L’avis que rendra le Conseil d’Etat dans quelques semaines sera sûrement fort utile aux porteurs de projets et à l’ensemble des acteurs concernés par les dossiers de dérogations à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Dans le cadre d’un contentieux relatif à l’autorisation de construire et d’exploiter un parc éolien terrestre, la Haute juridiction a été saisie le 27 avril 2022 par une cour administrative d’appel (CAA) de la question de savoir à partir de quels critères il faut considérer qu’un projet, susceptible de porter atteinte à une espèce protégée, nécessite le dépôt d’une demande de dérogation.
Enjeu spécifique compris entre « moyen » et « très fort »
Dans cette affaire, une société avait obtenu une autorisation environnementale pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et trois postes de livraisons. L’étude d’impact du projet révélait que 23 espèces protégées d’oiseaux nicheurs, dont 10 présentant un enjeu spécifique régional compris entre « moyen » et « très fort », avaient été identifiées dans l’aire d’étude immédiate du projet. Et que les aérogénérateurs étaient « susceptibles d’entraîner, en raison de leur proximité de zones de nidifications, durant la phase de construction ou d’exploitation du projet, la destruction de spécimens d’oiseaux ».
L’arrêté préfectoral a été attaqué devant la CAA par une association de protection de l’environnement et des particuliers. Les requérants reprochaient à la société de ne pas avoir sollicité et obtenu le précieux sésame visé par l’article L. 411-2 4° du Code de l’environnement, lui permettant de déroger au principe d'interdiction de destruction d'espèces protégées : d’une part, les éléments devant compléter le dossier de demande d'autorisation environnementale tenant lieu de dérogation et décrits à l’article D. 181-15-5 du Code de l’environnement n’avaient pas été fournis par le porteur de projet et, d’autre part, l’avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) n’avait pas été demandé par le préfet.
Risque significatif ou un seul spécimen ?
En défense, la ministre de la Transition écologique faisait valoir qu’un projet n’est soumis à dérogation et à la saisine du CNPN que s’il conduit « à un risque significatif » de destructions d’espèces protégées, et non d’un seul spécimen.
Estimant qu’il y avait là « une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans de nombreux litiges », la CAA a sursis à statuer et demandé au Conseil d’Etat de se prononcer sur les questions suivantes :
- un dossier de demande de dérogation doit-il être déposé dès que le projet est susceptible de porter atteinte à un seul spécimen d’espèces protégées ou un seul de leur habitat, ou « faut-il que le projet soit susceptible d’entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées ? » ;
- l’administration « doit-elle tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures [ERC] proposées par le pétitionnaire ? ».
Le Conseil d’Etat donnera son avis d’ici la fin du mois de juillet.