Interview

«Le plus urgent désormais est de restaurer le chevet de la cathédrale», Philippe Jost, Rebâtir Notre-Dame de Paris

Alors que s’est achevée une semaine de célébrations marquant la réouverture du monument au public, l’heure du repos n'est pas encore venu à Notre-Dame de Paris. Le président de l’établissement public en charge de sa reconstruction détaille les quelques chantiers qui permettront de finaliser les réparations des derniers dommages causés par l’incendie du 15 avril 2019. Philippe Jost liste surtout les nouvelles opérations qui devront être engagées. Grâce à un reliquat des dons récoltés en 2019 et de nouvelles campagnes de financement, la cathédrale devrait encore bénéficier d’au moins trois années de travaux majeurs.

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Engagé dans le chantier de reconstruction de Notre-Dame dès 2019, Philippe Jost assure la présidence de l'établissement public dédié depuis le décès de Jean-Louis Georgelin en 2023.

Les cérémonies de réouverture de Notre-Dame se sont achevées dimanche 15 décembre par une messe dédiée à ses sauveteurs, les pompiers et les compagnons. Pourquoi était-ce important ?

Nous avions déjà pu vivre des moments comme la visite du Président de la République le 29 novembre dernier, qui était venu saluer et remercier l’ensemble des compagnons et tous les acteurs du relèvement de la cathédrale, la cérémonie d’ouverture du 7 décembre et la première messe, le lendemain. Mais depuis longtemps, nous étions convenus avec le diocèse d’organiser cette messe du 15 décembre.

Nous souhaitions avoir un moment entre nous, plus intime. Ce que nous avons vécu ensemble depuis cinq ans a créé une grande proximité. Après l’office, nous avons réuni quelque 1 500 compagnons autour d’un «repas de famille», sur la base vie du chantier. Cette période de réouverture nous a permis de partager à la fois une joie et une grande émotion. J’oserai même parler d’un moment de bonheur.

Pour certains de ces compagnons, la tâche n’est pas terminée. Ils reviendront notamment pour finir la couverture de la flèche. Pourquoi, ces travaux n’ont-ils pas pu être achevés pour la réouverture ?

Cette planification des travaux était fixée depuis longtemps, sachant que l’ambition a toujours été que, pour la réouverture fixée au 8 décembre, la restauration de l’intérieur de la cathédrale soit totalement achevée. Nous ne voulions pas seulement permettre un accès temporaire au lieu, avec une réparation cosmétique mais incomplète pour ensuite refermer et repartir pour des mois de travaux. Ce devait être définitif, ce qui a été le cas.

Pour reconstruire la flèche et refermer la brèche de la grande voûte due à l’effondrement de celle-ci lors de l’incendie, nous avons dû installer un grand échafaudage dans l’édifice. Au cours des études préalables, il avait été décidé de ne pas solliciter les murs de la cathédrale mais de poser l’échafaudage nécessaire au sol de la croisée du transept. Cette structure de 600 tonnes a permis d’atteindre jusqu’à 100 m de hauteur pour reconstruire la charpente en bois de la flèche, faire la couverture en plomb de son aiguille, puis fermer la voûte en restituant l’oculus de la croisée du transept avec sa toile peinte figurant la Vierge.

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Messe du 15 décembre 2024 à Notre-Dame de Paris, dédiée aux pompiers et aux reconstructeurs de Notre-Dame de Paris Messe du 15 décembre 2024 à Notre-Dame de Paris, dédiée aux pompiers et aux reconstructeurs de Notre-Dame de Paris (YANNICK BOSCHAT)

Le dimanche 15 décembre 2024 au matin, une messe a été célébrée en l’honneur des pompiers de Paris et des compagnons de quelque 250 entreprises, qui ont participé à sauver le monument lors et après l’incendie du 15 avril 2019. © Yannick Boschat / Diocèse de Paris.

En juillet dernier, nous avons, comme prévu, démonté cet échafaudage, pour libérer l'espace, finaliser la pose du dallage noir et blanc, installer le grand emmarchement du plateau liturgique et son mobilier, dont l’autel.

Il reste aujourd’hui à couvrir la base de la flèche ; pour cela, il suffit d’un échafaudage beaucoup plus léger et, cette fois, extérieur. Il est en cours de montage, sur les murs-gouttereaux, et devrait être prêt début janvier. Les travaux de reconstruction de flèche seront ainsi terminés au cours du deuxième trimestre 2025, sachant que nous avons de nouvelles contraintes d’organisation. Ainsi, pour des questions de sécurité, nous ne pouvons plus gruter de charges au-dessus de l’édifice lorsque celui-ci est ouvert au public, mais uniquement le matin de bonne heure.

Reste-t-il d’autres interventions à mener pour finaliser cette étape de la reconstruction ?

Nous  visons de rouvrir en 2025, aux alentours de l’été, le circuit de visite du massif occidental, c’est-à-dire des tours. Nous sommes en train de terminer la consolidation du beffroi de la tour sud, c’est-à-dire de la structure en bois qui porte les cloches.

En réalité, avant l'incendie, Notre-Dame, dans nombre de ses composantes, avait besoin d’une grande campagne de travaux.

—  Philippe Jost

Lors de l’incendie, seule la tour nord avait été atteinte. C’est d’ailleurs là que les pompiers ont gagné la bataille du feu. Depuis lors, le beffroi de celle-ci a été restauré mais nous avons constaté que le beffroi sud, s’il n’avait pas été touché par le sinistre, était en mauvais état. En réalité, avant le 15 avril 2019, Notre-Dame, dans nombre de ses composantes, avait besoin d’une grande campagne de travaux.

