La fin d'une époque. Faute de trouver preneurs parmi les particuliers, désolvabilisés par la rapide hausse des taux d'intérêt entre mi-2022 et mi-2023, les promoteurs immobiliers s'en sont remis aux bailleurs sociaux. Les plans de sauvetage d'Action Logement et CDC Habitat ont permis, à eux deux, un déstockage de 51 400 unités entre mi-2023 et mi-2024. Dans le même temps, les promoteurs enregistraient seulement 50 000 ventes au détail. Un volume divisé par deux par rapport aux douze mois antérieurs à la crise de la demande.
« Après deux années d'acquisitions à marche forcée, les objectifs 2025 des bailleurs sociaux sont déjà atteints et leurs fonds propres disponibles ont été fortement sollicités », souligne Margaux Scalisi, fondatrice de Vefaonline, portail dédié aux opportunités de ventes en bloc. Même son de cloche chez Nexity. Le n° 1 français de la promotion immobilière résidentielle (14 000 réservations en 2023), qui réduit ses effectifs dans le cadre d'un plan social, anticipe en 2025 une baisse d'au moins 10 % du nombre de logements commandés par les bailleurs sociaux par rapport à cette année. « Ces derniers ont consommé beaucoup de ressources en 2023 et 2024 pour soutenir les promoteurs et la production de logements sociaux », rappelle Fabrice Aubert, son directeur général adjoint.
Trois leaders, trois offres
Le dirigeant ne croit pas à un retour des investisseurs institutionnels comme les assurances ou les banques, peu convaincus par les rendements du résidentiel depuis la remontée des taux, ni à un réveil des investisseurs particuliers, refroidis par la fin du dispositif Pinel en janvier prochain. Il entrevoit deux solutions pour compenser le retrait annoncé des bailleurs sociaux : « Soit obtenir un effet de lissage de leurs achats en bloc, soit séduire à nouveau les ménages occupants, à condition que les taux continuent de baisser. » La « convention de partenariat » pour aider les salariés à se loger, signée par 33 promoteurs dont Nexity avec Action Logement, le Pôle Habitat FFB et la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), le 25 septembre, peut répondre au premier point. Pour le deuxième, Nexity mise sur son prêt à taux zéro (PTZ) jusqu'à 50 000 euros, lancé en partenariat avec la banque LCL fin septembre, pour recréer une dynamique commerciale positive. Dédié aux primo-accédants sans plafond de revenus, Crescendo est cumulable avec d'autres dispositifs tels que le PTZ assuré par l'Etat ou celui dédié aux jeunes actifs de LCL. Cette campagne nationale concerne 2 200 lots, soit l'équivalent de 46 % des réservations au détail de Nexity en 2023. Par comparaison, son taux de vente en bloc a atteint 67 % l'an dernier. Un record.
Chez Bouygues Immobilier, également engagé dans un plan social, ce taux s'est élevé à 40 %. Pariant sur un retour des particuliers, il vient de lancer Pass Proprio, là aussi, en partenariat avec le Crédit Agricole et LCL. Cette offre de financement doit soutenir la commercialisation de ses programmes destinés aux primo-accédants.
Gain de pouvoir d'achat immobilier
En mai dernier, Altarea a été le premier à proposer une offre visant à stimuler cette demande, baptisée Access. Même sans apport, les clients peuvent notamment bénéficier de taux négociés avec Crédit agricole et LCL. Le gain de pouvoir d'achat immobilier pourrait atteindre plusieurs dizaines de milliers d'euros. Utilisée au départ par Cogedim, la marque phare d'Altarea, l'offre est désormais élargie à des programmes de son autre filiale de résidentiel neuf, Woodeum x Pitch Immo. Elle ambitionne de commercialiser de cette manière 1 500 lots cette année, ce qui représente 39 % des ventes au détail du groupe en 2023. La part visée l'an prochain est de 50 %. En parallèle, Altarea compte sur les métiers dans lequel il a récemment investi : gestionnaire d'actifs commerciaux et logistiques, promoteur et exploitant de panneaux photovoltaïques et, enfin, développeur de data centers. « Ces nouvelles activités sont en phase de montage. Nous espérons qu'elles contribueront à hauteur de 25 % au chiffre d'affaires 2025, sous réserve de l'évolution de l'environnement macro-économique et politique », indique Alain Taravella, son président-fondateur.
