Les prix du bois flambent, la maison bois brûle

Les carnets de commande sont pleins. Pourtant, l’activité est en danger face à des prix du bois qui explosent, et une pénurie alimentée par un surstockage. La faute à la guerre en Ukraine, entre autres.

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« Depuis la guerre en Ukraine, et en une semaine*, les cubages ont augmenté encore de 150 à 200 €. C’est assez violent », souffle Franck Bernigaud, président de la Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC). Chez Lababois, dans le plan de vente et sur une année glissante, la hausse est fulgurante : + 35 % en moyenne. « Elle est de 120 % pour le bois lamellé, 100 % pour l’agglo, et autour de 50 % pour le contreplaqué », détaille son directeur général Denis Labadens. « Et ce n’est pas fini. Il y a encore des annonces d’augmentation. »

La tension sur les prix qui a été amorcée il y a un an n’en finit plus. Car pendant ce laps de temps, la forêt européenne est devenue le grenier du monde entier. « Les Chinois ont gelé leur forêt pour protéger leurs ressources. Les Etats-Unis ont instauré une taxe sur les bois d’œuvre canadiens qui a encore doublé fin 2021. La demande américaine s’est tournée massivement vers l’Europe avec des conséquences ahurissantes. Outre l’impact environnemental, même avec le prix du fret qui a triplé, il est devenu moins cher de se fournir sur le Vieux Continent qu’au Canada », s’étrangle Benoit Cauchard, responsable technique menuiserie intérieure et agencement au sein de l’Union des métiers du bois de la FFB.

Effet PQ et effet d’aubaine

Tout comme le premier confinement a précipité les consommateurs dans les supermarchés par peur de manquer de papier toilette, « tout le monde s’est rué sur le bois créant une pénurie liée au prix », continue Benoit Cauchard. Côté négoces, « les délais normaux sont passés d’un mois à trois, voire quatre. Par anticipation, nous avons augmenté nos stocks de 30 % », poursuit Denis Labadens. Pour les approvisionnements, l’heure est à la gymnastique. « Le sourcing vers les forêts d’Europe du Nord pour les bois de scierie va compenser en partie les difficultés. C’est le gros avantage des structures avec plateforme, précise Charles-Gaël Chaloyard, DG de Tout Faire. Mais il existe énormément d’incertitudes. Outre le drame humain, il ne va pas falloir que la crise en Ukraine dure trop longtemps. »

D’autant qu’il n’existe pas un bois, mais des bois. Pour les parquets par exemple, ce conflit aux portes de l’Europe n’est pas sans incidence. « Le petit effet de détente lié à la reconstitution de nos stocks n’a pas duré. La guerre en Ukraine a précipité les nouvelles hausses avec des conséquences dramatiques pour certains fabricants qui s’approvisionnaient à hauteur de 20 %, voire 30 % en chêne d’Ukraine. Outre les hausses tarifaires de 10 % à 15 % déjà appliquées et une prochaine annoncée pour le 1er avril, certains réfléchissent à plusieurs options, dont celle d’arrêter la production », révèle Christophe Chausson, directeur opérationnel de Nebopan. Le phénomène a déjà été observé dans d’autres secteurs, par exemple dans la céramique, où Jacob Delafon n’a pas hésité à communiquer.

En aval de la chaîne de valeur, les constructeurs voient le ciel s’assombrir. « Certes, l’Ukraine est en guerre. Elle ne peut plus livrer depuis 15 jours, mais les pénuries avaient démarré bien avant. Ce n’est pas ce qui justifie une telle augmentation des prix », s’agace Alain Tur, président d’AST Groupe, qui construit 2 300 maisons en France dont 600 en ossature bois et accuse une perte de 4 % de rentabilité sur son usine, rien que pour le mois de janvier. « Il y a aussi de la spéculation et un fort effet d’aubaine. Le phénomène n’est plus maîtrisable et les conséquences économiques pourraient être monstrueuses », avertit le constructeur de maisons individuelles.