Une fois terminés les chantiers que vous venez de décrire, il vous restera encore une partie des dons qui ont été rassemblés après l’incendie. A quoi seront-ils consacrés ?

En effet, sur les 846 millions d'euros donnés pour l’essentiel dans les jours qui ont suivi l’incendie, nous disposons encore aujourd’hui d’environ 140 millions. Dès l’année dernière, nous avons demandé aux donateurs s’ils acceptaient de continuer d’accompagner la cathédrale pour les travaux à envisager, même s’il ne s’agissait plus de réparer les dommages du sinistre.

Cette somme servira à mener le chantier qui est considéré comme le plus urgent : la restauration du chevet. Ses décors en pierre, rongés par le temps, ont perdu leur intégrité : des pinacles ont été réduits de la moitié de leur hauteur, des sculptures sont fendues. Tout cela devra être refait.

Ce pourtour du chœur présente même potentiellement des problèmes structurels. Ainsi on estime que beaucoup de ses grands-arcs boutants, très fins, doivent être remplacés. Une telle intervention n’a rien d’exceptionnel. On peut considérer qu’elle relève de l’entretien d’un tel édifice. D’ailleurs, au XIXe siècle, Viollet-le-Duc avait déjà largement reconstruit les arcs-boutants. Nous commencerons donc par-là. Les appels d’offres seront lancés au cours du premier trimestre 2025 pour démarrer rapidement ce chantier.

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Médaille remise aux sauveteurs de Notre-Dame lors de la messe du 15 décembre 2024 Médaille remise aux sauveteurs de Notre-Dame lors de la messe du 15 décembre 2024

A l’issue de la messe du 15 décembre, le diocèse de Paris a fait remettre une médaille aux pompiers et aux compagnons qui ont œuvré à la survie de Notre-Dame. © Marie-Douce Albert / Le Moniteur.

Pour la suite, nous sommes en train de mener des diagnostics pour évaluer l’urgence relative de diverses opérations. Nous savons déjà que l’extérieur de la sacristie doit être restauré. Cette partie date des années 1850 et ses décors sculptés sont très abîmés. En revanche, elle ne présente pas de désordres structurels.

Des études sont en cours pour évaluer l’état des trois grandes roses, celles des façades des deux transepts et celle de la façade principale, et nous nous intéressons aussi aux façades des transepts. Leurs pignons, très endommagés par la chaleur de l’incendie, ont été entièrement reconstruits mais pour le reste de leurs maçonneries, rien n’a été fait. Mi-2025, nous pourrons tirer un bilan et établir l’ordre dans lequel ces chantiers devront être menés.

Pour le moment, nous savons que trois années de travail nous attendent.

—  Philippe Jost

Les 140 millions suffiront-ils à financer tout cela ?

Nous sommes à peu près sûrs de pouvoir financer le chantier du chevet mais l’ensemble des besoins excéderont cette somme. Nous devrons donc refaire appel à la générosité publique et lancer de nouvelles campagnes d’appel de fonds. Nous savons en tout cas que, pour le moment, trois années de travail nous attendent.

La réouverture de la cathédrale ne signifie donc pas la fermeture de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris que vous dirigez ?

Il est acquis que l’établissement aura la charge de cette nouvelle phase de restaurations, dont celle du chevet, et de l'emploi de ses 140 millions d'euros. Nous sommes le bon outil de pilotage, nous garantissons une parfaite traçabilité de l’usage des fonds et avons établi une relation de grande confiance avec les mécènes.

Tant que Notre-Dame nécessite un rythme soutenu de travaux, nous demeurons la structure adaptée. La loi et le décret qui ont permis la création de l’établissement ne précisent pas la date de fin de sa mission. Sa fermeture interviendra au moment opportun. Pour le moment, nous poursuivons notre travail d’autant que nous avons désormais une autre fonction.

Laquelle ?

Depuis un peu plus d’une semaine que la cathédrale est rouverte, nous assurons son entretien mais aussi sa sécurité incendie. Un nouveau système de protection, reposant notamment sur un dispositif de brumisation mais aussi sur d’autres équipements tout à fait innovants, a été installé. Il nous est ainsi revenu de recruter les équipes compétentes pour assurer la surveillance de la cathédrale. Mais, sur ce sujet aussi, viendra un temps où nous passerons le relais.

A titre personnel, je souhaite que le projet de musée de Notre-Dame puisse se concrétiser.

—  Philippe Jost

Revient-il aussi à l’établissement public de travailler à la création du futur musée de Notre-Dame qui pourrait s’installer au sein de l’Hôtel-Dieu voisin ?

Cette idée progresse et, à titre personnel, je souhaite qu’elle puisse se concrétiser. Ce projet qui permettrait de faire mieux comprendre tout ce qu’est Notre-Dame, son histoire et son âme ainsi que de valoriser les beaux savoir-faire qui permettent d'entretenir les cathédrales, a beaucoup de sens. Mais gérer un musée n’est pas dans les missions de notre établissement.

Avec les travaux que vous allez mener, auxquels viendront s’ajouter la transformation du parvis et la réhabilitation du square Jean-XXIII dirigées par la mairie de Paris, Notre-Dame gardera encore son caractère de perpétuel chantier…

D’autres cathédrales vivent ainsi : Strasbourg, Beauvais, Reims, Chartres… Cela signifie que des fonds sont disponibles pour que ces édifices soient entretenus. En fait, c’est plutôt quand il n’y a pas de chantier que c’est mauvais signe. Ceci dit, nous espérons bien parvenir à un stade où Notre-Dame de Paris, après avoir bénéficié de ces campagnes de travaux, pourra se passer de grandes opérations pendant quelques années.

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