Interview

« Le partage de la valeur des énergies renouvelables, mesure prometteuse du projet de loi EnR », Arnaud Gossement, avocat

L'exécutif a lancé le 12 août la concertation sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Structuré en quatre grandes parties, il prévoit des dispositions d'urgence pour débloquer les projets, des volets photovoltaïque et éolien en mer, et des mesures de financement. Pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement, le texte promet des débats passionnels au Parlement, et a été rédigé a minima de façon à se faufiler dans le parcours législatif. Analyse.

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Arnaud Gossement, avocat associé de Gossement avocats, professeur associé à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne

Quelles sont les principales mesures que vous retenez de cet avant-projet de loi ?

Celles qui vont le plus contribuer à augmenter le taux de raccordement des énergies renouvelables, à débloquer rapidement des projets. Je pense à cet égard à l'article 8 du texte, qui habilite le gouvernement à procéder à une simplification des procédures applicables aux opérations de raccordement des installations aux réseaux de transport et de distribution : c'est très attendu par les professionnels, car les démarches administratives en la matière sont d'une éminente complexité.

Je pense également à la mesure imposant l'installation d'ombrières photovoltaïques sur les parkings (article 12), bien rédigée. Il ne s'agit pas de créer de nouveaux parkings sous prétexte d'équipements photovoltaïques. 

Je pense aussi aux trois derniers articles, qui portent sur l'économie des projets. L'article 18 va permettre de donner plus de sécurité juridique aux contrats de vente d'électricité entre un producteur et un consommateur final et ainsi lever les réticences à en signer. L'article 19 est peut-être le plus porteur de tous, il concerne le partage territorial de la valeur des énergies renouvelables. Il s'agit de la possibilité pour les riverains d'une installation de voir concrètement leurs factures d'électricité ou de gaz baisser en raison de cette proximité géographique. L'idée est sur la table depuis très longtemps, ce dispositif permettra d'améliorer l'acceptabilité des projets, et il faut reconnaître au gouvernement le courage de s'emparer du sujet. Reste à voir comment cela sera mis sur pied, l'essentiel relevant du travail réglementaire.

Quid des mesures d'urgence du titre 1er du texte, qui visent à accélérer les projets d'EnR et les projets industriels nécessaires à la transition énergétique (adaptation de la procédure d'autorisation environnementale et relèvement des seuils de soumission, extension de la participation du public par voie électronique, etc.) ?

Ce titre 1er comporte des mesures intéressantes, mais qui restent ciblées et temporaires, puisqu'elles seront prises pour 48 mois. Ce caractère temporaire introduit de la complexité : il faudra jongler entre le régime juridique actuel, celui transitoire, puis celui d'après qui sera sans doute encore différent. De plus, ces dispositions ne s'appliqueront que pour certains projets, dont la liste exacte restera à définir par décret en Conseil d'Etat.

Pourquoi l'exécutif prend-il des mesures d'urgence temporaires dans ce titre 1er ? Si elles sont efficaces, autant les rendre pérennes, non ?

Cette prudence s'explique probablement par des raisons politiques. Il va falloir faire adopter cette loi, or le parti présidentiel n'a pas la majorité absolue, et il y a un nombre non négligeable de députés, notamment au RN, qui sont hostiles à la production de certaines EnR telles que l'éolien terrestre. D'ailleurs le texte met fortement l'accent sur le solaire et l'éolien en mer, qui font l'objet respectivement des titres 2 et 3, mais reste très discret sur l'éolien sur terre. Il a de toute évidence été rédigé dans la perspective de débats qui seront passionnels : 48 mois, cela permet de faire passer plus facilement la pilule.

Que penser de l'article 3 du projet, qui ouvre une brèche dans le principe de non-régression du droit de l'environnement ? Il énonce en effet que sont réputés ne pas méconnaître ce principe les décrets qui seront pris pour assouplir temporairement les règles de soumission des projets à étude d'impact.

C'est une ânerie. Cela créerait un précédent désastreux. Le principe de non-régression a été introduit par la loi Biodiversité de 2016 à l'article L. 110-1 du Code de l'environnement. Certes, il n'a pas pour l'instant de valeur constitutionnelle, et peut donc être atténué par une autre loi. Mais dès lors que le législateur a introduit un principe général du droit, on ne peut pas le défaire à la légère, sur un coin de table, sa valeur symbolique dépasse sa valeur législative. Il serait désastreux de le neutraliser.