Deux genoux à terre

D’autant qu’Alain Tur, à l’instar de tous les constructeurs, est loin de n’être concerné que par le bois. Les systèmes de fixation en acier nécessaire aux murs en ossature bois sont en rupture de stock. Or, « sans ces produits, aucune MOB ne sort de la chaîne de production, poursuit le constructeur. Nous avons du stock pour encore 10 jours. Nous allons trouver une alternative, mais elle ne sera plus au même prix, parce que la demande chez cet autre fournisseur aura doublé en une semaine. De plus, la situation aujourd’hui n’est plus de négocier un prix, mais de savoir quand le matériau sera livré. Cette situation se complique car beaucoup de constructeurs ne sont plus dans les standards de marge imposés par nos garants », ajoute Alain Tur.

Pourtant, le portefeuille de maisons à démarrer est largement garni. Il a même été dopé fin 2021, les Cmistes voulant anticiper la mise en application de la RE 2020 « qui augmente forcément le coût de construction. Si nous avions réalisé des centaines d’études, nous avons dû upgrader nos systèmes. A cela, il faut ajouter les taux d’intérêt qui augmentent de 25 points de base, ce qui représente 10 000 euros rognés sur le financement global des candidats à la propriété. Les consommateurs ne vont plus pouvoir se loger sachant que sur l’ensemble de nos gammes les prix ont augmenté de 10 % l’an dernier. Depuis 2022, une première hausse de 1 % a été appliquée et une autre arrive de 1% en avril », révèle Alain Tur. Pour ce constructeur, ce n’est pas un genou que le bâtiment risque de mettre à terre suite au conflit en en Ukraine, comme l’a annoncé Olivier Salleron, président de la FFB. Mais deux.

Pouvoir d’achat en berne : vers un coup d’arrêt ?

La faute, aussi, à l’effet domino. « Nos contrats de construction impliquent un certain nombre de responsabilités avec des engagements en termes de délai. Un mois de retard représente pour nous 1 200 € à 1 500 € de pénalités. Nous avons des chantiers qui sont en stand by aujourd’hui », regrette Alain Tur. Constat partagé par Franck Bernigaud, « pour l’instant les carnets de commande sont pleins. Mais il n’y a pas que le bois qui est impacté. Toute la chaîne de construction est concernée. Si à court terme les indicateurs restent au beau fixe, on pourrait voir rapidement un coup d’arrêt quand le coût de la construction va devenir impossible pour le consommateur final. D’autant que face à la crise générée par le conflit en Ukraine, à un moment,  ce dernier va devoir à un moment arbitrer et pas en faveur des travaux. Car son pouvoir d’achat est  grignoté par l’énergie, l’alimentation, etc. »  Le salut n’est donc pas pour demain.

D’autant que le bois doit aussi composer…. Avec son succès. La demande devrait être dopée par la RE 2020 – qui fait la part belle à ce matériau biosourcé –, par les prochains JO 2024 aux dates de livraison incompressibles, ou encore par les contours du Grand Paris. « Or, les indices sur lesquels se fondent ces marchés publics ne correspondent pas du tout aux hausses véritables que nous connaissons. Quand sur ces marchés nous sommes autorisés à répercuter 10 %, certaines familles de bois atteignent les 100 % », déplore Denis Labadens.

Certes, les prix des index BT sont en cours de révision pour mener une action auprès de l’Insee. Certes, jusque-là ce matériau était sous-évalué. Mais il est clair qu’aujourd’hui, on ne reviendra plus en arrière, sans savoir de l’aveu de tous, et au regard du conflit aux portes de l’Europe, de quoi sera fait devant. De son côté, par la voix de Jean Castex, le Gouvernement a dégainé le 15 mars dernier les contours de son Plan résilience. Au menu : la mise en application de la théorie de l’imprévision pour les marchés publics, et l’incitation à ne pas brandir les pénalités de retard dans le cas de délais dus à l’approvisionnement. Un pansement sur une jambe de bois ?

* ndlr : semaine 11

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