibles en laissant de côté le ratio de logements évolutifs, mais en exploitant les possibilités offertes par les TMA. Inconvénient : une telle façon de faire ne permet pas de bénéficier de « la garantie technico-économique de la réversibilité réelle pour la part d’au moins 20 % de logements accessibles » dans le cadre du dispositif Elan, soulignait la première version du rapport.

De là, l’IGEDD préconisait un plan d’actions en deux temps. Premier temps, « intégrer dans le corpus réglementaire une série de dix mesures renforcées pour tous les logements : sanitaires, balcons, loggias et terrasses, cloisons, gaines techniques, travaux simples… ». Puis, dans un second temps, « généraliser, pour la totalité des logements situés en rez-de-chaussée ou desservis par ascenseur, le logement « à usage universel », au service d’usages et de pratiques de l’habiter toujours plus diversifiés (cellules familiales à géométrie variable, télétravail, habitat partagé ou inclusif, …) ». Un concept à mi-chemin entre le logement accessible et le logement universel, qui passerait notamment par des « travaux simples » encore plus… simples.

Un retour au 100 % accessible sur le bureau de l'Assemblée

C’est encore une autre option, plus radicale, qu’a retenue la députée (LFI) du Rhône Anaïs Belouassa-Cherifi, autrice avec 96 cosignaires d’une proposition de loi transpartisane déposée le 18 mars dernier. Son texte « vise à instaurer l’obligation d’une mise en accessibilité intégrale de l’ensemble des nouvelles constructions de logements, qu’ils appartiennent au parc public ou privé », en revenant au 100 % accessible dans le neuf, à tous les étages. Et pour qu’un logement accessible soit atteignable par tous, la proposition de loi entend faciliter la mise en accessibilité des parties communes dans les copropriétés. Elle s’attaque aussi au parc existant et prévoit d’imposer aux bailleurs sociaux et aux Crous un taux minimal de logements locatifs accessibles dans chaque commune, progressif dans le temps : 10 % au 1er janvier 2026, 20 % au 1er janvier 2028 et 30 % au 1er janvier 2030. Reste à ce texte à accéder à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale…

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