Dans la chaîne en plein déploiement du réemploi, il existe un maillon faible : la formation. Cette intuition s’est confirmée ce 30 janvier à l’occasion des débats organisés à Strasbourg (Bas-Rhin) sur ce sujet par le Campus des métiers et des qualifications « Eco-construction et efficacité énergétique » (Campus 3E) du Grand Est. Centrés sur la formation initiale, les échanges ont conduit à la même conclusion lors de leur élargissement à l’acquisition de compétences par les personnels des maîtres d’œuvre et des entreprises.
L’initiation des futurs professionnels artisans, architectes, techniciens, ingénieurs - objet premier de la rencontre - n’est pas inexistante. Un établissement comme le lycée professionnel Le Corbusier d’Illkirch (Bas-Rhin) s’y attache, mais de façon empirique et distillée. « Nous introduisons des éléments d’enseignement dans les formations destinées aux différents métiers du BTP (maçons, couvreurs, métalliers…) que nous dispensons, selon l’appétence de chaque enseignant », a souligné Patrice Aymonin, directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques. C’est ainsi que la réutilisation de matériaux de remblais ou de béton concassé est exposée aux élèves de la filière travaux publics, ou celle de tuyaux et de câbles aux futurs électriciens et installateurs sanitaires. Les modules consacrés à l’intervention sur le patrimoine bâti accordent une place significative au réemploi d’éléments de charpente, de pierres de taille, de briques ou tuiles. « Nous sommes attentifs à parler technique, par exemple la qualification des matériaux et le pourcentage pertinent d’incorporation sans altérer la qualité structurelle, mais aussi économie (les coûts, les valeurs de revente), écologie (bilans carbone) et organisation de chantier », poursuit Patrice Aymonin.
Début d’élaboration d’un référentiel
Pour autant, le couple réemploi-formation aurait besoin de se structurer autour d’un document cadre déployable partout et qui ferait autorité. En somme, il attend son « référentiel ». Tel est le travail qu’entament le Campus 3E et le lycée Le Corbusier, pour une visée nationale et au-delà, puisqu’ils l’inscrivent dans un programme européen Erasmus+. « Sur ce sujet, il y a une pertinence à tirer parti de l’expérience de voisins européens, de façon à en extraire les meilleures pratiques, de croiser les analyses, et d’avancer ensemble. Tous les pays se trouvent en phase exploratoire, avec une base de compétences encore largement imparfaite », estime Véronique Brom, chargée de mission relations internationales du Campus 3E et du lycée Le Corbusier.
Celui-ci s’engage donc, en ce début 2024, sur ce chemin du référentiel, avec un lycée professionnel allemand à Leer (Land de Basse-Saxe), formant un tandem qui sera rejoint par un troisième partenaire d’Europe centrale en cours de discussion. Avec l’objectif de produire une première version en 2025, qui puisse être approfondie jusqu’à 2028, terme du projet Erasmus+ dénommé « KA2 ».
Se tourner vers l’Europe peut aussi permettre de dénicher les pratiques moins convaincantes. Pour en tirer les leçons. Parmi les cas d’école qui alimentent le début d’élaboration du référentiel, une démolition-reconstruction dans la région de Bruxelles a vu l’économie financière générée par le réemploi se réduire à quasi-néant (7 000 euros) par rapport à un objectif initial de 72 000 euros. En cause : « les nombreux déficits de communication sur le réemploi entre les acteurs du chantiers (architectes, bureaux d’études, entreprises) ont abouti à ce que les entreprises envoient en benne des matériaux réutilisables ; « on ne savait pas, on ne nous l’avait pas dit » ont-elles justifiées », relate Véronique Brom. Conclusion : la coordination devra occuper toute sa place dans l’offre de formation à concevoir.