Le ministère de la Transition écologique a mis en ligne pour consultation publique, le 3 mars 2022 et jusqu’au 24 mars, le projet d’ordonnance relatif à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte. En effet, la loi Climat et résilience d’août 2021, dans son article 248, a autorisé le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures complémentaires pour l’adaptation des territoires littoraux au recul du trait de côte, lequel impose notamment la relocalisation progressive de l’habitat, des activités et des équipements affectés par l’érosion.
Dans sa note de présentation accompagnant le projet d’ordonnance, le ministère précise qu’il s’agit notamment de "faciliter la maîtrise foncière des terrains directement exposés au retrait du trait de côte par des collectivités ou d’autres acteurs publics ou parapublics", acteurs "capables d’accompagner la recomposition des secteurs menacés et de conduire des opérations d’ensemble".
Le recul du trait de côte n’est pas un "risque majeur"
L’érosion du trait de côte n’est pas considérée comme "un risque majeur dans la mesure où ce phénomène est prévisible", rappelle le ministère (1). Ce n’est pas qu’une question de sémantique mais aussi d’accès au fonds Barnier, le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), créé en 1995 pour financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. L’érosion du trait de côte n’est en effet pas un risque indemnisé par ce fonds.
La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), dans sa note, pointe à cet égard la question centrale : "savoir sous quelles conditions le marché peut prendre en compte la valeur d’un bien affecté par un phénomène naturel prévisible et de quels moyens dispose potentiellement la collectivité pour intervenir, notamment dans le cadre d’une préemption".
Quelle décote pour les biens concernés ?
Pour évaluer la décote des biens concernés, dont la durée de vie est de fait écourtée par le phénomène, la puissance publique cherche à trouver la juste "valeur". Elle doit se préparer à "faire face aux éventuelles demandes publiques" qui ne manqueront pas d’affluer. Car selon les estimations du Cerema, et si l’on ne prend en compte que l’habitat, entre 5 000 et 50 000 logements d'ici 2100 seraient concernés en France par un risque d’érosion littorale.
À titre exceptionnel, et au prix de longues discussions parlementaires et d’un feuilleton judiciaire, les 75 propriétaires de l’immeuble Le Signal à Soulac en Gironde, expropriés de l’immeuble gravement menacé par l’érosion, avaient finalement pu être indemnisés. Mais pour cela, les parlementaires avaient fini par voter un amendement à la loi de finances pour 2019, réservant une enveloppe de 7 M€ pour cette indemnisation. Il avait fallu apporter un complément lors de la 3e loi de finances rectificative pour 2020.
La DHUP, pour éviter un nouveau "précédent" de ce type, cherche pour la gestion du recul du trait de côte à "assurer une égalité de traitement à l’échelle nationale".
Un nouveau droit de préemption
Et la "méthode d’évaluation" que le ministère souhaite privilégier "pour les biens les plus exposés", ceux "à horizon de 30 ans", s’inscrit dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte, détaillée dans l'article 1er du projet d'ordonnance ainsi que dans celui des indemnités en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (article 2).
La nouvelle doctrine est que "la valeur d’un bien immobilier est en priorité déterminée par comparaison, au regard des références locales de biens de même qualification et situés dans la même zone d’exposition à l’érosion (0 à 30 ans)". À défaut de telles références, "une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle prévisible peut être appliquée à la valeur du bien estimée hors zone d’exposition au recul du trait de côte".
Sont prévues, en complément, des mesures de coordination et d’articulation avec des mécanismes "propres à la situation de certains secteurs littoraux", tels que ceux faisant l’objet d’une démarche de régularisation dans les espaces urbains de la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et Martinique (article 8) ou ceux potentiellement exposés à un risque naturel majeur et pouvant prétendre le cas échéant aux mécanismes d’indemnisation du fonds Barnier (article 3).
Mener la recomposition des territoires menacés
Le projet d’ordonnance prévoit aussi les conséquences en cas de d’annulation de la décision de préemption (article 1er).
Pour ce qui est du dispositif des réserves foncières, le texte indique que celui-ci peut être mobilisé pour prévenir les conséquences du recul du trait de côte (article 4).
Pour envisager la recomposition des territoires menacés comme relevant d’une opération d’aménagement étalée sur plusieurs années, le projet d’ordonnance répond à l’enjeu du modèle économique. Alors qu’il s’agit à la fois de lutter contre la spéculation foncière et immobilière sur les territoires les plus attractifs du littoral et en même temps d’alléger la charge financière des propriétaires dans le cadre des opérations de démolition et de renaturation, relève le ministère, le projet d’ordonnance précise les modalités du nouveau bail réel de longue durée instauré dans la loi Climat et résilience.
Le principe est qu’un bailleur consent à un preneur des droits réels en contrepartie d’une redevance foncière, en vue d’occuper ou de louer, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages et bâtiments.
Un bail réel d’adaptation au changement climatique
Le projet d’ordonnance crée le "bail réel d’adaptation au changement climatique". Il peut être conclu dans les zones exposées au recul du trait de côte, pour une durée de 12 à 99 ans, déterminée au regard des échéances de l’opération d’aménagement si elles sont connues, et de l’espérance de durée de vie du terrain d’assiette, compte tenu des évolutions prévisibles du trait de côte. Cet outil comprend un mécanisme de résiliation anticipée pour faire cesser la mise à disposition des biens concernés si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée.
Le bailleur est nécessairement une personne morale. Le preneur à bail est soit une personne physique, soit une personne morale, de droit privé ou de droit public. Les biens immobiliers mis à bail peuvent être des terrains bâtis ou non, des logements, des locaux à usage professionnel ou commercial, des terrains de camping, des parcs de loisirs, cite la DHUP. Les clauses du contrat seront adaptées à leur situation propre. Le preneur s’acquitte d’un prix à la signature du bail et d’une redevance pendant sa durée.
Comme tous les baux réels de longue durée existants, ce bail sera cessible mais il sera prévu un encadrement des prix de cession pour "prévenir des situations où les droits réels seraient cédés à une valeur disproportionnée au regard de la durée résiduelle de vie du bien".
Des dérogations possibles à la loi Littoral
Le projet d’ordonnance porte également sur les dérogations possibles à la loi Littoral pour relocaliser des constructions situées dans les zones d’exposition au recul du trait de côte. L’article 7 ouvre la possibilité aux communes incluses dans le régime spécifique au recul du trait de côte, créé par la loi Climat et résilience, de déroger à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante pour relocaliser des activités ou de l’habitat dans des espaces plus éloignés du rivage, si elles n’ont d’autre choix. Ces possibilités de dérogations sont "strictement encadrées et limitées", insiste l’administration du ministère de la Transition écologique.
Il faudra notamment avoir signé un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) - comme c’est le cas pour l’instant à Lacanau, Gouville-sur-Mer et Saint-Jean-de-Luz - ou avoir engagé une grande opération d’urbanisme (GOU) portant sur la recomposition spatiale du territoire d’une commune exposée au recul du trait de côte.
À noter enfin que la dérogation au principe d’urbanisation en continuité n’est applicable qu’au-delà d’une bande d’un kilomètre à compter du rivage et l’extension de l’urbanisation des secteurs déjà urbanisés.