J'espère que cet article 3 va sauter, surtout qu'il est inutile ! Le problème n'est pas tant de dispenser des projets d'études d'impact, il est de faire en sorte que pour tous les projets, ces études soient moins chères, moins lourdes, et moins créatrices de risques juridiques. Par exemple, mutualisons les études d'impact, faisons-les en amont, par zones et sous la direction de l'Etat comme pour l'éolien en mer...

Les dispositions concernant les documents d'urbanisme vous semblent-elles pertinentes (l'article 5 prévoit de faciliter la mise en compatibilité des documents d'urbanisme) ?

Ce volet est très décevant. Cela fait des années et des années que l'on discute de comment simplifier les problèmes de conformité/compatibilité entre des autorisations individuelles et des documents d'urbanisme... Mais on est dans la mesurette. Il faudrait plutôt s'attaquer à la réduction du millefeuille. Le CGEDD avait rendu en 2014 un rapport très intéressant sur le schéma régional intégrateur: l'idée était de faire la même chose pour les documents d'urbanisme que pour l'autorisation environnementale unique, c'est-à-dire les réunir au sein d'un dispositif, en supprimer certains, veiller à l'absence de contradictions entre eux, et simplifier les règles de compatibilité entre ce schéma et les autorisations individuelles. Ce serait à mon sens le grand chantier à mener, mais il suppose de toucher aux compétences des collectivités territoriales...

Par ailleurs, alléger des procédures d'adaptation ne suffit pas, d'autant plus qu'il n'y a pas de réelle conséquence si les délais ne sont pas respectés. Il serait intéressant d'imaginer un mécanisme semblable à la procédure intégrée pour le logement (PIL) : pour certaines zones tendues, on réforme le document d'urbanisme et on écrit l'autorisation individuelle dans le même temps. Encore faudrait-il que les préfets osent se servir de ces procédures intégrées.

Parviendra-t-on à diviser le temps d'instruction des projets par deux comme le souhaite le gouvernement ?

Je ne le crois pas. Pour y parvenir, il ne faut pas prendre une loi ou un décret, mais affecter des fonctionnaires compétents et en nombre suffisant pour instruire et contrôler les dossiers. L'administration devrait également fournir de l'information, du conseil aux porteurs de projet qui n'ont pas nécessairement les moyens d'avoir un service juridique ou de faire appel à un cabinet d'avocats. Il faut d'abord des hommes et des femmes pour réduire les délais d'instruction.

Comment réconcilier le souhait de faciliter les projets d'EnR et les oppositions à certaines opérations parfois elles-mêmes motivées par des préoccupations environnementales ?

Tout d'abord, il ne faut pas exagérer les oppositions aux projets. Certaines énergies comme le solaire en suscitent peu. Sur l'éolien, un petit nombre de personnes font beaucoup de bruit mais cela reste très minoritaire. Ensuite, le projet de loi, en ce qu'il prévoit un partage de la valeur, va dans le bon sens. Et la prise de conscience des impératifs liés au réchauffement climatique et à la crise énergétique va finir par se produire. Enfin, dans les oppositions qui se manifestent, certains discours environnementaux cachent parfois mal d'autres intérêts, immobiliers par exemple - ce qui peut être légitime d'ailleurs.

Le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres mi-septembre puis discuté au Parlement à compter d'octobre. A quoi faut-il s'attendre ensuite en terme de calendrier ?

C'est la première vraie rentrée de cette nouvelle majorité, et ce texte va susciter de nombreux amendements et débats. Il faut sans doute tabler sur au moins huit mois de débats. Et la loi comporte le moins possible de dispositions, beaucoup seront à prendre ensuite par voie réglementaire, donc elle ne devrait produire ses premières effets que dans un an au minimum.

De plus, il y a un risque de téléscopage entre ce projet de loi et la proposition de directive du plan REPowerEU que la Commission européenne a présentée en mai dernier. Certaines mesures sont d'ailleurs directement issues de ce plan, comme l'article 6 sur la dérogation espèces protégées [qui vise à reconnaître la raison impérative d’intérêt public majeur ou RIIPM pour les projets d’énergies renouvelables, NDLR]. Il faudra peut-être ajuster en cours de route le texte français au gré de l'avancement de la directive, à laquelle il doit être conforme. Ce sera sans doute le cas concernant le régime de l'étude d'impact.

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