« Analysons la répartition des demandes de permis de construire (PC) pour des opérations de plus de 10 logements, entre 2021 et septembre 2024. En se concentrant sur les demandes (et non les autorisations), il s’agit de mieux comprendre l’activité de la promotion immobilière à son entrée dans le processus d’instruction.
Après un pic en 2021-2022, marqué par le report post-Covid, le nombre de projets ne cesse de décroître, passant de 5000 en 2023 à 1500 sur les neuf premiers mois de 2024.
A cette nouvelle donne s’ajoute le poids prédominant en nombre de PC des petites opérations. Celles de 10 à 24 logements représentent désormais 49% des projets, contre 44% en 2023 et et 42% en 2022, tandis que les programmes de plus de 60 logements ne pèsent plus que 15%, contre 20% en 2023 et 21% en 2022. A noter que ces grandes opérations représentent tout de même 50% de la production nationale.
Obstacles
Le marché foncier français se divise en deux segments : le marché diffus (foncier privé) et le marché public réglementé, ce dernier favorisant souvent les grandes opérations.
Face aux restrictions urbanistiques (densité, hauteurs, CES…) et aux obstacles de la négociation foncière (remembrements et valorisations), les grandes opérations dans le diffus sont rares.
C’est une réalité structurelle factuelle : la majorité des droits à bâtir qui peuvent se concrétiser (double valorisation du foncier par l’opération pour le pétitionnaire et valorisation au-delà de la valeur vénale pour le propriétaire) sont concentrés sur des densités d’opérations comprises entre 1200 et 2800m² de SDP, sur toute la France.
Combattant
Pourtant, alors que la crise perdurera encore, on semble constater ici ou là une baisse progressive des grands projets d’aménagement ce qui serait très inquiétant pour la production future alors même que sortir une opération dans le diffus relève du parcours du combattant pour le pétitionnaire.
La France compte environ 2000 promoteurs immobiliers actifs, mais les grands acteurs et les promoteurs de taille moyenne visent seulement des opérations dépassant les 8M€ de CA HT, limitant ainsi leur champ d’action sur les petites opérations. Cette stratégie les exclut d’une part importante du marché, laissant les petites opérations aux acteurs locaux.
C’est une bonne chose pour la concurrence mais une moins bonne pour innover, compresser les coûts et tenter de résoudre l’équation de la rentabilité des petites opérations ! Au final 30 à 50% des promoteurs ne travaillent que sur 30 à 40% du marché potentiel.
Inertie
Vingt ans de croissance soutenue ont également et sans aucun doute entraver la volonté d’aller conquérir de nouveaux marchés et spécifiquement celui des petites opérations. La rentabilité était là, la croissance aussi, et tout le monde était bien content de ses 5% de croissance annuels. Et bien sûr, quel nouvel entrant ou investisseur aux moyens « illimités » serait venu investir dans un marché où la production n’est pas garantie ? Personne.
Cette inertie, subie et dictée d’une part, se remarque en particulier dans l’industrie de promotion immobilière qui a très peu évolué en vingt ans sur ces organisations, outils, process. Les services innovations et R&D ont fleuri ici ou là, et c’est tant mieux, mais avant tout pour suivre et se conformer aux évolutions réglementaires imposées.
Pistes
Pourtant, des pistes de réflexion existent afin de se moderniser, conquérir de nouveaux marchés, réduire les coûts et minimiser l’impact de l’environnement extérieur sur son activité.
Pour les majors : créer des filiales spécialisées en repensant les organisations de A à Z, développer activement le marché secondaire et la co-promotion, repenser ses process et arbitrages pour aller plus vite et traiter plus de volumes.
Pour les majors mais aussi les constructeurs aux moyens importants : développer la construction modulaire, hors-site et industrialisée en prenant soin d’intégrer toutes les briques énoncées ci-avant dans le modèle.
Pour l’ensemble de la profession : s’appuyer sur les technologies émergentes, l’IA et le generative design, les outils d’évaluation du cycle de vie d’une opération de façon à modéliser des gabarits optimums et trouver les terrains pour chaque gabarit. Raisonner par le produit pour trouver le terrain qui convienne plutôt que de faire à chaque fois un prototype pour coller aux exigences du terrain !
Enfin, moderniser le développement afin de rattraper le retard de quinze ans sur le pilotage de l’activité de développement, les KPI’s, les objectifs et le fonctionnement du métier.
Promoteurs 2.0
Il y a donc des solutions, pas toujours coûteuses, si ce n’est par le changement. N’oublions pas la réalité de l’instruction des permis qui conditionne le succès et la sortie d’une opération à des éléments « irrationnels », ce qui a bridé et bridera encore toute innovation.
Une obtention « automatique » des PC conformes entraînerait forcément la disparition de nombreux promoteurs et pas des moindres, au bénéfice de promoteurs 2.0 qui bousculeront toute la filière.
Pour cela, il est important de comprendre que la promotion immobilière, c’est du capital avant tout et de la compétence humaine au service de la gestion du risque. Peu de barrières à l’entrée si ce n’est celle, énorme, des fourches caudines de la mairie…
Gageons donc que la crise aura ça de bon, comme à de nombreuses reprises dans l’histoire de l’industrie, de donner malgré tout un nouveau souffle et un nouvel esprit de conquête aux promoteurs immobiliers pour relever les défis d’aujourd’hui et ceux de demain. »