En 2022, au début de la crise de la demande, Altarea avait enregistré 10 000 réservations de logements, dont 44 % en bloc. L'an dernier, sur 8 000 lots, la vente aux bailleurs sociaux et investisseurs institutionnels était pour la première fois devenue majoritaire.
Frémissement chez les particuliers
Eiffage Immobilier se tourne lui aussi historiquement vers les ménages. Son activité est donc sensible à la politique de la Banque centrale européenne, dont les baisses des taux directeurs depuis juin dernier sont répercutées par les établissements bancaires. D'où un frémissement de la demande du côté des particuliers. « Deux ventes par mois sur un programme, on applaudit, car on partait de zéro », confie Luc Bouvet, directeur général adjoint. Le promoteur croit en une offre de logements diversifiés pour garder un rythme de 2 000 ventes par an, dont 900 en bloc. Cela passe notamment par Cazam, sa marque de résidences services seniors (RSS). Cinq sont en exploitation, une vingtaine dans le « pipe ». Retardés pour raisons économiques, la majorité de ces projets devraient être enfin lancés en 2025. A condition que les taux continuent de baisser. Il en va du retour sur investissement attendu par ses clients.
Parmi les autres poids lourds du secteur, Kaufman & Broad navigue à contre-courant. « Pendant la crise sanitaire, nous avons beaucoup vendu en bloc des programmes pas encore lancés car nous disposions de peu de stock physique, alors que nos concurrents écoulaient leurs projets en cours de construction, se souvient Nordine Hachemi, P-DG. Quand la demande est repartie en 2021, nous mettions sur le marché des produits imaginés fin 2020, quand les autres essayaient de vendre des programmes de 2018 ou 2019. Ce qui nous manque actuellement, c'est de l'offre, mais l'absence de stock présente un avantage : nous ne sommes pas endettés. Il n'y a donc pas lieu de réduire nos effectifs. » Diversifié dans l'exploitation de résidences étudiantes qui lui permet de toucher des loyers, le promoteur entend continuer à « ne pas surenchérir sur le foncier afin de proposer des prix de sortie en ligne avec les clients, particuliers et institutionnels », assure Nordine Hachemi. Kaufman & Broad a besoin de quatre mois en moyenne pour écouler un programme, contre vingt-trois pour le marché selon la FPI.
Présent en Ile-de-France et en outre-mer, Bécarré est, lui, en quête de ressources nouvelles et récurrentes pour rembourser ses emprunts et continuer à investir dans son cœur de métier. En cette deuxième année de crise, la PME familiale croit en sa stratégie de différenciation, qui consiste à conserver en patrimoine les logements sociaux et les hôtels livrés ou réhabilités. « Le promoteur doit arrêter de construire, vendre et partir, mais construire et gérer sur le long terme », soutient Matthias Bertetto, son directeur général. Ce positionnement pourrait lui faire gagner des points dans les mairies.
Les élections municipales de 2026 font craindre un coup de frein dans la délivrance de permis de construire. Aucun acteur interrogé ne compte faire plus de tertiaire au détriment du logement. Les taux de vacance historiquement élevés des bureaux, en Ile-de-France et en régions, y sont pour beaucoup.
Spécialiste de la vente en bloc, Linkcity ménage le logement social
Linkcity détonne dans un marché résidentiel décroissant. Le promoteur vise 4 200 réservations cette année, soit 1 400 de plus qu'en 2023. Autre signe distinctif : son taux de vente en bloc devrait atteindre… 98 % ! Logique : son positionnement tourné vers les bailleurs sociaux et les investisseurs institutionnels le conduit rarement à concevoir des copropriétés.
En vue de stabiliser ses ventes l'année prochaine, un changement de stratégie s'opère sur la programmation. Contrairement à 2023 et 2024, il ne proposera plus d'opérations dédiées au logement intermédiaire car étant vendu plus cher que le logement social, celui-ci consomme les fonds propres des bailleurs sociaux, moteurs de sa croissance. La filiale de Bouygues Construction pourra aussi jouer sur la part de logement libre au sein d'un programme afin d'y financer les HLM. Les appartements destinés à l'accession ou à l'investissement locatif seront vendus par des commercialisateurs externes ou des partenaires copromoteurs.